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Indonésie

Victoire sans conséquence des néo-suhartistes

Le dépouillement des bulletins n’est pas encore terminé, mais la victoire du parti de l’ancien dictateur Suharto (photo) fait la Une de la presse indonésienne. 

		(Photo AFP)
Le dépouillement des bulletins n’est pas encore terminé, mais la victoire du parti de l’ancien dictateur Suharto (photo) fait la Une de la presse indonésienne.
(Photo AFP)
Le dépouillement des élections législatives indonésiennes n’est pas achevé mais la victoire du parti suhartiste est désormais certaine. Sa courte avance l’obligera néanmoins à conclure une alliance avec le parti de l’actuelle présidente Megawati, la grande perdante de ce scrutin.

De notre correspondant à Djakarta

«Le Golkar est de retour». Pour Kompass, le suspense des élections législatives du 5 avril est terminé. Le quotidien des classes moyennes indonésiennes annonce la victoire du parti de l’ancien dictateur Suharto alors même que le dépouillement des bulletins, en cours depuis 10 jours, n’est pas terminé. Un quart des 120 millions de suffrages exprimés reste à dépouiller et le Golkar ne devance pour l’instant le parti de l’actuelle présidente Megawati Sukarnoputri (PDI-P) que de 100 000 voix. En théorie, l’écart est si mince qu’il pourrait être facilement comblé. En théorie seulement. Car le décompte est achevé dans les régions traditionnellement acquises au PDI-P (Bali, Java-Centre) tandis que le Golkar ne cesse d’accroître son avance là où de nombreux votes restent à comptabiliser. Autrement dit, le PDI-P ne peut plus revenir sur son principal rival qui devrait l'emporter, selon des projections établies par un groupe d'analystes, avec 23% des voix contre 19% au parti présidentiel.

Le PDI-P, qui avait gagné les législatives de 1999, les premières de l’après-dictature, avec 34% des votes, est donc lourdement sanctionné. Il paye son échec à remettre le pays sur les rails du développement mais aussi l’explosion de la corruption et le désenchantement des classes populaires qui avaient beaucoup misé sur la fille de Sukarno, l’homme qui libéra l’Indonésie du joug colonial hollandais, pour les sortir de la misère. Un quart de la population vit toujours avec moins de deux dollars par jour et le chômage déguisé est évalué à 40% de la force de travail. Le gouvernement Megawati est aussi critiqué pour son incapacité à restaurer la paix dans l’archipel. Le terrorisme est endémique et la violence épidermique dans plusieurs provinces (Nord-Sumatra, Papouasie, Moluques, Kalimantan) où les peuples autochtones ne sont pas mieux traités qu’aux pires heures de la dictature.

Percée électorale du Parti démocrate et du Parti islamiste

Seule consolation pour le PDI-P: aucun de ses principaux concurrents ne tire véritablement profit de sa déconfiture électorale. Les partis musulmans, qui sont partis en ordre de bataille dispersé, stagnent tandis que le Golkar n’a guère progressé en terme de voix par rapport aux élections de 1999 où il n’avait remporté que 22,3% des suffrages. «Cette élection est davantage une défaite de Megawati qu’une victoire des néo-suhartistes» confirme Wardah Hafidz. Cette responsable associative qui fut emprisonnée à plusieurs reprises sous la dictature estime que «le Golkar a fait le plein des voix qui lui sont historiquement acquises» mais que «les déçus de Megawati ne se sont pas reportés sur lui pour exprimer leur insatisfaction». «Pourquoi l’auraient-ils fait puisque le principal reproche adressé à la présidente est de ne pas avoir rompu avec le Suhartisme mais d’en avoir au contraire poursuivi les pratiques. En matière de corruption, de relation avec l’armée ou de gestion des conflits intercommunautaires, rien ne distingue en effet le Golkar du PDI-P».

La difference entre les deux partis est d’ailleurs si mince qu’ils envisagent de constituer un ticket commun pour les présidentielles de juillet qui auront lieu pour la première fois au suffrage universel direct. Car le Golkar, qui n’a pas de candidat crédible, et le PDI-P, qui pourrait compenser sa défaite législative par la réélection de Megawati, ont un ennemi commun: Susilo Bambang Yodhoyono. L’ancien ministre de la sécurité, démissionnaire en mars dernier, est donné gagnant par les sondages. Général de l’armée en retraite, Yodhoyono surfe sur la crise de leadership qui traverse l’archipel depuis la chute de Suharto et sa popularité est telle que certains partis musulmans se sont déclarés prêts à en faire leur propre candidat. La percée électorale (7 à 8%) de son Parti démocrate a été saluée par toute la presse indonésienne qui le désigne comme l’un des principaux vainqueurs des élections législatives.

L’autre vainqueur est le parti de la Justice et de la Prospérité (PKS). Ce parti islamiste, favorable à l’instauration de la Charia (loi islamique) est crédité de 7% des voix contre 1,35% en 1999. Mais c’est en arrivant en tête dans l’immense mégapole de Jakarta (18 millions d’habitants), où il a raflé le quart des suffrages, que le PKS a vraiment marqué les esprits. En s’appuyant sur une base militante jeune, bien éduquée et très active, il fut le fer de lance des manifestations contre les guerres en Afghanistan et en Irak, démontrant à ces occasions qu’il pouvait mobiliser plus de 10 000 personnes dans les rues en quelques heures. Soucieux de sortir des marges extrêmes de l’échiquier politique, il a mis ses revendications les plus radicales en sourdine au profit d’un discours anti-corruption crédible qui a fait mouche dans les énormes bidonvilles qui ceinturent la capitale indonésienne. Bien implanté dans les universités et dans les syndicats, le PKS est assurément un parti d’avenir.

par Jocelyn  Grange

Article publié le 14/04/2004 Dernière mise à jour le 14/04/2004 à 09:12 TU