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Proche-Orient

Sharon pose les jalons pour une «liquidation» d’Arafat

Personne ne pourra dire qu’Israël n’avait pas prévenu le monde de ses intentions. Réuni la semaine dernière, le cabinet de sécurité israélien a en effet ouvertement annoncé sa décision de «se débarrasser» («remove» : re-tirer) de Yasser Arafat qualifié d’«obstacle absolu à la paix». Le tollé provoqué dans la communauté internationale par cette décision n’a pas empêché les ministres radicaux du gouvernement Sharon de faire monter d’un cran la menace en affirmant que l’Etat hébreu étudiait la possibilité d’éliminer physiquement le vieux leader. «Son expulsion est une option et sa liquidation en est une autre», a notamment ouvertement déclaré le vice-Premier ministre Ehud Olmert. Cette menace est prise très au sérieux par les Palestiniens qui en ont appelé à l’intervention de la communauté internationale.
Pour qui connaît bien le Premier ministre israélien, Ariel Sharon ne fait jamais rien au hasard. Dans ce contexte, que signifie donc la décision du cabinet israélien de «se débarrasser» du président de l’Autorité palestinienne, Yasser Arafat ? Pour certains, le leader du Likoud, en laissant adopter une telle mesure, n’a fait que donner du grain à moudre aux ministres radicaux de son gouvernement. Il ne pourra en effet plus être accusé d’être trop laxiste avec les Palestiniens. Ariel Sharon, qui s’est pour l’instant gardé de faire le moindre commentaire public sur le sujet, peut en outre mesurer la réaction de son fidèle allié américain et le cas échéant apparaître comme un modéré en s’opposant aux éléments radicaux de son mouvement. Une manière très fine de lâcher la soupape de ses ministres les plus à droite et de leur faire sentir que le dernier mot ne lui appartient pas mais bien aux Américains.

Le Premier ministre israélien laisse donc pour l’instant les faucons de la droite occuper le devant de la scène et rivaliser de déclarations choc. Dès dimanche Ehoud Olmert, le vice-Premier ministre connu pour être très proche d’Ariel Sharon, affirmait que «Yasser Arafat orchestrait le terrorisme et qu’Israël devait agir pour l’empêcher de continuer à nuire». «Son expulsion est une option, sa liquidation en est une autre», déclarait-il haut et fort à l’issue de la réunion hebdomadaire du cabinet israélien. Sa collègue de l’Education nationale, Limor Livnat, surenchérissait en soulignant qu’il n’y avait «pas de différence entre Saddam Hussein, ben Laden, cheikh Yassine ou Arafat». «En dépit de nos importants liens d’amitié avec les Américains, nous ne pouvons accepter qu’ils nous donnent des ordres», a-t-elle même insisté.

Le tollé provoqué par cette décision sur la scène internationale a fait dire à certains analystes israéliens que le cabinet Sharon avait pris une décision «stupide» qui a non seulement permis à Arafat de renaître de ses cendres mais aussi à Israël de prêter le flanc à toutes les critiques. Rien n’est toutefois moins sûr et le geste d’Ariel Sharon, loin d’être stupide, est à en croire certains observateurs parfaitement calculé. Les Palestiniens prennent d’ailleurs très au sérieux la menace israélienne.

«Israël n’est pas stupide»

«Il y a des déclarations israéliennes publiques et nous ne les prenons pas à la légère», a ainsi déclaré Mohammed Dahlan, le ministre délégué aux affaires sécuritaires du gouvernement sortant. Selon lui, en effet, l’Etat hébreu «veut» se débarrasser de Yasser Arafat et «n’attend qu’une occasion pour le faire». La direction palestinienne, a-t-il ajouté «ne doit pas prendre à la légère tout ce qui émane du gouvernement israélien car c’est un gouvernement de droite extrémiste». L’ancien bras droit de Mahmoud Abbas estime en outre qu’«Israël n’est pas stupide et a parfaitement conscience qu’en portant atteinte au président Arafat ou en l’expulsant, il laissera la porte grande ouverte à un conflit sanglant et anéantira les chances d’une relance du processus de paix».

Cette analyse est largement partagée par l’écrivain israélien Uri Avnery pour qui Ariel Sharon a parfaitement calculé les conséquences d’une liquidation du président de l’Autorité palestinienne. Selon lui, «la décision légitimant l’assassinat de Yasser Arafat est en elle-même un acte politique de grande portée puisqu’elle vise à habituer la communauté israélienne et internationale à cette idée». Une méthode dont le Premier ministre israélien a déjà par le passé usé et abusé. N’a-t-elle pas permis en effet à l’armée israélienne de réoccuper petit à petit la quasi-totalité de la Cisjordanie alors qu’à l’origine elle se contentait de multiplier les incursions avant de se retirer ? Sans compter que l’assassinat de Yasser Arafat permettrait d’enterrer définitivement les accords d’Oslo –qu’Ariel Sharon dès son arrivée au pouvoir avait déclaré «moribonds»– et par-là même d’en finir avec le seul homme qui avait le charisme politique et moral pour faire accepter à son peuple l’idée de deux Etats vivant côte à côte.

Dans ce contexte, la mort de Yasser Arafat signifierait la fin de l’Autorité palestinienne et ouvrirait la voie à tous les extrémismes. Le négociateur palestinien Saëb Erakat prédit en effet un bain de sang dans tous les territoires. «Ma ville natale Jéricho tomberait entre les mains des milices palestiniennes tout comme Naplouse ou Khan Younès. Et la première chose qu’elles feront sera probablement de venir à mon bureau pour me tuer. Ils tueront également tous les modérés palestiniens», a-t-il déclaré.

Le militant pacifiste Uri Avnery affirme en outre qu’Ariel Sharon a parfaitement conscience de toutes ces conséquences qui pourraient découler de la liquidation de Yasser Arafat. Selon lui, le Premier ministre veut provoquer «un clash historique entre le sionisme et le peuple palestinien», ce qui lui permettrait prendre le contrôle total dans les territoires et accélérer une colonisation qui à terme pousserait les Palestiniens une nouvelle fois sur le chemin de l’exode. Un scénario catastrophe mais qui aurait, selon lui, des chances d’aboutir, sans une intervention forte de la communauté internationale.



par Mounia  Daoudi

Article publié le 15/09/2003