Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Arabie Saoudite

Arrestations mouvementées à La Mecque

L’arrestation d’islamistes présumés samedi et dimanche à La Mecque a provoqué des fusillades et fait plusieurs morts et blessés. Elle a aussi donné lieu à une transparence inhabituelle de la part des autorités.
Samedi soir, peu après 20 heures, dans le quartier résidentiel de Khaldiya à La Mecque, une voiture refuse de s’arrêter à un barrage de la police. Les occupants du véhicule ouvrent le feu sur les policiers qui les prennent en chasse. Lors de cette course poursuite à travers les rues de Khaldiya, deux policiers tombent sous les balles des fuyards. Ces derniers mènent leurs poursuivants à un immeuble de trois étages à l’intérieur duquel ils se barricadent dans un appartement.

La fusillade reprend. L’immeuble, criblé de balles, est encerclé par les véhicules des forces de l’ordre et les ambulances. Lorsque les échanges de coup de feu prennent fin vers 21 h 30, cinq des «terroristes» sont morts. Les blessés de deux bords sont emmenés à l’hôpital Al Nour proche du lieu des affrontements. L’hôpital est surveillé par la police, des patrouilles sillonnent Khaldiya et d’autres quartiers de La Mecque. Jusqu’aux premières lueurs de l’aube, des hélicoptères de la police tourbillonnent autour de l’immeuble, braquant sur celui-ci de puissants projecteurs.

Selon la police, l’appartement était piégé et prêt à exploser. Dans celui-ci, les forces de l’ordre affirment avoir trouvé 72 bombes artisanales, des produits chimiques permettant de les confectionner, des mitraillettes et des munitions. Au moins cinq militants islamistes auraient été arrêtés à cette occasion, parmi lesquels deux Tchadiens, un Égyptien et un Saoudien. Pour les autorités saoudiennes, cette opération a permis d’éviter un attentat imminent contre des cibles non précisées. On notera cependant que l’immeuble où étaient retranchés les terroristes présumés se trouve à cinq kilomètres de la Grande Mosquée.

Dimanche, un nouveau raid policier dans un quartier périphérique de La Mecque a permis l’arrestation de quatre hommes armés qui ont été blessés lors de leur capture. Durant la journée de dimanche, les contrôles policiers se sont multipliés dans les rues de La Mecque, les policiers allant jusqu’à contrôler le contenu des sacs à main des femmes, ce qui est extraordinaire dans un pays comme l’Arabie saoudite où la ségrégation des sexes est poussée jusqu’à l’extrême.

Ce n’est que le dernier en date des affrontements qui ont opposé depuis plusieurs semaines les extrémistes islamistes aux forces de l’ordre. Début mai, le ministre de l’Intérieur avait annoncé la découverte d’une cache d’armes et publié la liste de 19 islamistes saoudiens en fuite. Quelques jours plus tard, le 12 mai, les attentats suicides de Ryad faisaient plus de 30 morts et 20 blessés. Parmi les auteurs de l’attentat tués dans l’explosion de leurs véhicules, on relevait six des dix-neuf fugitifs.

Presque une révolution

Le 28 mai, la police saoudienne arrêtait dans la ville sainte de Médine 11 suspects, parmi lesquels trois dignitaires religieux et trois femmes. Le 31 mai, un autre auteur présumé des attentats était tué dans une fusillade à Haïl, dans le nord du pays. Il portait sur lui une lettre attribuée à Oussama Ben Laden.

Le prince Nayef, ministre de l’Intérieur, s’est déclaré convaincu que les auteurs des attentats du 12 mai sont des membres d’Al-Qaïda. L’Arabie Saoudite, longtemps critiquée aux États-Unis pour sa réticence à s’en prendre aux fondamentalistes religieux qui constituent le cœur du régime, semble mettre les bouchées doubles. Il s’agit bien sûr de répondre aux pressions de Washington. Mais c’est aussi la réponse d’un régime menacé de l’intérieur qui se bat pour sa survie. La semaine dernière, le pouvoir a annoncé la suspension d’un millier d’imams et le licenciement de 350 d’entre eux (en Arabie, les imams sont fonctionnaires d’État) pour avoir prononcé des prêches intolérants.

Quelque chose de profond est donc en train de se produire dans ce royaume conservateur. Le plus surprenant est d’ailleurs que les événements de La Mecque ont été révélés par la presse dès le dimanche, avant que vienne la confirmation par un communiqué officiel du ministère de l’Intérieur. Certes, la poursuite et les fusillades ayant eu lieu en pleine ville, les témoins étaient nombreux et il aurait été difficile de faire le silence. Il n’empêche qu’en rendant compte de l’événement, en faisant parler les témoins, et en révélant des informations qui n’étaient pas encore officielles, la presse saoudienne a rempli un rôle auquel elle n’avait pas habitué ses lecteurs. D’autant que depuis plusieurs semaines, on peut également lire d’étonnants éditoriaux dans lesquels le rôle de l’enseignement religieux dispensé en Arabie est ouvertement mis en cause, ainsi que le rapport du royaume au monde extérieur.

Au royaume du silence et de la rumeur qu’était l’Arabie Saoudite, c’est presque une révolution.



par Olivier  Da Lage

Article publié le 16/06/2003