Patrimoine
Pour un embargo sur les œuvres d’art irakiennes
Faute d’avoir pu empêcher le pillage du patrimoine culturel irakien, la communauté internationale tente d’éviter sa dispersion. L’Unesco appelle à un embargo, pour une période déterminée, sur l’acquisition de tout objet culturel en provenance d’Irak. L’existence de filières organisées d’exportation illégale à destination de collections privées reste l’obstacle majeur à son application.
Les experts internationaux spécialistes des civilisations mésopotamiennes, réunis dans l’urgence par le directeur général de l’Unesco pour prendre la mesure des pillages des musées et sites archéologiques irakiens sont formels. A côté des dégradations perpétrées par des bandes de jeunes en colère contre le régime de Saddam Hussein, le pillage des musées de Bagdad, Mossoul ou Kerbala est également le fait de bandes organisées. La preuve en est que, dans certaines salles, les meilleures pièces des collections ont été soigneusement choisies et les copies ou moulages laissés sur place. Pour les pièces volées lors des manifestations populaires, l’espoir demeure qu’elles soient restituées, la colère retombée, ou récupérées par les autorités. Tel n’est pas le cas pour les objets enlevés par des spécialistes.
L’Irak est souvent qualifié de berceau des grandes civilisations pour avoir été le lieu, entre Tigre et Euphrate, des premiers habitats urbains, de l’invention de l’écriture et des premiers codes juridiques. A tel point que le linguiste Samuel Noah Kramer a pu affirmer que «L'histoire commence à Sumer». Se sont succédé, sur le territoire de l'actuelle Irak, les civilisations sumérienne, babylonienne, assyrienne, perse, parthe, sassanide, grecque et islamique. Avant sa mise à sac, le musée de Bagdad comptait plus de 100 000 pièces représentatives de ces différentes périodes. Elles ont une grande valeur historique, artistique et culturelle, mais aussi une valeur marchande, théoriquement inappréciable.
Le commerce des œuvres d’art volées existe depuis l’apparition du premier collectionneur. Toutefois, au fil des ans, des actions ont été entreprises pour l’empêcher. Déjà, le directeur général de l’Unesco Koïchiro Matsuura a pris contact avec les autorités des pays frontaliers de l’Irak, la police et la douane pour s’opposer à la sortie du territoire irakien des objets dérobés auxquels on tenterait de faire passer la frontière. De même Interpol, l’organisation mondiale des douanes, la Confédération internationale des négociants en oeuvres d’art (CINOA), le Conseil international des Musées, le Conseil international des monuments et des sites ont été alertés afin que les objets volés ne trouvent pas d’acquéreurs. Pour plus de sûreté, l’Unesco demande au secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, de soumettre au Conseil de sécurité une résolution imposant un embargo temporaire sur l’acquisition de tout objet d’art en provenance d’Irak. Les experts demandent aussi qu’un appel soit lancé à la restitution volontaire des œuvres dérobées.
Convention internationale sur la restitution des oeuvres
Cette initiative s’appuie sur une convention de 1970, signée par 97 Etats dans le monde contre l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels. Ces pays s’engagent à restituer aux autres Etats les biens culturels volés dans un musée et à prendre des mesures pour contrôler l’acquisition, dans leur pays, d’objets culturels afin de vérifier qu’ils n’ont pas été exportés illégalement. Si les musées et institutions culturelles sont désormais sensibilisés au problème du pillage des œuvres d’art, cela ne règle pas complètement la question des collectionneurs privés, parfois moins scrupuleux. Il est relativement peu probable que des négociants ayant pignon sur rue comme Christie’s ou Sotheby’s se livrent à un tel trafic, surtout avec les banques de données d’objets volés désormais consultables sur internet. Mais des réseaux de contrebande existent. Et sur ce point, la référence au passé n’est guère rassurante : en 1991, lors de la guerre du golfe le musée de Bassorah avait déjà été saccagé, ceux de Mossoul et Kerbala pillés. Au total, plus de 4 000 pièces ont disparu à cette date des collections irakiennes. De l’avis de spécialistes nombre d’objets pillés sont entrés dans des collections privées et pour longtemps.
Le conseiller culturel du président américain, Martin Sullivan a pris la mesure du désastre et, en démissionnant, a affirmé que la tragédie, prévisible, n’avait pas été empêchée, en raison de l’inaction des Etats-Unis. Est-ce pour se rattraper, la police fédérale américaine a envoyé des agents à Bagdad pour enquêter sur les pillages et mettre à l’abri ce qui peut encore l’être.
Simultanément, la communauté internationale réagit. L’Italie, pays dont le patrimoine culturel est, comme celui de l’Irak, un bien commun de l’humanité, propose d’envoyer des policiers spécialistes de la lutte contre le trafic d’œuvres d’art. Le gouvernement suisse appelle les marchands d’art et les collectionneurs helvétiques à la plus grande prudence. Le Japon, destination importante des marchands d’art, est dans une situation complexe car le gouvernement ne peut interdire l’entrée éventuelle d’antiquités irakiennes exportées illégalement que si le gouvernement irakien lui en fait la demande. La constitution d’un nouveau gouvernement irakien permettrait le dépôt d’une requête officielle.
Ecouter également :
Boulevard du patrimoine
par Michel Shulman (19/04/2003, 20')
L’Irak est souvent qualifié de berceau des grandes civilisations pour avoir été le lieu, entre Tigre et Euphrate, des premiers habitats urbains, de l’invention de l’écriture et des premiers codes juridiques. A tel point que le linguiste Samuel Noah Kramer a pu affirmer que «L'histoire commence à Sumer». Se sont succédé, sur le territoire de l'actuelle Irak, les civilisations sumérienne, babylonienne, assyrienne, perse, parthe, sassanide, grecque et islamique. Avant sa mise à sac, le musée de Bagdad comptait plus de 100 000 pièces représentatives de ces différentes périodes. Elles ont une grande valeur historique, artistique et culturelle, mais aussi une valeur marchande, théoriquement inappréciable.
Le commerce des œuvres d’art volées existe depuis l’apparition du premier collectionneur. Toutefois, au fil des ans, des actions ont été entreprises pour l’empêcher. Déjà, le directeur général de l’Unesco Koïchiro Matsuura a pris contact avec les autorités des pays frontaliers de l’Irak, la police et la douane pour s’opposer à la sortie du territoire irakien des objets dérobés auxquels on tenterait de faire passer la frontière. De même Interpol, l’organisation mondiale des douanes, la Confédération internationale des négociants en oeuvres d’art (CINOA), le Conseil international des Musées, le Conseil international des monuments et des sites ont été alertés afin que les objets volés ne trouvent pas d’acquéreurs. Pour plus de sûreté, l’Unesco demande au secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, de soumettre au Conseil de sécurité une résolution imposant un embargo temporaire sur l’acquisition de tout objet d’art en provenance d’Irak. Les experts demandent aussi qu’un appel soit lancé à la restitution volontaire des œuvres dérobées.
Convention internationale sur la restitution des oeuvres
Cette initiative s’appuie sur une convention de 1970, signée par 97 Etats dans le monde contre l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels. Ces pays s’engagent à restituer aux autres Etats les biens culturels volés dans un musée et à prendre des mesures pour contrôler l’acquisition, dans leur pays, d’objets culturels afin de vérifier qu’ils n’ont pas été exportés illégalement. Si les musées et institutions culturelles sont désormais sensibilisés au problème du pillage des œuvres d’art, cela ne règle pas complètement la question des collectionneurs privés, parfois moins scrupuleux. Il est relativement peu probable que des négociants ayant pignon sur rue comme Christie’s ou Sotheby’s se livrent à un tel trafic, surtout avec les banques de données d’objets volés désormais consultables sur internet. Mais des réseaux de contrebande existent. Et sur ce point, la référence au passé n’est guère rassurante : en 1991, lors de la guerre du golfe le musée de Bassorah avait déjà été saccagé, ceux de Mossoul et Kerbala pillés. Au total, plus de 4 000 pièces ont disparu à cette date des collections irakiennes. De l’avis de spécialistes nombre d’objets pillés sont entrés dans des collections privées et pour longtemps.
Le conseiller culturel du président américain, Martin Sullivan a pris la mesure du désastre et, en démissionnant, a affirmé que la tragédie, prévisible, n’avait pas été empêchée, en raison de l’inaction des Etats-Unis. Est-ce pour se rattraper, la police fédérale américaine a envoyé des agents à Bagdad pour enquêter sur les pillages et mettre à l’abri ce qui peut encore l’être.
Simultanément, la communauté internationale réagit. L’Italie, pays dont le patrimoine culturel est, comme celui de l’Irak, un bien commun de l’humanité, propose d’envoyer des policiers spécialistes de la lutte contre le trafic d’œuvres d’art. Le gouvernement suisse appelle les marchands d’art et les collectionneurs helvétiques à la plus grande prudence. Le Japon, destination importante des marchands d’art, est dans une situation complexe car le gouvernement ne peut interdire l’entrée éventuelle d’antiquités irakiennes exportées illégalement que si le gouvernement irakien lui en fait la demande. La constitution d’un nouveau gouvernement irakien permettrait le dépôt d’une requête officielle.
Ecouter également :
Boulevard du patrimoine
par Michel Shulman (19/04/2003, 20')
par Francine Quentin
Article publié le 18/04/2003