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Asie

Un sommet entre espoir et déceptions

Les pays de l’Association des nations d’Asie du sud-est (Asean), réunis à Bali, ont signé un pacte devant conduire l’organisation à davantage d’intégration régionale. Mais ce neuvième sommet a aussi été marqué par le soutien apporté à la Birmanie, malgré le refus de la junte militaire de libérer l'opposante Aung San Suu Kyi.
De notre envoyé spécial

L’ambiance est solennelle quand les dix chefs d’État entrent dans l’auditorium du complexe hôtelier de Bali qui accueille le neuvième sommet de l’Asean. Assis en rang serré face à la presse, ils signent un accord qualifié d’historique. Bali Concorde II remplace Bali Concorde I signé en 1976. Les pays membres s’étaient alors engagés à promouvoir la coopération politique, économique, sociale et culturelle dans la région. Mais ces bonnes intentions avaient rarement été suivies d’effet et l’Asean a souvent été qualifiée d’organisation inefficace et inutile. Avec ce nouveau pacte, l’Association veut s’engager sur la voie d’une véritable intégration régionale. L’Asean n’est plus désormais une «communauté d’États» mais une «organisation intergouvernementale». Ce qui pourrait déboucher, à terme, sur deux réalisations concrètes: une structure de sécurité régionale et un marché économique commun.

L’idée d’une «communauté de sécurité» a été adoptée à l’initiative de l’Indonésie pour faire face aux menaces transnationales que sont le terrorisme ou la piraterie maritime Le lieu et la date de ce neuvième sommet ne sont d’ailleurs pas le fruit du hasard. En se réunissant dans ce paradis touristique, autrefois surnommé «l’île des dieux», un an après l’attentat qui a fait 202 morts, les dix pays membres (Birmanie, Brunei, Cambodge, Indonésie, Laos, Malaisie, Philippines, Singapour, Thaïlande et Vietnam) et leur quatre invités (Chine, Corée du sud, Inde, Japon) ont voulu afficher un front uni face à la Jemaah Islamiyah. Car cette organisation terroriste, proche d’Al-Qaïda, menace l’ensemble de la région. Elle a commis une quarantaine d’attentats en Indonésie et aux Philippines depuis 1999 tandis que des attaques étaient déjouées de justesse en Malaisie et à Singapour. La Thaïlande est aussi dans sa ligne de mire depuis l’arrestation en août dernier de l’Indonésien Hambali, considéré le cerveau de la Jemaah Islamiyah, qui préparait des attentats contre le forum économique Asie-Pacifique qui aura lieu à Bangkok les 20 et 21 octobre en présence de George W. Bush. «Le terrorisme est un danger pour tous les membres de l’Asean puisqu’il influe directement sur l'investissement étranger et le tourisme, les deux principaux moteurs de leur croissance» a ainsi résumé Bambang Yudhoyono, le ministre de la Sécurité indonésien.

Un marché commun à l’horizon 2020 ?

Sur le plan économique, l'Asean veut créer, d’ici à 2020, un marché commun de 530 millions d'habitants, fondé sur une libre circulation des biens, des services et des investissements. Ce marché commun est perçu comme une nécessité face à l’émergence du géant économique chinois et de son attractivité pour les capitaux étrangers Mais ce projet sera difficile à mettre en œuvre. Il se heurte notamment aux différences de développement entre des pays très avancés, comme Singapour et la Malaisie, ou bien très pauvres, comme le Laos et le Cambodge. De plus, l’échéance de 2020 est jugé trop lointaine par certains pays comme la Thaïlande et Singapour, qui font pression pour que ce marché voit le jour plus tôt. Cet espace de libre circulation économique devra se constituer sur le modèle de la Communauté économique européenne ont déclaré les participants. «De la CEE oui, mais pas de l’Union européenne» a néanmoins précisé le Premier ministre malaisien, Mahatir Mohammad, qui a souligné le caractère essentiel du principe de souveraineté nationale. Cette règle fait consensus au sein des pays de l’Association où le respect des droits de l’homme est rarement érigé en priorité nationale. Les Etats membres en ont fait l’éclatante démonstration en refusant de condamner la Birmanie pour le sort de l'opposante Aung San Suu Kyi.

L’ombre d'Aung San Suu Kyi

«Les sanctions internationales contre la Birmanie sont contre-productives car elles n'aident pas à promouvoir la stabilité nécessaire pour qu'une démocratie s'enracine» ont ainsi déclaré les chefs d’Etats. L’association va même plus loin en saluant «les évolutions positives» de Rangoon. Car la prix Nobel de la paix a été placée en résidence surveillée, il y a une semaine, après une mise au secret de 4 mois qui avait provoqué une avalanche de protestations internationales. L’Asean apporte aussi son soutien à la «feuille de route» du régime birman, un programme en sept points qui prévoit la tenu d’élections «justes et libres» et une nouvelle Constitution. Cette «feuille de route» qui «impliquera toutes les couches de la société birmane est une approche pragmatique et mérite la compréhension et le soutien» explique le communiqué de Bali. Mais personne n’est dupe. La position de l’Asean salue moins ce léger progrès qu’elle ne réaffirme clairement le principe de non-ingérence dans les affaires internes des États-membres. Oublié donc, les espoirs nés en juin dernier, lorsque les ministres des Affaires étrangères, réunis au Cambodge, avaient exigé la libération immédiate de la dissidente. Bref, la démocratie n’est toujours pas à l’agenda de l’Asean.

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par Jocelyn  Grange

Article publié le 08/10/2003