Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Côte d'Ivoire

Le vrai-faux débat de la partition

Alphonse Djédjé Mady (à droite) en campagne à Korhogo et à Bouaké pour le PDCI d'Henri Konan Bédié (à gauche). (Photo prise à Abidjan en 2002).
Alphonse Djédjé Mady (à droite) en campagne à Korhogo et à Bouaké pour le PDCI d'Henri Konan Bédié (à gauche). (Photo prise à Abidjan en 2002).
Le président Laurent Gbagbo ne s’est jamais rendu à Bouaké (au centre) pour la visite de «réunification» promise depuis fin 2003. Ses adversaires de l’opposition non armée viennent de lui griller la politesse, de Korhogo (au Nord) à Bouaké, avec la tournée d’une alliance, dite M7, qui les rassemble aux côtés des anciens rebelles des Forces nouvelles (FN). La visite du chef de l’Etat renvoyée aux calendes grecques, les «patriotes» qui s’en réclament annoncent à leur tour leur venue à Bouaké le 22 mai.

C’est sous la présidence d’Alphonse Djédjé Mady, secrétaire général de l’ancien parti unique, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) du président déchu Henri Konan Bédié, que la délégation du M7 s’est déplacée le 28 avril à Korhogo avant de redescendre à Bouaké aujourd’hui, en compagnie des Forces nouvelles représentées en son sein par Louis André Dacoury-Tabley et Konaté Sidiki, Cissé Bacongo et Adama Bictogo incarnant le Rassemblement des républicains (RDR) d’Alassane Ouattarra, Alassane Salif N’Diaye l’UDPDCI du défunt général Guéï et Joël N’Guessan le tout petit Mouvement des forces d’avenir (MFA). Les troupes françaises de l’opération Licorne ayant refusé d’assurer son transport, la délégation a rallié par ses propres moyens les deux métropoles «rebelles» où l’attendait Guillaume Soro, le secrétaire général du principal mouvement issu de la rébellion, le Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI).

Le M7 rassemble désormais les anciens chefs rebelles issus de la tentative de coup d’Etat du 19 septembre 2002 et les anciens frères ennemis issus du PDCI et de ses factions rivales du RDR et de l’UDPDCI, tombeurs du président Bédié en décembre 1999. L’alliance milite explicitement contre le président Gbagbo et son Front populaire ivoirien (FPI). Et le périple du M7 dans la zone qui échappe au contrôle gouvernemental ressemble à une tournée préélectorale en forme de duo, ou de duel, entre Alphonse Djédjé Mady et Guillaume Soro. A Korhogo, par exemple, où le grand cinéma a fait salle comble, les deux hommes ont abordé chacun à leur manière stratégique la brûlante question de la partition. En chef d’un parti historique qui quadrille la Côte d’Ivoire, Alphonse Djédjé Mady en a appelé à la sagesse et à l’esprit de pardon des habitants du Nord pour repousser l’idée d’une sécession dont Guillaume Soro assure désormais qu’elle constitue «un faux débat».

Tous sauf Gbagbo

«Il ne serait pas normal qu'au moment où l'Europe se regroupe, nous, en Côte d'Ivoire, nous nous divisions», a imploré Djédjé Mady. Se défendant de nourrir un tel projet, son hôte, Guillaume Soro a alors entrepris d’expliquer que le combat des FN pour renverser le régime Gbagbo ne saurait se suffire d’arracher un morceau du pays. L’ancien chef rebelle a quand même jugé utile d’inscrire son objectif final dans l’organisation d’élections crédibles en 2005. «Je veux qu'en 2005, Bédié soit candidat, que Ouattara soit candidat, qu'ils ne soient pas exclus comme cela l'a été en 2000. Que tous les fils de la Côte d'Ivoire soient à même de postuler à la magistrature suprême», sauf Laurent Gbagbo dont il demande justement la démission pour plus de «tranquillité électorale». Le jour de ces déclarations, le 28 avril, un mouvement de soutien au président Gbagbo dirigé par Eugène Djué, l'Union des patriotes pour la libération totale de la Côte d'Ivoire (UPLTCI), s’est annoncé à Bouaké pour le 22 mai, avec un «meeting de réconciliation et d'unification». Une manière peut-être de suppléer la visite promise depuis l’année dernière par le chef de l’Etat qui affichait alors sa volonté de démontrer ainsi la restauration de la souveraineté de l’Etat qu’il incarne sur l’ensemble du territoire ivoirien et le retour de la liberté de circulation d’Abidjan à Korhogo.

Faute de visite présidentielle solennelle, ce sont les turbulents «patriotes» qui semblent devoir repartir à l’assaut de Bouaké où ils avaient déjà tenté d’entraîner il y a quelques mois les Forces armées nationales de Côte d’ivoire (Fanci). «Nous allons demander à nos frères de déposer les armes pour aller à la réunification et à la réconciliation», déclare Eugène Djué qui voit cette entreprise comme une riposte au rassemblement du M7 autorisé le 24 avril à Abidjan pour rendre hommage aux morts des 25 et 26 mars derniers. «A partir du moment où les autres ont pu tenir un meeting ici à Abidjan, nous trouvons que rien ne peut s'opposer à ce qu'on se réunisse à Bouaké», dit-il. Mais Eugène Djué appartient à la mouvance que le «portier» de Bouaké, Guillaume Soro, inscrit dans ses préalables lorsqu’il répète: «On ne va pas désarmer tant qu'il y aura des milices de Gbagbo à Abidjan». Le ministre de la Communication FN estime aussi qu’il n’est «pas question qu'il revienne au gouvernement» de réconciliation nationale boycotté par l’ensemble du M7 depuis les tueries des 25 et 26 mars, évènements tragiques dans lesquels il met également en cause la France qui «aurait dû s'interposer».

Gouvernement de réconciliation fantôme

Le gouvernement de réconciliation nationale s’est vidé de ses 26 ministres d’opposition. Restent 15 ministres sur 41, dont dix du FPI présidentiel. «C'est moi qui applique véritablement Marcoussis. Parce que j'ai fait tout ce que j'ai à faire. Eux, ils ne veulent pas faire ce qu'ils ont à faire, à savoir le désarmement», répète pour sa part Laurent Gbagbo. Il demande même la création d’un tribunal spécial pour la Côte d'Ivoire, sur le modèle de ceux du Liberia ou de Sierra Leone, car, assure-t-il, «celui qui me traduira devant les tribunaux me donnera la chance peut-être de comprendre les ressorts et les intentions cachées de ceux qui ont attaqué la Côte d'Ivoire», où, selon lui, «on tente tout pour faire passer l'agressé pour l'agresseur et les agresseurs pour des agressés». Pendant ce temps, l'Assemblée nationale a repris son train de sénateur pour examiner vingt projets de lois dont quatre sont au menu de l’accord de Marcoussis. Parmi ces derniers, celui qui régit le domaine foncier rural (adopté à l’unanimité en 1999 par les élus de tous les partis existants à l’époque), mais aussi celui qui doit réformer la Commission nationale électorale ou porter sur le régime juridique de la presse. Mercredi, à l’ouverture de la session 2004, le président de l'Assemblée nationale, Mamadou Coulibaly a lancé le coup d’envoi. Mais sur le terrain de la réalité, de Korhogo à Abidjan, c’est un autre match qui a déjà commencé. Les yeux des joueurs sont fixés sur l’horizon électoral 2005, une course que l’Onu est censée arbitrer.

Le général de division sénégalais Abdoulaye Fall, commandant de l'Opération des Nations unies en Côte d'Ivoire (ONUCI), vient d’annoncer l’arrivée sous deux semaines d’un contingent marocain de 700 hommes qui va s’ajouter au 1 300 soldats ouest-africains casqués de bleu depuis le 4 avril. Il «sera suivi à la fin du mois de mai par les premiers éléments d'une brigade du Bangladesh» qui pourrait compter d’ici juin 2 250 hommes, ajoute-t-il. On connaît les réticences traditionnelles des Bengalais à user du recours à la force ouvert par le mandat de l’Onuci qui prévoit à terme un effectif de 6 240 casques bleus aidés d’un millier d'agents civils. Pour le moment, outre les soldats marocains, quelques dizaines d'officiers précurseurs de l'ONU seulement sont arrivés. Pour leur part, les Ivoiriens ont finalement compris que l’Onuci n’a pas mandat d’imposer la paix, mais de la maintenir. Or dans la réalité des quartiers et des villages, cette paix s’avère jusqu’à présent introuvable.



par Monique  Mas

Article publié le 30/04/2004 Dernière mise à jour le 30/04/2004 à 14:59 TU