Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Laïcité

Entre voile et loi

Jacques Chirac, le président de la République, doit trancher d’ici le 17 décembre et décider si finalement la défense de la laïcité doit passer, en France, par une loi à laquelle 57 % des Français seraient favorables, selon un récent sondage de l’institut CSA. Dans l’attente de cette décision, les partisans et les adversaires de la solution législative font feu de tout bois pour faire entendre leur voix. De l’appel lancé par des femmes engagées dans le combat pour l’égalité des sexes publié par le magazine Elle afin de demander une loi, à la lettre ouverte adressée par les Eglises catholique, protestante et orthodoxe au président de la République pour y réaffirmer leur opposition, les initiatives se multiplient en vue de participer à un débat qui ne laisse personne indifférent.
«On ne peut accepter des signes ostentatoires, quels qu’ils soient, de prosélytisme religieux, quelle que soit la religion… Dans notre enseignement, la présence du voile a quelque chose d’agressif qui, bien qu’étant tout à fait minoritaire, pose un problème de principe… Il y a là une espèce de contestation des règles nationales qui ne peut pas être acceptée… Nous devrons d’une façon ou d’une autre faire respecter les principes laïcs». Le chef de l’Etat français, Jacques Chirac, a abordé l’un des sujets les plus sensibles actuellement dans l’Hexagone à l’occasion de son récent voyage en Tunisie. Il n’a pas donné son opinion définitive sur les moyens à employer, loi ou pas loi, mais il n’a pas caché que de son point de vue la situation ne pouvait rester telle quelle sans remettre en cause l’un des fondements de l’Etat: la laïcité.

Si la décision finale appartient à Jacques Chirac, le débat, lui, est ouvert à tous. Et la question qui est au cœur de la polémique concerne la nécessité de recourir à la loi pour interdire le port «ostentatoire», ou même simplement «visible» de signes religieux dans la cadre scolaire. Face à la multiplication des cas de jeunes filles musulmanes qui ont tenté de venir voilées au collège ou au lycée, et parfois aux difficultés éprouvées par les enseignants ou les responsables d’établissements pour résoudre le problème individuellement, la question de l’intérêt d’établir noir sur blanc des règles s’est posée.

Devant l’enjeu d’un tel débat, le gouvernement a décidé de consulter. Une commission a été créée sous la direction de Bernard Stasi pour étudier le meilleur moyen d’appliquer la laïcité dans la République. Elle doit rendre ses conclusions le 11 décembre à Jacques Chirac. Celles-ci viendront compléter le rapport, rendu le 4 décembre, par la mission d’information de l’Assemblée nationale sur les signes religieux à l’école, dirigée par Jean-Louis Debré, le président de l’Assemblée. Ces parlementaires ont, quant à eux, pris position à la majorité moins deux voix (les UMP Claude Goasguen et Bruno Bourg-Broc) en faveur d’une «modification législative» visant à interdire «tout signe visible d’appartenance religieuse ou politique dans les établissements scolaires».

Visibles ou ostentatoires ?

Cette position rejoint celle de la plupart des membres du gouvernement et du Parti socialiste qui l’a approuvée et a même demandé qu’elle soit complétée par «une charte de la laïcité définissant un équilibre entre droits et devoirs citoyens». Pour Jack Lang, par exemple, une loi «sera source d’apaisement des esprits et donnera aux chefs d’établissement une consigne indiscutable».

Mais tout le monde n’a pas la même interprétation du pouvoir pacificateur de la loi sur les esprits. Certains estiment qu’en légiférant, on prend le risque de renforcer les communautarismes. De nombreux opposants à la solution législative affirment même, comme le président du groupe UDF à l’Assemblée nationale Hervé Morin, que «la laïcité, c’est le respect des autres, des convictions» et que l’exclusion des jeunes filles voilées des établissements scolaires de la République aboutirait à les renvoyer vers dans les écoles coraniques.

Concernant le débat sur la laïcité, souvent résumé à la question du port du foulard, les clivages politiques traditionnels droite gauche ne sont plus d’actualité. Dans le camp des anti-loi, cohabitent avec des UDF, quelques UMP proches de Nicolas Sarkozy, des personnalités comme Marie-George Buffet, secrétaire nationale du Parti communiste, les représentants de SOS Racisme, du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP), la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) et les Eglises catholique, protestante, orthodoxe. Ces dernières ont d’ailleurs adressé une lettre ouverte à Jacques Chirac car elles estiment qu’une loi sur les signes religieux, qui concernerait aussi évidemment les croix ou étoiles de David, serait «discriminante» et aurait des «conséquences plus néfastes que les bienfaits escomptés».

Dans le contexte d’une éventuelle nouvelle législation, la question du champ d’application des dispositions se pose en effet à deux niveaux. D’abord, s’agira-t-il de signes «visibles» ou «ostentatoires». Dans ce dernier cas, à partir de quand atteint-on le stade ostentatoire et qui en jugera ? D’autre part, la loi s’appliquera-t-elle simplement à l’école ou l’étendra-t-on au service public en général ? Pour certains, il faut régler le problème globalement. Les femmes signataires de l’appel lancé dans le magazine Elle au président Chirac, parmi lesquelles la philosophe Elisabeth Badinter, l’actrice Isabelle Adjani, l’avocate Gisèle Halimi, la psychanalyste Julia Kristeva demandent «une loi appuyée par des décrets d’application, qui non seulement réaffirme le principe de laïcité en interdisant tous les signes visibles religieux à l’école et dans les services publics mais donne aussi clairement aux responsables de ces services publics les moyens juridiques de faire respecter le principe d’égalité des sexes».

Le moins que l’on puisse dire dans un contexte où le débat sur la laïcité touche à la fois à la religion, la condition féminine, l’exclusion sociale, c’est que la décision du président Chirac est très attendue. Au-delà du fait de savoir s’il optera pour la solution législative, c’est au niveau des mesures de fond qui accompagneront l’annonce du choix que se situe l’un des enjeux. Car, opposants ou partisans d’une loi, tout le monde se rejoint pour demander un projet global d’intégration, afin d’agir à la source des problèmes et pas seulement traiter les symptômes.



par Valérie  Gas

Article publié le 09/12/2003