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Indonésie

Campagne électorale sans conviction

Megawati Sukarnoputri, accompagnée de son mari Taufik Kiemas, lors d'un meeting le 28 mars 2004 

		(Photo AFP)
Megawati Sukarnoputri, accompagnée de son mari Taufik Kiemas, lors d'un meeting le 28 mars 2004
(Photo AFP)
Les élections législatives et régionales indonésiennes ne soulèvent pas l’enthousiasme des électeurs du quatrième pays le plus peuplé au monde. Les partis en lice ont semblé plus soucieux de ménager leur force en vue de la prochaine élection présidentielle que de proposer des solutions pour sortir le pays de la crise économique.

De notre correspondant à Djakarta

Cent quarante sept millions d’électeurs, 595 000 bureaux de vote et plus de 16 000 candidats en lice pour des législatives et des régionales. Les élections du 5 avril en Indonésie sont présentées comme l’opération électorale la plus complexe jamais organisée en un seul jour dans un pays en voie de développement. Si complexe que le scrutin pourrait donné lieu à un taux très élevé d’invalidation. A quelques jours du scrutin, de nombreux Indonésiens ne savent toujours pas comment voter, et dans certaines régions les bulletins et les urnes ne sont toujours pas arrivés. Quant à l’histoire de ce résident français à Jakarta qui a reçu une carte d’électeur à son nom dans une enveloppe portant le cachet officiel du ministère de l’Intérieur, elle n’est qu’un exemple parmi d’autres de la désorganisation et du manque de préparation des autorités.

Ces élections constituent pourtant une étape importante dans la construction de la jeune démocratie indonésienne, six ans après la chute du Général Suharto, le général-président qui a tenu le pays d’une main de fer pendant 32 ans jusqu’à sa démission forcée en 1998. «Elles sont une occasion de démontrer au monde que l’Indonésie peut s’ancrer durablement dans la démocratie», explique Mohammad Hikam, ministre de la Recherche de 1999 à 2001. Mais l’atmosphère de la campagne actuelle est bien loin de l’euphorie qui avait accompagné le premier scrutin de l’après dictature. Le Parti démocratique indonésien de lutte (PDI-P) de l’ancienne opposante et actuelle présidente, Megawati Sukarnoputri, n’a pas su répondre aux énormes espoir qu’avait suscité sa victoire de 1999.

Certes, le pays s’est démocratisé. Arts, Medias, syndicats… toutes les formes d’expressions publiques bénéficient désormais d’un assez bon niveau de liberté. Mais ces progrès sont relayés au second plan par la crise économique qui lamine le pays depuis la crise boursière asiatique de 1997. L’économie indonésienne ne parvient pas à offrir d’emplois aux 2,5 millions de jeunes qui se présentent chaque année sur le marché du travail et le chômage déguisé est évalué à 40% de la force de travail. Les systèmes éducatifs et de santé sont en lambeaux et les écarts de revenus demeurent criantsentre un tiers de la population qui vit toujours en dessous du seuil de pauvreté et une élite politico-affairiste rongée par la corruption, qui affiche sans vergogne un luxe tapageur.

A l’incurie économique du gouvernement, s’ajoute son incapacité à régler, autrement que par la violence, la question des mouvements indépendistes d’Aceh (Nord-Sumatra) et de Papouasie Occidentale. Quant aux minorités chrétiennes, hindouistes et bouddhistes du plus grand pays musulman au monde, elles s’inquiètent de l’émergence incontrôlée de groupes islamistes armées, telle que la Jemaah Islamiyah, l’organisation responsable des attentats de Bali. Conséquence: les aspirations démocratiques ont cédé le pas à d’autres sentiments dans une grande partie de la population. Certains aspirent au retour à la «stabilité» de l’ordre suhartiste, d’autres croient dans les vertus purificatrices de l’Islam.

La parti néo-suhartiste donné gagnant par les sondages

Pour autant, il n’y a pas de grands bouleversements à attendre de ce scrutin. L’armée ne fera pas de «putsch démocratique» et l’archipel ne sera pas balayé par une déferlante islamiste. Les partis musulmans, qui avaient recueilli un tiers des suffrages en 1999, feront peut-être une légère poussée mais ils ont peu de chance de remporter la mise car ils partent à la bataille en ordre dispersé. La fracture historique est telle, entre les tenants de l’islam traditionnel javanais, un syncrétisme mêlant pratiques musulmanes et animistes, et les partisans d’un islam plus rigoriste inspiré par le wahabisme saoudien, qu’elle balaye à l’avance toute idée d’alliance de gouvernement. D’après les derniers sondages, c’est le Golkar, le parti néo-suhartiste, qui devrait l’emporter d’une courte tête devant le PDIP-P. Mais cette hypothèse, si elle devait se concrétiser, ne changerait pas la face du pays. Dans une version indonésienne du «bonnet blanc et blanc bonnet», on peut dire en effet qu’entre le Golkar et le PDI-P, c’est «rouge-blanc et blanc-rouge» (les deux couleurs du drapeau indonésien).

Sur la stagnation économique, la corruption, le terrorisme, les tensions séparatistes ou le rôle de l’armée, rien ne semble en effet vraiment différencier les deux plus grands – et plus les riches – partis de l’archipel qui, l’un comme l’autre, n’ont jamais avancé l’once d’une proposition sérieuse sur ces problèmes pourtant cruciaux. «Cette situation est très dangeureuse pour l’avenir de l’Indonésie», explique Dita Sari, une jeune syndicaliste emprisonnée par l’ancienne junte militaire pour avoir organisé des grèves dans des usines Reebok en 1995. «Elle galvaude l’idée démocratique en suggérant qu’il n’y a finalement pas de grandes différences entre ce système et la dictature qui l’a précédé». Moins inquiet, l’analyste politique Rizal Sukma estime que les partis avancent avec prudence pour ménager leur chance à l’élection présidentielle qui aura lieu en juillet prochain. «Pour la première fois, le président sera élu au suffrage universel direct; ce qui aura pour première conséquence de présidentialiser le régime. L’enjeu des législatives s’en trouve donc amoindrie; car pour les grands partis, c’est la bataille présidentielle qu’il convient avant tout de gagner».



par Jocelyn  Grange

Article publié le 03/04/2004 Dernière mise à jour le 03/04/2004 à 08:46 TU