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Birmanie

La «Dame de Rangoon» de nouveau aux mains de la junte

«L’ère nouvelle» promise par la junte militaire il y a un peu plus d’un an, lors de la levée de l’assignation à résidence de Aung San Suu Kyi, a été plus qu’éphémère. La chef de file de l’opposition birmane, en tournée dans le nord du pays depuis un mois, a en effet été arrêtée vendredi avec 17 membres de son parti, la Ligue nationale pour la démocratie. La junte au pouvoir a également ordonné la fermeture de toutes les permanences de cette formation politique. Cette vague de répression intervient quelques jours avant l’arrivée en Birmanie de l’envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies, Razali Ismail, pour une mission de cinq jours destinée à relancer le dialogue, au point mort depuis des mois, entre le pouvoir et l’opposition.
La junte birmane a pris pour prétexte des affrontements entre sympathisants de la Ligue nationale pour la démocratie (LND), venus apercevoir celle qu’ils surnomment «la lumière dans les ténèbres», et miliciens de l’USDA, l’Union Solidarity development association –une organisation de masse pro-pouvoir qui compte quelque 8 millions d’adhérents–, pour asséner un coup fatal à l’opposition. Les incidents ont eu lieu vendredi, dans le nord du pays, lors d’une tournée de Aung San Suu Kyi et ont fait 4 morts et une cinquantaine de blessés. Officiellement, la «Dame de Rangoon» a aussitôt été «placée sous la protection des autorités locales» avec 17 membres de son parti, un simple prélude à la vague de répression qui s’est ensuite abattue sur la LND et ses dirigeants. Les autres membres de la direction du parti, qui n’avaient pas accompagné le prix Nobel de la paix dans son voyage au nord de la Birmanie, ont en effet été immédiatement mis sous résidence surveillée. Le siège du parti à Rangoon a été cadenassé et le drapeau de la formation politique, un paon sur fond rouge, arraché. Toutes les permanences de la Ligue –une centaine, toutes réouvertes depuis un an par l’opposante–, ont également été fermées.

Par crainte de débordements, la junte, qui connaît la popularité dont jouit l’opposante dans le milieu étudiant, a ordonné la fermeture des universités et des établissements d’enseignement supérieur. Et une fois n’est pas coutume, elle a choisi de largement communiquer sur ces incidents. Journaux, radios et télévisions ont en effet violemment et abondamment critiqué la chef de file de l’opposition, la rendant responsable des affrontements de vendredi. «La gamine a un comportement non démocratique», a notamment affirmé le quotidien Miroir, soulignant qu’«elle n’acceptait pas que le peuple ne soutienne pas son parti». Pour le porte-parole de la junte, Than Tun, «ses discours enflammés et ses critiques du pouvoir incitent les gens à la violence». Quant au ministre du Travail, Tinn Win, il estime que ces actions ne «suscitent qu’indignation parmi la population». «Ces incidents se sont produits parce que Aung San Suu Kyi profite de ses tournées pour faire campagne publiquement, ce qui provoque le ressentiment de la population», a-t-il notamment déclaré. A en croire donc le pouvoir en place, la prix Nobel de la paix est victime de son impopularité auprès des Birmans. Or, nulle part il n’est question des provocations des miliciens armés de l’USDA qui lors de sa tournée dans le Nord ont à de nombreuses reprises tenté de bloquer le cortège de l’opposante. Nulle part il n’est non plus fait mention des harcèlements dont les sympathisants de la Ligue ont été victimes de la part des autorités locales ces dernières semaines.

Vers une nouvelle assignation à résidence ?

L’arrestation de Aung San Suu Kyi, à quelques jours d’une visite très attendue de l’envoyé spécial de Kofi Annan en Birmanie, Razali Ismail, destinée à relancer un dialogue quasi-inexistant entre pouvoir et opposition, porte un coup dur au laborieux processus de démocratisation du pays. Un processus auquel la communauté internationale avait pourtant cru au moment de la levée de l’assignation à résidence le 6 mai 2002, de la chef de file de l’opposition confinée entre les quatre murs de sa maison pendant dix-neuf mois. Aung San Suu Kyi avait à l’époque obtenu de la junte un engagement à respecter sa liberté de mouvement à travers tout le pays ainsi que la promesse d’un dialogue en vue d’une réconciliation nationale.

Mais un an après, force est de reconnaître que le pouvoir en place n’est pas prêt à faire des concessions. Face à ce constat, la dirigeante de l’opposition était sortie, ces dernières semaines, de la réserve qu’elle s’était imposée. Le 23 avril dernier, elle avait notamment «mis en doute la sincérité du gouvernement», qui selon elle, ne s’intéresse pas à la réconciliation nationale. Lors de la sa tournée dans le Nord, elle avait exhorté quelque 35 000 sympathisants à la soutenir. «Libérez-vous de votre peur. Je ne peux rien sans votre soutien. Pour réussir, il faut que le peuple me suive», leur avait-elle affirmé. Elle avait enfin déclaré le 27 mai dernier, à l’occasion du 13ème anniversaire des élections que son parti avait remporté haut la main en 1990, qu’«ignorer le résultat de ce scrutin, c’était insulter le peuple».

Aujourd’hui, Aung San Suu Kyi serait détenue dans un complexe des renseignements militaires à Rangoon. Elle aurait été séparée des 17 autres membres de son parti arrêtés avec elle. Ces événements semblent ramener la Birmanie plusieurs années en arrière. Pour de nombreux observateurs, les rares progrès engrangés depuis 2000 sous l’égide de l’envoyé spécial des Nations unies pourraient en pâtir sévèrement. Cette année, la junte avait accepté, après des années de répression systématique de la LND, d’ouvrir des discussions historiques avec sa dirigeante en vue d’une démocratisation. Mais depuis la levée de l’assignation à résidence de l’opposante, la junte a refusé tout dialogue politique. Aujourd’hui il est plus que vraisemblable que les activités de la Ligue vont être de nouveau interdites. Beaucoup estiment en outre que Aung San Suu Kyi, qui a déjà passé sept années et demi en résidence surveillée, pourrait de nouveau être confinée entre les quatre murs de son domicile.



par Mounia  Daoudi

Article publié le 02/06/2003