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Etats-Unis

Dieu est-il anticonstitutionnel ?

La Cour suprême a entendu mercredi les argument d’un Californien qui s’oppose à ce que sa fille récite à l’école le «serment d’allégeance» qui fait référence à Dieu. Scandale juridique au pays dans lequel la protection de Dieu est invoquée en toute occasion de la vie publique comme privée.
«Que Dieu protège les Etats-Unis et cette honorable Cour!», a aboyé l’huissier mercredi à l’ouverture de la session de la Cour suprême. Ironique invocation alors que les neuf plus hauts magistrats américains avaient à se prononcer sur la constitutionnalité de la référence à Dieu dans le «serment d’allégeance» que doivent réciter tous les matins, main droite posée sur le cœur, des millions d’écoliers à travers le pays. Dans ce serment, ces derniers déclarent: «Je prête allégeance au drapeau des Etats-Unis d’Amérique et à la République qu’il représente, une Nation sous Dieu, indivisible, avec la liberté et la justice pour tous».

Pour des juges qui font systématiquement prêter serment sur la Bible, y compris au président des Etats-Unis lorsqu’il entre en fonction, dans une formule qui, invariablement, se termine par «So help me God (Que Dieu m’assiste !)», cette audience avait quelque chose de particulièrement saugrenue et le déroulement de celle-ci l’a amplement illustré.

Mais rien n’a entamé la résolution de Michael Newdow, celui par lequel le scandale est arrivé qui, sans avocat, a tenu tête sans se démonter à des juges particulièrement peu bienveillants à son endroit.

Michael Newdow est une espèce particulièrement rare dans l’Amérique d’aujourd’hui: athée et libre-penseur, il revendique publiquement ses opinions dans ce pays pétri de religiosité (quelle que soit, d’ailleurs, la religion). Aux Etats-Unis, la tolérance religieuse est infinie : on peut être catholique, protestant (appartenant à l’une des innombrables chapelles du protestantisme), juif, musulman, hindouiste, bouddhiste, taoïste, raélien, scientologue… sans choquer qui que ce soit. A la rigueur, agnostique. Mais se revendiquer athée confine à l’obscénité.

«Un athée n’a aucune chance d’être élu aux Etats-Unis»

Newdow, médecin-urgentiste de 50 ans, est aussi juriste de son état. Divorcé d’une chrétienne «born again» très pieuse, il est aussi le père d’une fillette de 8 ans dont il n’a pas la garde. C’est néanmoins en son nom qu’il a demandé et obtenu d’une cour d’appel californienne, l’interdiction du serment d’allégeance car il fait référence à Dieu. Pour Michael Newdow, ce serment lui porte tort car tous les jours, sa «fille est obligée de se lever et d’affirmer que son père est dans l’erreur». Lorsque l’année dernière, la cour d’appel californienne lui avait donné raison, cette décision avait provoqué un séisme politique à Washington et dans une bonne partie du pays. Le président Bush avait qualifié la décision de «ridicule» et les deux chambres du Congrès, réunies, avaient en réponse récité en chœur le serment litigieux.

Mais ce n’est pas une opinion que la Cour suprême doit juger. Le Premier amendement à la Constitution des États-Unis stipule en effet que «le Congrès ne fera aucune loi relativement à l'établissement d'une religion ou en interdisant le libre exercice». En d’autres termes, il ne peut y avoir de religion d’État. C’est la raison pour laquelle la Cour Suprême, en dépit de sa réticence manifeste, n’a pu faire autrement que de se saisir de l’affaire, à l’exception du juge Scalia, l’un des plus conservateurs, qui s’était exprimé publiquement lors d’une réunion politique contre l ’arrêt de la Cour d’appel de San Francisco. A la demande du plaignant, il s’est donc récusé.

Mais l’audition de mercredi disait assez l’inclination de ses huit collègues, à commencer par son président, William Rehnquist, qui lui demande si l’opposition à la mention de Dieu, qu’il considère comme une prière, s’étend aux billets de banques, sur lesquels figure l’expression «In God we trust» (nous nous en remettons à Dieu), l’hymne «God Bless America» (Dieu bénisse l’Amérique), etc.

Prudemment, Newdow répond qu’a son avis, il ne s’agit pas là de prières, s’attirant la moue sceptique des magistrats qui ne voient pas de différence avec le serment d’allégeance que Newdow s’obstine à qualifier de prière obligatoire. Pour la juge O’Connor, «les gens raisonnables ne considèrent pas ce serment comme une prière». «Le président Bush dit que c’en est une», rétorque aussitôt Michael Newdow. Renhquist: «Eh bien, nous ne le considérons certainement pas comme une autorité en la matière !» (rires). Newdow a marqué un point. Rehnquist ne veut pas le laisser sur ce succès. Alors que Newdow remarque que le serment d’allégeance a existé pendant 62 ans sans référence à Dieu –elle n’a été introduite qu’en 1954– et que pendant ces 62 ans, le serment a rempli son rôle d’unification de la Nation alors que la mention de Dieu divise, le président de la Cour le coupe:
«Avons-nous une idée de ce qu’a été le vote du Congrès, en parlant de créer des divisions, à propos de cette référence à Dieu?». «Apparemment unanime, il n’y a pas eu de décompte des voix», répond Newdow. «Difficile de parler de division, en ce cas…», note Rehnquist, entraînant derrière lui quelques rieurs. «C’est uniquement parce qu’aucun athée ne peut être élu», rétorque Newdow sous les applaudissements.

La salle est à nouveau de son côté, Rehnquist menace de faire évacuer la salle.

A l’extérieur, deux groupes de manifestants s’opposent. Ceux qui, à l’instar des quatre cinquièmes des Américains, demandent le maintien de la référence divine, et ceux qui militent pour la séparation des Eglises et de l’État. Certains avancent que la Cour Suprême pourrait refuser de trancher au fond et s’abriter derrière le fait que Michael Newdow, n’ayant pas la garde de sa fille lors du dépôt de sa plainte, n’est pas fondé à agir. Mais cette hypothèse est peu probable car en ce cas, pourquoi avoir accepté d’entendre l’affaire ?

Le plus vraisemblable est que la Cour se prononcera au fond sur cette épineuse question dans le jugement qui est attendu pour juin. Au vu de la façon dont s’est déroulé l’audience, il y a peu de suspense, tant l’opinion des magistrats, en majorité conservateurs, paraissait déjà faite. Mais dans ce temple du droit, la rigueur implacable de la prestation de ce plaignant apparemment isolé, mais s’appuyant sur la Constitution elle-même, une surprise n’est jamais totalement à exclure.



par Olivier  Da Lage

Article publié le 25/03/2004 Dernière mise à jour le 24/03/2004 à 23:00 TU

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