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Irak

Prisonniers torturés : le malaise américain

Donald Rumsfeld est accusé d'avoir autorisé les sévices infligés aux prisonniers irakiens. 

		(Photo AFP)
Donald Rumsfeld est accusé d'avoir autorisé les sévices infligés aux prisonniers irakiens.
(Photo AFP)
Visiblement dépassée par l’ampleur de la polémique suscitée par la diffusion de photos montrant des Irakiens torturés par des soldats américains, l’administration Bush tente d’allumer des contre-feux pour apaiser l’opinion arabe et internationale choquées tout comme l’opinion américaine par ces images. Le président George Bush doit ainsi accorder mercredi deux interviews à des télévisions arabes pour dénoncer ces sévices. La veille, Condoleeza Rice, sa conseillère pour la sécurité nationale, s’était déclarée «profondément désolée» par ce qui était arrivé aux prisonniers irakiens dans un entretien diffusée par la chaîne al-Arabiya.

Si l’administration américaine a dans un premier temps tenté de minimiser l’affaire en attribuant les sévices infligés à des détenus irakiens à un groupe isolé de soldats, elle peut difficilement continuer aujourd’hui à maintenir cette thèse après la publication par le New Yorker d’un rapport d’enquête interne à l’armée classé «secret». Ce rapport révèle en effet que les mauvais traitements de prisonniers et les actes de tortures étaient non seulement courants dans la prison d’Abou Ghraib –déjà de triste réputation sous le régime de Saddam Hussein– mais aussi encouragés par des officiers du renseignement militaire américain. Dans ce document qui porte sur la période d’octobre à décembre 2003, le général Antonio Taguba ne mâche pas ses mots en évoquant «des actes criminels, sadiques, honteux et gratuits» commis par des soldats de la police militaire avec la bénédiction de leurs supérieurs.

Le responsable américain y relève toute une série de sévices: «eau froide versée sur des détenus nus», «prisonniers frappés avec un manche à balai et une chaise», «détenus masculins menacés de viols», «prisonnier sodomisé avec une torche chimique et peut-être un manche à balai», «chiens utilisés pour effrayer et intimider les détenus»… Dans son rapport qui souligne l’aspect systématique de ces mauvais traitements, il suggère ouvertement que tous ces sévices, qui semblaient relever de la routine, ont été commis sur les conseils des services de renseignement militaires, ceux qui les commettaient ne paraissant craindre aucune sanction.

Dans ce contexte, les sanctions infligées par le Pentagone à une poignée de militaires subalternes et les blâmes octroyés à quelques officiers supérieurs sont loin de satisfaire l’opinion publique en particulier arabe profondément choquée par les images de prisonniers torturés. L’affaire est d’ailleurs jugée à ce point sérieuse que le président américain –et c’est une première– a décidé d’accorder deux interviews à des chaînes arabes pour dénoncer les sévices infligés à des détenus irakiens. «C’est une occasion pour le président de s’adresser directement aux gens des nations arabes et leur dire que les images que nous avons vues sont honteuses et inacceptables», a ainsi expliqué le porte-parole de la Maison Blanche Scott McClellan.

Un général américain s’excuse

Précédent le président américain, sa conseillère à la sécurité nationale, Condoleezza Rice, avait affirmé mardi sur la chaîne al-Arabiya que les Etats-Unis étaient «profondément désolés» par cette affaire. «Nous sommes profondément désolés par ce qui est arrivé à ces personnes et par ce que leurs familles ont dû ressentir. Ce n’est pas juste et nous irons jusqu’au bout pour savoir ce qui s’est produit», avait-elle affirmé. «Nous avons tous été scandalisés par ces images», avait-elle également ajouté précisant que «quel que soit le responsable, il sera puni et devra répondre de ses actes». Plutôt discret ces derniers jours, le secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld a dû affronter mardi les questions des journalistes. Cachant difficilement son embarras, il s’est attaché avant tout à défendre son administration d’avoir tardé à prendre la mesure du scandale. Il a notamment expliqué qu’à ce stade les accusations ne portaient que «sur des abus» ce qui, selon lui, est «techniquement différents de tortures».

Contrairement à Condoleezza Rice, Donald Rumsfeld s’est gardé de présenter des excuses directes se limitant à déclaré que «tout le monde devait se sentir désolé face à ces actes inacceptables». Soumis sans doute à une pression plus importantes –des centaines d’Irakiens ont manifesté devant la prison d’Abou Ghraib pour réclamer la libération des prisonniers aux mains de la coalition–, le général américain en charge du système carcéral de la coalition a présenté mercredi des excuses publiques au peuple irakien. «Je voudrais en mon nom personnel,a affirmé Geoffroy Miller, m’excuser auprès du peuple irakien pour le petit nombre de commandants et de soldats qui ont violé nos règles et probablement commis des actes criminels». «Je garantis personnellement que cela ne se reproduira plus», a également ajouté cet officier supérieur nommé en avril à la tête des prisons de la coalition en Irak, à la suite des révélations sur les tortures psychologiques et physiques infligées par des soldats américains à des détenus à Abou Ghraib.

La presse américaine, qui depuis plusieurs jours déjà fait sa une sur cette affaire, est revenue mercredi à la charge pour dénoncer l’attitude de l’administration Bush. Le New York Times a ainsi déploré la position défensive adoptée par les autorités américaines qui selon lui ont tendance minimiser le problème. «Faire oublier ces horreurs demandera beaucoup plus que ce genre de réaction classique», affirme notamment ce quotidien. Selon lui, «il ne reste plus au président et à ses principaux collaborateurs qu'à mettre un terme à cette pagaille et exprimer les excuses profondes du pays. Jusqu'à présent, ils n'ont fait ni l'un ni l'autre». Le Washington Post estime pour sa part que les sanctions ne doivent pas seulement toucher des réservistes lampistes, mais aussi les officiers du renseignement militaire et les sociétés privées qui ont encouragé et ordonné ces mauvais traitements. Très critique envers le secrétaire à la défense, ce journal souligne que «le socle des crimes à Abou Ghraib a été formé il y a deux ans lorsque Donald Rumsfeld a institué un système de détention de personnes en Afghanistan, au secret, sans inculpation, sans procédure légale et sans aucun mécanisme sérieux de contrôle».



par Mounia  Daoudi

Article publié le 05/05/2004 Dernière mise à jour le 05/05/2004 à 15:21 TU