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Irak

Une «débaassisation» en trompe-l’œil

L’administrateur américain Paul Bremer s’est engagé à chasser les cadres du parti de Saddam Hussein. Mais pour faire tourner l’État, il a besoin d’eux.
De notre envoyé spécial à Bagdad

Détruits ou recouverts de peinture, les portraits de Saddam Hussein ne font plus partie du paysage visuel des Irakiens. Dernier vestige du régime défunt, seule demeure encore l’effigie de l’ancien président imprimée sur les billets de banque. Depuis la fin de la guerre, les Américains ont entrepris de «débaassiser» l’Etat et l’administration. Le parti Baas, au pouvoir depuis 1968, a été dissout avec l’armée, les services de renseignement et le ministère de l’Intérieur.

«Nous assistons à une véritable chasse aux sorcières, constate un diplomate. Les Américains ont tranché pour la méthode radicale. Ils ont pris cette décision pour faire plaisir à la population qui voulait voir tomber les têtes.» En pratique, cette campagne anti-Baas n’est pas évidente à conduire. Comment en effet évaluer les responsabilités de chacun dans un pays où le parti comptait près d’un million et demi de membres ?

La majorité d’entre eux n’était pas des criminels mais le souvent les otages d’un système dictatorial : à l’instar du Parti communiste en ex-URSS, prendre sa carte au parti signifiait d’abord et avant tout améliorer son ordinaire. «La plupart des membres du Baas adhéraient non pas par sympathie idéologique ou politique mais pour décrocher un emploi, obtenir un appartement ou permettre à son fils d’accéder à l’université» , rappelle un ancien responsable de la direction nationale du parti.

Des Baassistes dans le comité d’épuration

Les membres recevaient un salaire de 50 000 à 3 millions de dinars (25 à 1 500 dollars) par mois en fonction de leur rang dans le parti alors que les rémunérations dans la fonction publique ne dépassaient pas les 10 000 dinars (5 dollars). Les hauts membres du Baas recevaient en plus une villa et une voiture, souvent une Mercedes qu’ils pouvaient changer tous les deux ans. Les membres étrangers du mouvement (Syriens, Libanais, Soudanais, Yéménites, etc.) étaient logés gratuitement dans les appartements modernes de rue Haïfa et percevaient eux-aussi des salaires confortables. Bien évidemment, ces privilégiés du système étaient enviés et détestés par le reste de la population qui devait, elle, survivre au quotidien avec des salaires de misère.

Dans leur campagne, les Américains ont établi deux listes de responsables de l’ancien régime, l’une contenant 55 noms (le fameux jeu de cartes) et l’autre en recensant 200. Pour le reste, l’épuration est sans nuance et prive surtout le pays des cadres les plus compétents. «J’ai travaillé plus de 20 ans à la télévision comme caméraman et on m’a licencié alors que je n’avais qu’un rôle technique, où est la justice ?», se plaint cet employé du ministère de l’Information, dont les 4 500 employés ont été mis à pied.

«Dans les hôpitaux, beaucoup de personnels médicaux, notamment les médecins, les chirurgiens ou les spécialistes appartenaient au Baas mais étaient des professionnels», ajoute un membre du CICR. Dans les écoles et les université, les trois-quarts des enseignants et des professeurs avaient leur carte du parti. Difficile de se passer de ce personnel qualifié dans la reconstruction du pays.

Paul Bremer, l’administrateur civil américain, avait décidé par son décret du 16 mai dernier que les ministres, vice-ministres et directeurs des administrations seraient automatiquement licenciés et remplacés par des non-baassistes. Depuis lors, il a commencé à mettre de l’eau dans son vin. Ainsi, la direction et les cadres du ministère du Pétrole sont quasiment tous restés en place, mis à part le ministre et son adjoint. Concernant l’armée, Paul Bremer a indiqué que les anciens soldats seraient réintégrés mais que les officiers supérieurs resteraient écartés.

Pour la remise en route du ministère des Affaires étrangères, dont le bâtiment principal a été ravagé par les flammes et les pilleurs, un comité composé d’Irakiens et d’un conseiller américain a été mis en place. Il est chargé d’auditionner les anciens ambassadeurs, diplomates et employé du ministère afin de déterminer ceux qui pourront réintégrer le corps diplomatique. Détail paradoxal : les membres du comité sont d’anciens baassistes !

Parmi eux figure Bassem Kouba, l’ancien chef de cabinet de Tarek Aziz. Pourquoi est-il encore en place à la surprise générale ? «Outre ses compétences et ses relations, il aurait fourni des informations aux Américains», affirme une source diplomatique. Bref, l’épuration du Baas n’est donc pas aussi nette que les discours officiels américains. «Les anciens baassistes ont été chassés par la porte, mais ils vont revenir par la fenêtre», pronostique déjà un diplomate…



par Christian  Chesnot

Article publié le 23/06/2003