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Rwanda, 10 ans après

«Le Rwanda est l’échec le plus cinglant de l’Onu»

<i> Faut-il supprimer l'ONU ? </i>aux Editions Hachette
Faut-il supprimer l'ONU ? aux Editions Hachette
Selon Pierre-Edouard Deldique, journaliste à RFI et auteur de Faut-il supprimer l’Onu ? (éditions Hachette), l’affaire rwandaise est l’illustration la plus dramatique de l’absence de volonté politique des Etats membres de l’organisation.

RFI: On a assisté, ces dix dernières années, à une suite de «dysfonctionnements» dans l’action (ou l’inaction) de l’Onu au Rwanda: le chef des casques bleus, Roméo Dallaire, qu’on n’écoute pas, son rapport enfoui dans un tiroir de Kofi Annan, le retrait partiel des casques bleus le 21 avril 1994 en plein génocide (résolution 912), puis tout récemment la découverte «inopinée» de la boîte noire du Falcon d’Habyarimana dans un placard onusien… Que s’est-il passé?

Pierre-Edouard Deldique: On peut dire que la position de l’Onu face au génocide rwandais est un cas d’école. Elle est l’exemple même d’absence de volonté politique des Etats membres de l’organisation, à commencer par ceux qui composent le Conseil de sécurité. La France? Trop impliquée dans ce pays, elle a préféré faire cavalier seul en recourant à l’action humanitaire (après avoir soutenu le régime rwandais) avec l’opération «Turquoise». Les Etats-Unis? Quelques mois après «l’expédition» somalienne, ils n’ont pas voulu bouger. Les Anglais ont laissé faire.

Quant aux Russes et aux Chinois, ils ont préféré regarder ailleurs! Voilà ce que l’on appelle la «communauté internationale». L’Onu - et surtout ses Etats membres - ont tergiversé alors même que les télévisions montraient chaque jour, en boucle, les images du génocide. Et en plus ils ne pouvaient même pas dire «on ne savait pas». Une fois le génocide passé, ces Etats ont tout fait pour qu’on ne revienne plus sur ces horreurs. Bill Clinton a présenté ses excuses aux Rwandais, l’Onu a fait un rapport et tout a été enterré malgré de supposées enquêtes. Aucun Etat n’avait intérêt à revenir sur ces quelque 800 000 morts. L’incroyable histoire de la boîte noire de l’avion abattu le 6 avril 1994 résume bien l’attitude des Etats. Tout mettre dans le placard et ne pas vouloir voir la vérité en face. Seulement, 10ans après, la politique de l’autruche montre ses limites.

RFI: Peut-on dire que le Rwanda est l’échec type de l’action de l’Onu?

P.-E. D.: Selon moi, c’est son échec le plus cinglant. Il n’est pas sûr qu’elle s’en relève d’ailleurs. Elle a 800 000 morts sur la conscience mais il n’est pas sûr que cela empêche de dormir ceux qui étaient aux responsabilités à l’époque. Un seul homme a été brisé et semble porter à lui tout seul la responsabilité de cet échec cinglant et sanglant, c’est le lieutenant-général Roméo Dallaire, le «patron» des casques bleus au Rwanda qui, pour avoir serré la main du diable, pour reprendre le titre de ses Mémoires, a songé plusieurs fois au suicide.

En 1999, l’Onu a publié un rapport d’enquête sur son (in)action au Rwanda. Voici ce que dit ce texte: «Si les Nations unies (ou plutôt désunies) n’ont pu empêcher et arrêter le génocide, la responsabilité en incombe au Secrétaire général (Boutros Boutros-Ghali à l’époque), au Secrétariat (dont Kofi Annan alors responsable des opérations de maintien de la paix), au Conseil de sécurité, à la Minuar et aux Etats membres de l’Organisation». On ne peut être plus clair... Le rapport demande même aux Etats membres de présenter «des excuses sans équivoque au peuple rwandais».

La responsabilité est collective mais je veux encore souligner celle des puissances du Conseil de sécurité! Absence de volonté politique et cynisme! Dans son livre, Roméo Dallaire montre que les Etats-Unis ont loué –et pas donné– pour des millions de dollars à la Minuar des véhicules blindés inutilisables comme les Britanniques qui, moyennant aussi des espèces sonnantes et trébuchantes, lui ont loué du matériel obsolète qui datait de la guerre froide. N’est-ce pas là le comble du cynisme?

Vraiment, l’Onu et ses Etats membres ont été en dessous de tout. Manque de lucidité après les accords d’Arusha en août 1993, mise en place d’équipes de casques bleus inadaptées (était-il politiquement habile d’avoir fait appel à des militaires belges, c’est-à-dire issus de l’ancienne puissance coloniale?), casques bleus qui n’obéissaient pas au commandement onusien mais à celui de leurs pays d’origine, résolutions du Conseil a minima et contradictoires alors que les massacres faisaient rage... la liste est longue des manquements onusiens.

Pierre-Edouard Deldique : «Absence de volonté politique et cynisme ! » 

		(Photo RFI)
Pierre-Edouard Deldique : «Absence de volonté politique et cynisme ! »
(Photo RFI)

RFI: A t-on retenu la leçon?

P.-E. D.: L’Onu n’a pas de mémoire...Un an après le génocide, les casques bleus de l’organisation n’ont pu empêcher le massacre de Srebrenica dans l’ex-Yougoslavie! Certes à New York, il existe désormais un Département des opérations de maintien de la paix et l’Onu tente de renforcer son dispositif mais cette organisation demeurera une enceinte diplomatique, un lieu où les diplomates échangent leur point de vue et prononcent de vertueux discours dans une remarquable langue de bois. Elle ne sera jamais une organisation capable dans l’action de faire face à un conflit. Les récents troubles au Kosovo montrent que dans cette région du monde il vaut mieux compter sur l’Otan que sur l’Onu... Et puis n’oubliez jamais que Srebrenica avait été baptisée par l’Onu «zone de sécurité».

L’Onu peut envoyer sur place des observateurs, des humanitaires,des inspecteursen désarmement,pas des soldats vraiment opérationnels, ne serait-ce que parce que ses Etats membres le lui interdisent. Ils n’ont jamais permis à l’organisation d’avoir une armée digne de ce nom capable d’éteindre les incendies. Ils ne respectent même pas la Charte qui leur demande de mettre à sa disposition en permanence des hommes et du matériel… une résolution prévoyant l’envoi de casques bleus restera toujours un texte de compromis très limitatif et la mise sur pied d’une opération de maintien de la paix relèvera toujours un peu du bricolage et de l’improvisation....

RFI: Les difficultés de l’Onu à s’imposer aujourd’hui, en Irak par exemple, ne viennent-elles pas des échecs passés, comme le Rwanda?

P.-E. D.: Il faudrait des heures pour montrer que l’Onu n’a jamais été capable de s’imposer dans la crise irakienne. Non pas cette fois à cause de l’absence de volonté politique de ses Etats membres, notamment au Conseil de sécurité, mais à cause cette fois de l’attitude d’un de ceux-là, en l’occurrence les Etats-Unis. Les Nations unies n’ont jamais fait face au dossier irakien de façon autonome mais en fonction des intérêts de Washington. George Bush père fait appel à l’Onu après l’invasion inacceptable, par le dictateur irakien, du si riche Koweït en 1990. Mais George Bush fils s’en moque en 2003...

L’Onu en Irak pour quoi faire? Maintenir la paix? Elle en est incapable. En revanche, elle peut organiser des élections, organiser un processus démocratique; ça elle sait faire, elle l’a prouvé au Cambodge et au Timor.

RFI: Vous êtes sévère avec l’Onu!…

P.-E. D.: Qui aime bien châtie bien. J’insiste sur un point: en tant que telle l’Onu n’existe pas, c’est une bureaucratie, pas le gouvernement du monde. Son échec au Rwanda le montre trop bien: elle n’existe qu’à travers ses 191 Etats membres et surtout ses 5 membres permanents au Conseil de sécurité. Il faut avoir conscience que critiquer l’Onu est vain si on ne réalise par une bonne fois pour toute que derrière elle se trouvent ses Etats avec leur froide logique, leurs intérêts, leur égoïsme, loin des déclarations de bonnes intentions prononcées chaque année à l’Assemblée générale, lorsque l’automne apparaît à New York.


par Thierry  Perret, Philippe  Quillerier-Lesieur

Article publié le 02/04/2004 Dernière mise à jour le 02/04/2004 à 18:04 TU

Cet article a été publié initialement par MFI, l'agence de presse de RFI (plus d'informations).