Suisse
La vague populiste gagne la Confédération
La Suisse est à son tour touchée par la vague populiste qui affecte l’Europe depuis une dizaine d’années. A l’issue des élections législatives de dimanche, le parti Union démocratique du centre, du milliardaire Christoph Blocher, est devenu la première formation du pays. Le paysage politique helvétique pourrait s’en trouver transformer dans les semaines qui viennent.
Le scrutin législatif de dimanche a confirmé la solidité de l’implantation de la droite populiste dans le paysage politique du pays. L’Union démocratique du centre (UDC) a progressé et obtenu plus de 27% des suffrages exprimés. Le parti de l’industriel milliardaire Christoph Blocher dispose désormais de 55 sièges sur les 200 que compte le Conseil national, la chambre basse du parlement. C’est 11 sièges de plus qu’à l’issue des précédentes législatives, en 1999. C’est deux sièges de mieux que le Parti socialiste (qui en obtient donc 53, contre 51 dans l’assemblée sortante). Les Verts gagnent 4 sièges supplémentaires et obtiennent 13 députés. Les grands perdants sont les partis de la droite traditionnelle. L’excellent résultat de l’UDC a en effet été acquis au détriment du Parti démocrate-chrétien (PDC) et du Parti radical démocratique (PRD) qui perdent chacun sept sièges et s’installent dans la nouvelle chambre basse avec respectivement 28 et 36 sièges. Moins de la moitié du corps électoral (45%) a participé à l’élection des députés, conformément aux usages politiques en Suisse.
Cette nouvelle donne est ressentie comme un bouleversement et une menace sur la stabilité du système politique. Les observateurs estiment en effet que le mode de gestion consensuel qui caractérisait la Suisse depuis 44 ans ne résistera pas à cette installation durable de l’UDC dans le panorama politique. Depuis 1959 en effet, les Suisses répartissent entre quatre formations (PS, PDC, PRD, UDC) leurs 7 postes ministériels selon un savant dosage, appelé «formule magique», qui accorde systématiquement depuis cette date deux postes à chacun des principaux partis et un poste à l’UDC. Or le succès de l’UDC menace de déstabiliser ce compromis : devenue la première formation sur l’échiquier helvétique, elle revendique désormais un deuxième poste ministériel qu’aucun des autres partis n’est disposé à lui abandonner.
Le renouvellement des mandats ministériels, le 10 décembre, risque de donner lieu à une foire d’empoigne très inhabituelle dans ce pays ordinairement réputé pour le caractère indéréglable de ses mécaniques de haute précision. Si les Suisses décident de ne rien bouleverser, avec le maintien d’un seul ministre au gouvernement le poids de la formation restera marginal sur le plan institutionnel.
En revanche, fort de sa légitimité, il redoublera d’activité au sein d’une société civile suisse qui dispose de ses propres outils institutionnels (référendum) pour faire aboutir ses revendications. Si les Suisses décident d’accorder à l’UDC deux ministères (et, en conséquence, d’en retirer un à l’un des partis sociaux-démocrates perdants), alors il faudra s’attendre à une influence plus déterminante des thèmes de l’UDC dans la gestion quotidienne du pays. Enfin dernière hypothèse : la gauche (PS + Verts) quittent le gouvernement et entrent dans l’opposition, cas de figure également inédit depuis 1959.
Phénomène européen
Indépendamment de cette bataille institutionnelle, il y a également un enjeu politique. L’UDC appartient à cette catégorie de partis émergents depuis une dizaine d’années dans le paysage européen, caractérisés par un discours populiste, nationaliste, ultra-libéral et anti-immigration. Aux Pays-Bas, en Autriche, au Danemark, en Italie et maintenant en Suisse ces partis ont fait des apparitions remarquables, agaçant l’establishment sans toutefois jamais vraiment bouleverser, ni en profondeur, ni dans la durée, les rapports de forces. Ces formations sont incarnées par des leaders stéréotypés, en général charismatiques et richissimes, qui après avoir rejoint le cercle politique institutionnel, finissent par décevoir et entament à leur tour une phase de déclin. Mais auparavant ils auront tenté de détourner à leur profit, avec quelques succès parfois, les déceptions et mécontentements des classes moyennes, les premières en général à accuser les premiers coups frein à la croissance et les effets pervers du dumping social d’une économie mondialisée sur l’activité nationale.
La Suisse elle-même n’est à l’abri d’aucun des handicaps qui menacent ses voisins. Bien que son taux de chômage reste très faible (moins de 5%), ses entreprises sont également affectées par le ralentissement. Et, dans le contexte, tout demandeur d’asile qui obtient un emploi peut vite devenir un voleur de travail. Car si le mirage helvétique continue d’agir à l’extérieur, à l’intérieur les Suisses doutent. Entre la disparition de la Swissair, la désagrégation du secret bancaire et le dynamisme des entreprises étrangères, ils se laissent aller à imaginer qu’ils déclinent eux aussi. Et que l’Europe, à laquelle ils n’appartiennent pas et qui était au centre de la campagne électorale législative il y a quatre ans, est aujourd’hui comparée à une machine de guerre qui contraint Berne à des abandons successifs de souveraineté en échange d’une hypothétique prise de participation aux revenus de la croissance au sein de l’Union européenne dont la capacité d’attraction s’est effondrée à mesure que le «moteur» franco-allemand donnait des signes d’indiscipline.
A écouter :
Eric Bertinat, Secrétaire général de l'UDC
Invité de Pierre Ganz (20/10/2003).
Cette nouvelle donne est ressentie comme un bouleversement et une menace sur la stabilité du système politique. Les observateurs estiment en effet que le mode de gestion consensuel qui caractérisait la Suisse depuis 44 ans ne résistera pas à cette installation durable de l’UDC dans le panorama politique. Depuis 1959 en effet, les Suisses répartissent entre quatre formations (PS, PDC, PRD, UDC) leurs 7 postes ministériels selon un savant dosage, appelé «formule magique», qui accorde systématiquement depuis cette date deux postes à chacun des principaux partis et un poste à l’UDC. Or le succès de l’UDC menace de déstabiliser ce compromis : devenue la première formation sur l’échiquier helvétique, elle revendique désormais un deuxième poste ministériel qu’aucun des autres partis n’est disposé à lui abandonner.
Le renouvellement des mandats ministériels, le 10 décembre, risque de donner lieu à une foire d’empoigne très inhabituelle dans ce pays ordinairement réputé pour le caractère indéréglable de ses mécaniques de haute précision. Si les Suisses décident de ne rien bouleverser, avec le maintien d’un seul ministre au gouvernement le poids de la formation restera marginal sur le plan institutionnel.
En revanche, fort de sa légitimité, il redoublera d’activité au sein d’une société civile suisse qui dispose de ses propres outils institutionnels (référendum) pour faire aboutir ses revendications. Si les Suisses décident d’accorder à l’UDC deux ministères (et, en conséquence, d’en retirer un à l’un des partis sociaux-démocrates perdants), alors il faudra s’attendre à une influence plus déterminante des thèmes de l’UDC dans la gestion quotidienne du pays. Enfin dernière hypothèse : la gauche (PS + Verts) quittent le gouvernement et entrent dans l’opposition, cas de figure également inédit depuis 1959.
Phénomène européen
Indépendamment de cette bataille institutionnelle, il y a également un enjeu politique. L’UDC appartient à cette catégorie de partis émergents depuis une dizaine d’années dans le paysage européen, caractérisés par un discours populiste, nationaliste, ultra-libéral et anti-immigration. Aux Pays-Bas, en Autriche, au Danemark, en Italie et maintenant en Suisse ces partis ont fait des apparitions remarquables, agaçant l’establishment sans toutefois jamais vraiment bouleverser, ni en profondeur, ni dans la durée, les rapports de forces. Ces formations sont incarnées par des leaders stéréotypés, en général charismatiques et richissimes, qui après avoir rejoint le cercle politique institutionnel, finissent par décevoir et entament à leur tour une phase de déclin. Mais auparavant ils auront tenté de détourner à leur profit, avec quelques succès parfois, les déceptions et mécontentements des classes moyennes, les premières en général à accuser les premiers coups frein à la croissance et les effets pervers du dumping social d’une économie mondialisée sur l’activité nationale.
La Suisse elle-même n’est à l’abri d’aucun des handicaps qui menacent ses voisins. Bien que son taux de chômage reste très faible (moins de 5%), ses entreprises sont également affectées par le ralentissement. Et, dans le contexte, tout demandeur d’asile qui obtient un emploi peut vite devenir un voleur de travail. Car si le mirage helvétique continue d’agir à l’extérieur, à l’intérieur les Suisses doutent. Entre la disparition de la Swissair, la désagrégation du secret bancaire et le dynamisme des entreprises étrangères, ils se laissent aller à imaginer qu’ils déclinent eux aussi. Et que l’Europe, à laquelle ils n’appartiennent pas et qui était au centre de la campagne électorale législative il y a quatre ans, est aujourd’hui comparée à une machine de guerre qui contraint Berne à des abandons successifs de souveraineté en échange d’une hypothétique prise de participation aux revenus de la croissance au sein de l’Union européenne dont la capacité d’attraction s’est effondrée à mesure que le «moteur» franco-allemand donnait des signes d’indiscipline.
A écouter :
Eric Bertinat, Secrétaire général de l'UDC
Invité de Pierre Ganz (20/10/2003).
par Georges Abou
Article publié le 20/10/2003