Irak
Donald Rumsfeld demande pardon
(Photo : AFP)
De notre correspondant à New York
Donald Rumsfeld a visé large. Il a présenté ses regrets au président américain, au Congrès, au peuple américain, à son armée et au peuple irakien. «A ces Irakiens qui ont été maltraités par des membres des forces armées américaines, j’offre mes excuses les plus sincères», a-t-il affirmé. «Cela était non-américain. Et c’était en contradiction avec les valeurs de notre nation», a-t-il ajouté. Face aux représentants du Congrès américain, Donald Rumsfeld, généralement arrogant et combatif, s’est montré inhabituellement contrit: «Laissez-moi être clair. Je n’ai pas su identifier les dégâts catastrophiques que les accusations de mauvais traitements pourraient faire à nos opérations sur le théâtre, à la sécurité de nos troupes sur le terrain, à la cause à laquelle nous sommes dévoués. Quand ces accusations ont fait surface, je n’ai pas su reconnaître à quel point il était important d’attirer l’attention des plus hautes autorités, y compris des dirigeants du Congrès, sur une question aussi grave».
Le président Bush lui-même avait fait savoir dans la presse qu’il n’avait pas apprécié la façon dont son ministre de la Défense avait géré l’affaire. Il a toutefois écarté l’idée de se séparer d’un des principaux architectes de l’intervention irakienne. Cela n’a pas empêché plusieurs représentants du Congrès de réclamer la démission du ministre. «Inutile de dire que si je ne pouvais plus être efficace, je rendrais ma démission dans la minute», a affirmé Donald Rumsfeld, qui a avoué avoir longuement pensé à cette éventualité. Mais «je ne rendrais pas ma démission simplement parce que des gens essayent d’en faire une question politique», a-t-il ajouté. Plusieurs journaux, dont le Boston Globe ou le New York Times ont réclamé vendredi la tête du secrétaire à la Défense dans leurs pages éditoriales. «Il est maintenant temps que M. Rumsfeld s’en aille, et pas seulement parce qu’il porte une responsabilité personnelle dans le scandale d’Abou Ghraib», écrit le quotidien new-yorkais, qui relève que «les Etats-Unis ont été humiliés au point que les responsables gouvernementaux n’ont pas pu publier leur rapport sur les droits de l’Homme dans le monde cette semaine par peur des railleries du reste de la planète».
L’affaire semble loin d’être terminée. Au cours de l’exercice presque rituel de prise de responsabilité devant le Congrès, Donald Rumsfeld a prévenu que le «pire est à venir». «Il existe beaucoup plus de photos et de vidéos. Si elles sont rendues publiques, cela va de toute évidence rendre les choses pires. (…) Ce n’est pas beau à voir», a-t-il admis. «Je les ai regardées la nuit dernière, et elles sont difficiles à croire», a-t-il ajouté. Les photos déjà publiées montraient des prisonniers irakiens nus, encagoulés, attachés les uns aux autres, forcés de simuler des actes homosexuels, ou tenus en laisse et humiliés par des femmes gardiens américaines dans la prison d’Abou Ghraib, connue pour avoir été un des hauts lieux de la torture du régime de Saddam Hussein.
«Dehors Rumsfeld!»
«Ces événements se sont produits sous ma supervision. En tant que Secrétaire à la défense, je suis responsable et j’assume toute cette responsabilité», a assuré Donald Rumsfeld. «Je me sens très mal par rapport à ce qui est arrivé aux prisonniers irakiens. Ce sont des êtres humains. Ils sont détenus par les Etats-Unis. Notre pays a pour obligation de les traiter correctement. Nous ne l’avons pas fait, et c’est mal», a-t-il ajouté. L’acte de contrition a été interrompu par des activistes, aux cris de «Dehors Rumsfeld!» ou «Criminel de guerre!». Donald Rumsfeld a promis de lancer plusieurs enquêtes, notamment pour élucider la mort de plusieurs prisonniers irakiens au cours de leur détention. Il s’est aussi engagé à dédommager les prisonniers victimes de sévices.
Mais tout cela n’a pas suffi à calmer la colère de nombreux représentants du Congrès, républicains et démocrates, qui ont fait valoir que le Pentagone n’avait réagi de manière vigoureuse qu’à cause de la publication des photos dans la presse, alors que l’ampleur du problème était connue depuis janvier. Le sénateur McCain, un Républicain d’Arizona et ancien prisonnier de guerre, a même élevé le ton contre Donald Rumsfeld, qui tentait de détourner certaines de ses questions vers des officiers supérieurs. D’autres ont pointé la responsabilité personnelle de Donald Rumsfeld dans l’établissement d’un climat propice à ce genre d’abus, en refusant par exemple d’appliquer les conventions de Genève aux prisonniers Taliban et d’Al Qaïda. Ceux-là lui reprochent de n’avoir jamais pris au sérieux la question du traitement des détenus, même lorsqu’elle était soulevée par l’administrateur américain en Irak, Paul Bremer, qui s’inquiétait du nombre de détenus et de leurs conditions de détention. A l’inverse, d’autres sont venus à son secours, comme le sénateur démocrate Joe Lieberman, candidat malheureux à l’investiture présidentielle, qui a fait valoir que les terroristes, eux, ne s’étaient jamais excusé pour leurs actions.
Plusieurs questions sont toutefois restées sans réponse. Qui a ordonné aux gardiens réservistes qui se sont rendus coupables d’actes de torture de «préparer» les prisonniers, de les «assouplir» avant leur interrogation par des officiers de renseignements et des civils sous contrat avec le Pentagone ? Jusqu’où remonte la responsabilité de ces actes ? Quelles étaient les consignes générales relatives au traitement des détenus ? Comment prétendre ne pas avoir saisi l’ampleur du problème, alors que le Comité international de la Croix rouge affirme avoir prévenu les autorités américaines, depuis plus d’un an, que les abus commis dans ses prisons étaient systématiques et assimilables à de la torture? Des réponses à ces questions pourraient dépendre l’avenir politique de Donald Rumsfeld, et peut-être même du président Bush.par Philippe Bolopion
Article publié le 08/05/2004 Dernière mise à jour le 08/05/2004 à 08:26 TU