RFI
Jean Hélène, l’Afrique au coeur
Qu’il ait été un amoureux de l'Afrique, la formule revêt dans son cas une sorte d’évidence. Jean Hélène aura en effet passé plus d’une décennie sur un continent qu’il découvre en 1990 lorsqu’il s’installe à Nairobi comme correspondant pigiste pour plusieurs médias, notamment RFI. S’il a déjà le goût des voyages en solitaire, il trouve, comme journaliste, en Afrique de l’est une vocation à sa mesure dans une région soumise à tant de conflits souvent sanglants, qu’il s’efforce de couvrir avec retenue tout en montrant ce sens du « terrain » qui ne s’est jamais démenti.
Doté d’un vaste domaine géographique où les journalistes francophones sont encore peu nombreux à exercer, il parcourt inlassablement toute l’Afrique orientale, du Soudan à la Tanzanie, de Djibouti à Madagascar, pour RFI et le quotidien Le Monde. Il assiste aux premières manifestations de ce qui deviendra la crise des Grands Lacs, se rend maintes fois au Burundi et au Rwanda où il suit le génocide des Tutsis, n’échappe pas aux polémiques qui naissent entre les forces politiques et les médias, au point de devoir limiter ses déplacements dans les deux pays meurtris.
Rentré, non sans nostalgie, en 1998 à Paris où il intègre la rédaction Afrique de RFI, il continue à effectuer de nombreux reportages sur le continent. Il fait alors connaissance avec l’Afrique de l’ouest, voyage notamment au Burkina, au Mali, retourne aussi en Afrique de l’Est, avant de saisir l’occasion qui lui est offerte de se réinstaller en poste : c’est, en 1999, à Libreville où il devient correspondant régional pour l’Afrique centrale. Là encore, c’est un nouveau domaine qu’il parcourt avec la même passion pour le reportage, les expéditions dans le pays profond, les «sujets» qui mettent en scène la vie des populations.
Retour en Afrique…
Son passage à Libreville est relativement court, mais il reconnaît s’y sentir dans son élément, noue de nombreuses amitiés avant d’être appelé, deux ans plus tard, à diriger la rédaction Afrique de RFI. Il n’accepte pas la proposition sans appréhension, conscient qu’il lui faut abandonner ses terres de prédilection pour des tâches de gestion d’un service, dont il doit s’acquitter dans une période de fortes turbulences internes à la radio. Après cette expérience qui ne lui laisse pas que de bons souvenirs, il demande à repartir en poste. Ce sera Abidjan, dans cette Côte d’Ivoire où il a déjà effectué plusieurs missions, où RFI a besoin d’un professionnel éprouvé, capable de rendre compte avec mesure d’une situation caractérisée par des tensions politiques extrêmes. Il s’y rend en mars 2003, et accomplit son travail avec sobriété et méthode, très soucieux de délivrer une information équilibrée dans un contexte où RFI est souvent pris à partie par les médias et les hommes politiques locaux. Bien sûr, il déplore d’être confiné le plus souvent dans la capitale, lui qui a besoin pour se sentir à l’aise des grands espaces et du contact avec les populations, et ne cache pas son souhait de retourner prochainement au Gabon, travailler dans une région qu’il avait spontanément adopté. Le principe en avait été accepté par sa direction.
Amoureux de l’Afrique, on l’a dit, passionné de reportage, Jean Hélène était un type de baroudeur assez paradoxal. S’il avait parcouru des milliers de kilomètres dans des situations matérielles souvent aléatoires, s’il était doté d’une grande résistance physique et d’un courage incontestable, il restait le plus souvent discret sur ses expéditions accomplies maintes fois en solitaire. D’un caractère réservé, il ne se mettait jamais en scène, parlait peu, ne montrant guère qu’ un petit sourire en coin lorsqu’une anecdote l’amusait. Secret, oui, reconnaissent la plupart de ses collègues, ne se livrant que rarement, peu disert sur sa famille, ses goûts, il avait pourtant noué un grand nombre d’amitiés tout au long de ses pérégrinations, et des témoignages émus après sa disparition sont souvent venus de gens humbles avec qui il avait spontanément sympathisé. Bon vivant au demeurant, amateur de bonnes bouteilles et de virées nocturnes, il avait cette retenue calme et cordiale qui lui venait peut-être de son milieu familial protestant, dans cette Alsace natale où il se rendait à chacun de ses passages en France. Ses passions n’étaient guère expansives : il adorait cependant la photographie et se montrait un collectionneur inlassable d’objets d’art ou d’artisanat africain qu’ il n’hésitait pas, se souvient un ami, même fort encombrants à ramener du moindre de ses déplacements.
Et puis il était d’une générosité inépuisable, revenait vers les siens, ses voisins ou de simples relations avec des sacs chargés de cadeaux, attachait peu d’importance à l’argent, dépensait sans compter, surtout soucieux d’amitié et de petits gestes d’attachement. Une de ses collègues se souvient, non sans effroi, l’avoir vu exploser de colère un soir à Nairobi, alors qu’il manquait de monnaie pour rétribuer un gardien de parking… Tel autre se souvient d’un marchandage effréné avec un vendeur d’artisanat, au Mali, le journaliste finissant par céder, au terme du concours, la forte somme qui ne lui était plus réclamée… Paradoxal Jean Hélène, encore, qui avait adopté un pseudonyme de plume, quand son nom réel (Christian Baldensperger) lui paraissait imprononçable, et qui s’était tellement identifié à son nouveau nom que ses amis ne savaient plus comment l’appeler… Paradoxal toujours, lorsque transparaissaient certains sentiments profonds : Jean avait été marié à Nairobi avec Lugia, dont il était séparé depuis plusieurs années. Tous deux restaient liés, s’appelaient sans cesse, quand notre ami voyageur ne semblait guère se soucier de reconstruire une vie affective stable.
Souvenirs enfin de derniers échanges, lors de son passage à Paris, quelques jours seulement avant sa mort, et de longues discussions sur la Côte d’Ivoire dont il s’efforçait de deviner le destin. Soucieux de mieux comprendre, il était attentif à toutes les explications, se demandait avec ses interlocuteurs ce que valait telle ou telle grille de lecture, appliquée à un pays qui n’était pas le plus cher à son cœur, mais auprès duquel il accomplissait sans arrière-pensée sa mission, qu’il souhaitait avant tout rigoureuse et honnête. Sa famille, ses amis, ses nombreux copains l’ont perdu. La Côte d’Ivoire aurait bien des raisons, elle aussi, de le regretter.
Rentré, non sans nostalgie, en 1998 à Paris où il intègre la rédaction Afrique de RFI, il continue à effectuer de nombreux reportages sur le continent. Il fait alors connaissance avec l’Afrique de l’ouest, voyage notamment au Burkina, au Mali, retourne aussi en Afrique de l’Est, avant de saisir l’occasion qui lui est offerte de se réinstaller en poste : c’est, en 1999, à Libreville où il devient correspondant régional pour l’Afrique centrale. Là encore, c’est un nouveau domaine qu’il parcourt avec la même passion pour le reportage, les expéditions dans le pays profond, les «sujets» qui mettent en scène la vie des populations.
Retour en Afrique…
Son passage à Libreville est relativement court, mais il reconnaît s’y sentir dans son élément, noue de nombreuses amitiés avant d’être appelé, deux ans plus tard, à diriger la rédaction Afrique de RFI. Il n’accepte pas la proposition sans appréhension, conscient qu’il lui faut abandonner ses terres de prédilection pour des tâches de gestion d’un service, dont il doit s’acquitter dans une période de fortes turbulences internes à la radio. Après cette expérience qui ne lui laisse pas que de bons souvenirs, il demande à repartir en poste. Ce sera Abidjan, dans cette Côte d’Ivoire où il a déjà effectué plusieurs missions, où RFI a besoin d’un professionnel éprouvé, capable de rendre compte avec mesure d’une situation caractérisée par des tensions politiques extrêmes. Il s’y rend en mars 2003, et accomplit son travail avec sobriété et méthode, très soucieux de délivrer une information équilibrée dans un contexte où RFI est souvent pris à partie par les médias et les hommes politiques locaux. Bien sûr, il déplore d’être confiné le plus souvent dans la capitale, lui qui a besoin pour se sentir à l’aise des grands espaces et du contact avec les populations, et ne cache pas son souhait de retourner prochainement au Gabon, travailler dans une région qu’il avait spontanément adopté. Le principe en avait été accepté par sa direction.
Amoureux de l’Afrique, on l’a dit, passionné de reportage, Jean Hélène était un type de baroudeur assez paradoxal. S’il avait parcouru des milliers de kilomètres dans des situations matérielles souvent aléatoires, s’il était doté d’une grande résistance physique et d’un courage incontestable, il restait le plus souvent discret sur ses expéditions accomplies maintes fois en solitaire. D’un caractère réservé, il ne se mettait jamais en scène, parlait peu, ne montrant guère qu’ un petit sourire en coin lorsqu’une anecdote l’amusait. Secret, oui, reconnaissent la plupart de ses collègues, ne se livrant que rarement, peu disert sur sa famille, ses goûts, il avait pourtant noué un grand nombre d’amitiés tout au long de ses pérégrinations, et des témoignages émus après sa disparition sont souvent venus de gens humbles avec qui il avait spontanément sympathisé. Bon vivant au demeurant, amateur de bonnes bouteilles et de virées nocturnes, il avait cette retenue calme et cordiale qui lui venait peut-être de son milieu familial protestant, dans cette Alsace natale où il se rendait à chacun de ses passages en France. Ses passions n’étaient guère expansives : il adorait cependant la photographie et se montrait un collectionneur inlassable d’objets d’art ou d’artisanat africain qu’ il n’hésitait pas, se souvient un ami, même fort encombrants à ramener du moindre de ses déplacements.
Et puis il était d’une générosité inépuisable, revenait vers les siens, ses voisins ou de simples relations avec des sacs chargés de cadeaux, attachait peu d’importance à l’argent, dépensait sans compter, surtout soucieux d’amitié et de petits gestes d’attachement. Une de ses collègues se souvient, non sans effroi, l’avoir vu exploser de colère un soir à Nairobi, alors qu’il manquait de monnaie pour rétribuer un gardien de parking… Tel autre se souvient d’un marchandage effréné avec un vendeur d’artisanat, au Mali, le journaliste finissant par céder, au terme du concours, la forte somme qui ne lui était plus réclamée… Paradoxal Jean Hélène, encore, qui avait adopté un pseudonyme de plume, quand son nom réel (Christian Baldensperger) lui paraissait imprononçable, et qui s’était tellement identifié à son nouveau nom que ses amis ne savaient plus comment l’appeler… Paradoxal toujours, lorsque transparaissaient certains sentiments profonds : Jean avait été marié à Nairobi avec Lugia, dont il était séparé depuis plusieurs années. Tous deux restaient liés, s’appelaient sans cesse, quand notre ami voyageur ne semblait guère se soucier de reconstruire une vie affective stable.
Souvenirs enfin de derniers échanges, lors de son passage à Paris, quelques jours seulement avant sa mort, et de longues discussions sur la Côte d’Ivoire dont il s’efforçait de deviner le destin. Soucieux de mieux comprendre, il était attentif à toutes les explications, se demandait avec ses interlocuteurs ce que valait telle ou telle grille de lecture, appliquée à un pays qui n’était pas le plus cher à son cœur, mais auprès duquel il accomplissait sans arrière-pensée sa mission, qu’il souhaitait avant tout rigoureuse et honnête. Sa famille, ses amis, ses nombreux copains l’ont perdu. La Côte d’Ivoire aurait bien des raisons, elle aussi, de le regretter.
par Thierry Perret
Article publié le 22/10/2003