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Chypre

Tout est à recommencer

Au lendemain du «non» des Chypriotes grecs, l'île est plus divisée que jamais. 

		(Carte : RFI - Photo : AFP)
Au lendemain du «non» des Chypriotes grecs, l'île est plus divisée que jamais.
(Carte : RFI - Photo : AFP)
Le double scrutin référendaire du 24 avril, largement favorable au plan de réunification dans le nord mais massivement opposé à la formule proposée par le secrétaire général de l’Onu Kofi Annan au sud, a créé une situation nouvelle et complexe, à quelques jours de l’entrée formelle de Chypre, plus divisée que jamais, dans l’Union européenne. Lundi à Luxembourg, les ministres des Affaires érangères de l'UE ont recommandé de débloquer en faveur des Chypriotes turcs les 259 millions d'euros d'aide qui étaient prévus en cas de réunification de l'île.
De notre envoyé spécial à Nicosie nord

C’était une chance «unique et historique», elle a été tout simplement «manquée». Dans son quartier général onusien du Ledra Palace, l’émissaire spécial de Kofi Annan ne cache pas sa déception, samedi soir, lors d’une conférence de presse tardive et bâclée au milieu de la ligne verte, alors que les responsables politiques du nord et du sud commentent chacun de leur côté les résultats du vote. Alvaro de Soto annonce, non sans amertume, la fermeture de la représentation des Nations unies et la fin de sa mission de quatre ans et demi sur la petite île de Méditerranée orientale, divisée depuis plus de quarante ans, et qui devrait le rester encore durablement. Ne resteront que les 1 255 casques bleus arrivés en 64 pour une mission de trois mois lors d’incidents intercommunautaires, et une situation politique désastreuse, au nord comme au sud.

Dans les rues de Nicosie, de chaque côté de la ligne verte, quelques dizaines de manifestants se sont rassemblés à l’annonce de résultats anticipés par les sondages. Au sud, les partisans du «non» au référendum, qui ont constitué près de 76% de l’électorat, au nord les partisans du «oui», majoritaires à 65%. La vanité de leurs slogans illustre crûment combien la lisibilité de ce scrutin –le premier de l’histoire de Chypre où les deux communautés étaient invitées concomitamment à décider de leur avenir– était ardue, et son but, peut-être, illusoire. Les Chypriotes grecs se réjouissaient d’avoir dit «non» à la présence militaire turque sur leur île; en fait, faute de réunification, le programme de retrait des 30 à 35 000 soldats d’Ankara contenu dans la plan Annan est, comme celui-ci, mort et enterré. Les Chypriotes turcs, eux, forts de la victoire du «oui», appelaient à la démission du président Denktash, opposé à la réunification; or, faute d’avoir à partager le pouvoir avec le sud, il sort renforcé de ce schisme.

«Je serais parti dans le cadre d’un accord mettant fin à la République turque de Chypre nord [RTCN, proclamée en 1984 et reconnue seulement par Ankara], mais j’ai le devoir de protéger l’État tant qu’il existe et jusqu’à la fin de mon mandat», déclarait Rauf Denktash lundi, en réponse à ses détracteurs. Non sans satisfaction, il donnait dans le même temps l’ordre de débarrasser son bureau du volumineux plan Annan, qu’il n’a eu de cesse de combattre malgré une bienveillance évidente à l’égard des intérêts chypriotes turcs et turcs. Le gouvernement de coalition de Mehmet Ali Talat –dont le parti du vice-Premier ministre Serdar Denktash, fils du Président, a voté «non»– est par effet de ricochet sérieusement ébranlé: deux députés du Parti démocrate ayant démissionné, il se retrouve mis en minorité, moins de six mois après la courte victoire des partisans de la paix aux législatives de décembre.

Victoire à la Pyrrhus

Côté chypriote grec, la victoire du président Tassos Papadopoulos risque très vite de tourner au cauchemar. Tout d’abord, dès avant son entrée dans l’Union européenne –dont la fête, samedi 1er mai est d’ores et déjà gâchée– il est quasiment au ban de la communauté internationale pour avoir appelé avec insistance au rejet du plan de réunification. Mais en plus il est désormais poursuivi par les associations de réfugiés pour les avoir privé de la restitution de leurs terres et de leurs biens immobiliers. Enfin, son engagement total pour le statu quo risque d’avoir l’effet inverse de celui escompté: à défaut de reconnaissance politique, la partie nord et turcophone de Chypre voit déjà se desserrer l’embargo économique qui l’étouffait depuis trois décennies. Ce qui risque d’avoir des conséquences négatives sur la stabilité de sa propre économie.

Sans compter qu’une offensive diplomatique est lancée désormais par la Turquie au sein des instances européennes pour prévenir la représentation de la communauté nord-chypriote par les autorités de Chypre au sein du cénacle européen. Les ambassadeurs européens ont été sollicités en ce sens lundi par le ministère turc des Affaires étrangères. Nul doute que les Quinze tendront une oreille plutôt disposée à cette demande, alors que le Président du Parlement européen Pat Cox et le Commissaire européen aux Relations extérieures Chris Patten se sont officiellement «plaints» du comportement des dirigeants chypriotes pour orienter le vote, privant notamment le Commissaire à l’élargissement Gunther Verheugen de s’adresser aux électeurs. L’examen de la directive européenne sur Chypre est prévu pour le 28 avril, son report à Luxembourg semblant déjà un signe encourageant pour la cause chypriote turque.

Pour la Turquie, candidate à l’intégration de l’Union Européenne dont le sort devrait être fixé en décembre prochain et qui semble seule à tirer quelques marrons du feu, c’est «la plus grande victoire diplomatique des 50 dernières années», estimait lundi dans le journal Milliyet le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan. Ankara n’est plus considéré comme l’obstacle à une solution au conflit chypriote, et, au contraire, son engagement pour la cause de la réunification –quitte à désavouer le protégé de toujours Rauf Denktash– sera une carte maîtresse pour sa candidature.

Mais dans la rue de Chypre nord, les partisans de la réunification sont amers et ont perdu leurs illusions dans les urnes de ce scrutin qu’ils attendaient comme l’aboutissement du combat de «toute une vie». Samiye Nurten, militante des «Femmes pour la paix» qui rassemble des associations et des syndicats des deux côtés, estime que «les portes entr’ouvertes l’an dernier se sont refermées, et la lutte sera encore plus dure qu’avant».

par Jérôme  Bastion

Article publié le 27/04/2004 Dernière mise à jour le 27/04/2004 à 09:47 TU

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Alvaro de Soto

Conseiller spécial du Secrétaire général de l'ONU

«Je suis évidemment un peu déçu, je regrette que cela ait été le résultat final. Nous devons rentrer dans une période de réflexion à ce sujet.»

[26/04/2004]

Dominique de Courcelles

Journaliste à RFI

«L'imbroglio chypriote n'en finit pas de se compliquer.»

[25/04/2004]

Georges Vassiliou

Ancien président de la République de Chypre

«Je ne vais pas dire que le plan de Kofi Anan est le plan idéal, mais c'est un compromis qui permettra à l'île d'être réunifiée»

[17/04/2004]

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