Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Ethiopie

Guerre froide

Le Premier ministre éthiopien, Meles Zenawi juge «totalement illégal, injuste et irresponsable» l’arbitrage «sans appel» rendu le 13 avril 2002 à la Haye par la Commission frontalière indépendante (EEBC) qui attribue à l’Erythrée la localité de Badmé, le casus belli de 1998. C’est «inacceptable», selon Meles Zenawi qui a écrit le 19 septembre au Conseil de sécurité, évoquant une menace de «guerres récurrentes» et d’instabilité régionale. En fait, pour l’Ethiopie, Badmé est un enjeu de politique intérieure. Ses objections ont déjà provoqué par deux fois le report du marquage physique de la frontière. L’Onu entend qu’il démarre en octobre.
«Guerre ou paix?» entre l’Ethiopie et l’Erythrée, s’interroge l’organe indépendant de réflexion sur la résolution des conflits, International crisis group (ICG), dans un rapport publié le 24 septembre. Les semaines à venir seront décisives, explique ICG. «Reprendre la guerre – qui a emporté quelque 100 000 vies entre 1998 et 2000 – ou consolider l’accord de paix» signé à Alger en décembre 2000, la balle est largement dans le camp éthiopien qui a jusqu’à présent freiné des quatre fers la démarcation physique de la frontière depuis que la commission d’arbitrage, l’EEBC, a situé en Erythrée la localité de Badmé (à l’ouest de la frontière entre les deux pays). Comme en avaient convenu les anciens belligérants dans leur accord de paix, la décision de l’EEBC est «finale et obligatoire». Le Premier ministre éthiopien, Meles Zenawi, n’hésite pas pour autant à la contester officiellement cinq mois plus tard comme étant «un facteur d’instabilité et même de guerres récurrentes».

Le 15 juillet dernier, l’EEBC a fixé à octobre le début des travaux de bornage au sol du tracé frontalier initialement prévus à mai 2003 et déjà repoussés en vain à juillet dernier. La nouvelle échéance approchant, le chef du gouvernement éthiopien, Meles Zenawi, en appelle cette fois à la responsabilité du Conseil de sécurité dans la prévention des conflits et demande la création d’un nouvel organe d’arbitrage, c’est-à-dire ni plus ni moins un désaveu international de l’EEBC. L’Erythrée dénonce pour sa part une violation éthiopienne «de l’accord d’Alger menaçant par conséquent l’évolution de tout le processus de paix» dont la démarcation devait être le dernier chapitre. Et, tandis que Zenawi estime que la commission d’arbitrage est en «crise terminale», sur le terrain, les responsables de la Minue reconnaissent que le processus de paix traverse sa «phase la plus critique».

Avertissement onusien

Le 12 septembre, en prorogeant pour six mois (jusqu’au 15 mars 2004) la mission de l’Onu en Ethiopie et en Erythrée (Minue), le Conseil de sécurité demandait à l’Ethiopie et à l’Erythrée de coopérer «sans réserve et sans plus tarder» avec l’EEBC – qu’ils ont volontairement créée et dont ils ont eux-mêmes choisi les membres – et surtout d’appliquer «intégralement» ses décisions concernant la démarcation. En même temps, le Conseil évoquait le rapport du secrétaire général, Kofi Annan, qui le 4 septembre dernier constatait «l’absence de progrès dans les relations de bons voisinages entre les deux pays». Kofi Annan relevait en particulier toute une série «d’incidents locaux» imputables à l’Ethiopie dans la Zone de sécurité temporaire, une zone tampon «démilitarisée» de 25 kilomètres de large. Selon Kofi Annan, troupes régulières et milices éthiopiennes auraient multipliés les incursions dans cette zone interdite à leurs éléments ces dernières semaines. Un avertissement auquel Addis-Abeba est resté sourd.

Côté érythréen, le ton est monté aussi d’un cran, Asmara estimant que Badmé risque de servir de «prétexte à une deuxième guerre», mais surtout que toute cette affaire «montre que la guerre n’a jamais été une question de frontières et que ce que recherche l’Ethiopie, c’est la désintégration de l’Erythrée». De fait, Badmé est un symbole gigogne pour le pouvoir tigréen qui règne à Addis-Abeba. La reconquête de Badmé lui a servi d’argument principal pour légitimer une guerre dans laquelle la remuante communauté oromo a payé un lourd tribut. Le Front de libération oromo avait revendiqué au début de l’année un attentat à la gare de Dire Dawa. Ce 26 septembre, les regards se sont tournés vers lui après l’explosion d’une bombe dans un train de passagers à Adigale, au Nord-Est de l’Ethiopie.

Même s’il n’était pas inattendu, le verdict international sur Badmé frappe le régime au cœur de sa rhétorique nationaliste. En difficulté au plan intérieur, il riposte par une surenchère verbale. Le conflit de souveraineté sur Badmé renvoie en effet à la question de l’émancipation de l’Erythrée du giron éthiopien, en 1993, et très concrètement à la perte du débouché maritime du port d’Assab pour Addis-Abeba. Dans la perspective des élections de 2005, une quinzaine de partis d’opposition se sont déjà réunis autour d’une plate-forme commune axée sur la contestation de la fameuse démarcation du tracé frontalier. Cette stratégie électorale inquiète au premier chef Meles Zenawi également en butte à une contestation interne à son propre parti, le Front de libération du peuple tigréen (FLPT) sur ce même terrain.

Au total, Kofi Annan n’estime «pas envisageable» de revenir de quelque manière que ce soit sur la décision de l’EEBC parce qu’il faudrait revoir entièrement les processus de paix et «cela signifierait aussi que l’on sortirait complètement du droit international». Du reste, il faudrait aussi convaincre Asmara qui ne veut rien renégocier. ICG estime quand même qu’une intervention diplomatique internationale est urgente, pour ne pas donner à penser que «la communauté internationale s’intéresse seulement à l’Afrique quand la guerre éclate». Elle suggère aussi l’ouverture de négociations sur le crucial problème du débouché portuaire de l’Ethiopie. Mais finalement, la plupart des observateurs estiment que ni l’Ethiopie, ni l’Erythrée ne souhaitent véritablement une nouvelle épreuve de force militaire, dont leurs régimes respectifs n’ont guère les moyens. Il est clair en revanche que chacun d’entre eux persiste à soutenir l’opposition armée de son adversaire et que l’impact régional de leur querelle est réel. Pour le moment, c’est une guerre froide qui bat son plein entre l’Ethiopie et l’Erythrée.



par Monique  Mas

Article publié le 27/09/2003