Etats-Unis
Bush autorise Rice à témoigner sous serment
AFP
C’est un virage à 180 degré pour la Maison-Blanche. Des semaines durant, la conseillère à la sécurité nationale du président américain s’est évertuée à expliquer sur tous les écrans de télévision qu’elle ne pouvait pas témoigner devant la commission d’enquête sans mettre en péril la séparation des pouvoirs, fondement de la démocratie américaine. Invoquant le «privilège de l’exécutif», elle soutenait que témoigner sous serment et en public devant une commission du Congrès reviendrait à priver le président américain de l’avis sincère et confidentiel qu’il est en droit d’attendre de sa plus proche collaboratrice. Les conseillers juridiques de la Maison Blanche invoquaient plusieurs précédents, sous différentes administrations, tant démocrates que républicaines, dans lesquelles les prédécesseurs de Mme Rice n’avaient accepté de témoigner qu’à huis clos, en petit comité et sans prêter serment. Pourtant, assurait Condoleeza Rice à des millions de téléspectateurs, s’il ne tenait qu’à elle, elle ne demanderait pas mieux que de déférer à la demande de la commission d’enquête.
Et voilà que mardi soir, changement de cap: non seulement la conseillère nationale à la sécurité témoignera en public et sous serment, mais le président Bush et le vice-président Cheney acceptent enfin de rencontrer, certes, à huis clos, les membres de cette fameuse commission dont ils ont tout fait pour empêcher la constitution. Ce qui était impossible, voire inconstitutionnel devenait soudainement possible, voire souhaitable.
Le spectre du parjureC’est que les membres de la commission, démocrates et républicains unanimes, ont fort mal pris d’être snobés de la sorte par la conseillère présidentielle. Ils l’ont fait savoir publiquement et ont renouvelé leur ferme invitation à ce qu’elle s’exprime devant eux. Ils étaient d’autant plus irrités par ce refus que dans le même temps, Mme Rice était omniprésente dans les médias. En somme, elle s’expliquait partout, sauf devant la commission d’enquête. D’autant que l’argumentation était faible sur un point: le secrétaire d’État Colin Powell et le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld, également proches collaborateurs du président Bush, avaient quant à eux déjà témoigné sous serment devant la commission. Aux Etats-Unis, on ne plaisante pas avec ces choses là: chacun à leur manière, Richard Nixon et Bill Clinton l’ont appris à leurs dépens. L’administration Bush aurait sans doute pu continuer à résister si le témoignage de l’ancien responsable de la lutte antiterroriste à la Maison Blanche, Richard Clarke, n’avait eu un effet aussi dévastateur dans l’opinion publique. Son livre-réquisitoire est en tête des ventes aux États-Unis en dépit de toutes les tentatives du pouvoir de le présenter comme un ancien haut fonctionnaire aigri d’avoir été rétrogradé lors de la prise de fonction de l’administration Bush. C’est peut-être le cas, mais son témoignage, incroyablement précis, après avoir été dénigrépar le clan présidentiel, a finalement été jugé en partie recevable par les mêmes, acculés sous la pression et les révélations.
Tout ça n’est pas très bon pour Bush, en pleine campagne pour sa réélection et dont le concurrent John Kerry n’a même pas eu besoin de faire campagne ces dernières semaines, tant la publicité négative pour le président sortant générée par cette affaire semblait faire le travail à sa place. Pourtant, John Kerry aurait tort de dormir sur ces lauriers. Les tout derniers sondages montrent qu’une majorité d’Américains continuent de faire confiance à George W. Bush pour lutter contre le terrorisme et la cote de popularité de Kerry commence à s’éroder, signe que les publicités négatives abondamment diffusées sur les télévisions par l’équipe de campagne de George Bush commencent à porter leurs fruits.
Reste que le témoignage sous serment de Clarke et les propos publics de Condi Rice se contredisent. Si elle les confirme sous serment, cela voudra dire que l’un des deux ment. Et comme chacun le sait désormais, le parjure est le crime le plus grave aux yeux des Américains. Une belle polémique aux dimensions judiciaires est peut-être sur le point de voir le jour.
par Olivier Da Lage
Article publié le 31/03/2004 Dernière mise à jour le 31/03/2004 à 12:15 TU