Etats-Unis
Comment Bush a caché sa décision de faire la guerre
(Photo Simon and Schuster publishing)
Peu après le jour de l’an 2003, Condoleezza Rice, la conseillère nationale pour la sécurité de George Bush est reçue par le président dans son ranch de Crawford. Il évoque l’échec des inspecteurs de l’Onu à trouver des armes de destruction massive en Irak. «Le temps joue contre nous, observe Bush, nous allons devoir faire la guerre». Condolleezza Rice, qui n’a pas véritablement été consultée, comprend alors que la décision présidentielle est prise. En réalité, cela fait plus d’un an que le chef de l’exécutif américain a demandé au Pentagone de préparer la guerre en Irak. Le 21 novembre 2001, alors même que les opérations battent son plein en Afghanistan, Bush a donné des instructions en ce sens à Ronald Rumsfeld, le secrétaire à la Défense.
Officiellement, pourtant, la décision n’a été prise qu’en mars 2003. C’est ce que Bush lui-même a toujours soutenu. Pourtant, en se confiant au journaliste vedette du Washington Post qui publie cette semaine Plan d’attaque, un livre bourré de révélations explosives, Bush assume sans complexe son attitude de l’époque: si la nouvelle avait transpiré à l’époque, explique-t-il, cela aurait provoqué «une énorme angoisse internationale et des spéculations [politiques] aux États-Unis». En d’autres termes, le président américain assume ce mensonge d’État. Mais l’opinion publique américaine et internationale n’était pas la seule à être tenue dans l’ignorance.
L’ambassadeur saoudien informé avant PowellAlors même que les préparatifs militaires étaient déjà très avancés, le secrétaire d’État Colin Powell n’avait toujours pas été informé des décisions présidentielles. Ce n’est que le 13 janvier que Powell est mis au courant. Dans le Bureau Ovale, en tête à tête, Bush lui fait part de sa décision. Prudent, Powell lui demande s’il est sûr de son choix. Devant la réponse affirmative et catégorique du président, Powell lui rappelle que bien des mois plus tôt, il l’a mis en garde: si George Bush met à bas le régime irakien et envahit le pays, il sera le «propriétaire» du pays et sera tenu pour responsable de tous les problèmes qui ne manqueront pas de s’y poser. Mais Bush a déjà pris sa décision, il ne demande pas son opinion à Powell. Il veut seulement savoir si, le moment venu, il pourra compter sur lui. Le militaire en Powell s’incline, il fera ce qu’on attend de lui. Par exemple présenter au Conseil de sécurité de l’Onu, le 5 février, les «preuves» assemblées par la CIA et dont il reconnaîtra qu’elles n’étaient pas très solides.
Deux jours auparavant, cependant, l’ambassadeur saoudien à Washington, le prince Bandar, avait eu non seulement la primeur de la décision présidentielle, mais le vice-président Cheney et Donald Rumsfeld lui avaient présenté une carte détaillée des opérations militaires prévues. Autant pour l’influence du plus populaire des membres du gouvernement américain.
Le livre de Woodward fourmille de détails sur les tensions internes aux échelons les plus élevés de l’administration Bush. Powell et Cheney, dont l’antipathie réciproque est notoire, ne se parleraient pratiquement plus. Powell va même jusqu’à qualifier Douglas Feith, un protégé de Rumsfeld et de Cheney qui dirige le Bureau des opérations spéciales, de «gestapiste». Ce livre ne comporte pratiquement pas de références ou de notes de bas de page. Toutes les conversations ont été restituées d’après les entretiens que le journaliste a eus avec 75 personnalités directement impliquées dans les événements relatés, parmi lesquels Donald Rumsfeld, Condoleezza Rice, et le président Bush lui-même. Le nom de Powell n’est pas mentionné mais la précision sur tout ce qui concerne ses pensées et contacts laisse fortement penser que le secrétaire d’État s’est volontiers prêté aux confidences recueillies par Woodward. L’intéressé refuse de commenter mais les néo-conservateurs ne font pas mystère de leur colère contre un Colin Powell accusé de soigner sa popularité et de lâcher le président dans les moments difficiles qu’il connaît actuellement.
Bush: «voici comment on gagne une guerre!»Quant à George Bush lui-même, on peut être surpris de la coopération qu’il a apporté, à travers des entretiens totalisant trois heures et demies, à la confection d’un livre qui dépeint son administration sous un jour cruel. Deux explications sont possibles: la première est que le précédent livre de Woodward l’avait présenté sous un jour très favorable et qu’il a par conséquent été enclin à le considérer comme son biographe; la seconde en découle, et il l’explique par sa volonté de raconter lui-même l’histoire de l’entrée en guerre des Etats-Unis contre l’Irak: ce récit «permettra à d’autres dirigeants, s’ils pensent devoir entrer en guerre, d’épargner des citoyens innocents et leurs vies (…)La signification historique de ce livre est comment l’Amérique a changé, comment on mène et gagne une guerre». En quelque sorte, un vade-mecum pour un futur «président de guerre», comme aime à se définir George W. Bush.
Pourtant, avant même sa sortie, ce livre a surtout mis en évidence les dysfonctionnements et les divisions d’une administration réputée pour son goût du secret et de la discipline. De l’avis général des analystes politiques américains, son rival démocrate John Kerry n’a pas besoin de mener campagne, il lui suffit de surfer sur la vague actuelle de révélations, de l’ancien ministre des Finances Paul O’Neil à l’ancien responsable de la lutte anti-terroriste Richard Clarke en passant par l’ancien chef des inspecteurs américains en désarmement David Kay. Au rythme actuel de ces divulgations, attesté par les intentions de vote, George Bush a du souci à se faire pour sa réélection alors même que toute sa campagne est jusqu’à présent axée sur sa politique irakienne et la lutte antiterroriste.
par Olivier Da Lage
Article publié le 19/04/2004 Dernière mise à jour le 19/04/2004 à 14:25 TU