Etats-Unis
Colin Powell en mission périlleuse
Le secrétaire d’Etat américain a quitté mercredi soir Ankara, à destination de Belgrade et de Bruxelles, à l’issue de la première étape d’une tournée éclair destinée à aplanir les divergences apparues dernièrement sur le conflit en Irak. Une mission difficile, sinon quasi impossible.
L’aveu d’impuissance est de taille. Ce n’est que de l’après-guerre en Irak - aspects humanitaires et reconstruction - que Colin Powell a officiellement parlé avec les nouveaux leaders turcs, que l’on qualifie souvent d’islamistes, mais qui ne sont pas moins nationalistes. Car les divergences entre Washington et Ankara sont désormais du domaine public, à commencer par l’avenir du Kurdistan irakien, en état d’autonomie réelle depuis plus d’une dizaine d’année, ce qui ne cesse d’inquiéter ces héritiers inattendus d’Ataturk. Conscient de la complexité de la situation, Colin Powell a visiblement limité ses exigences aux questions les plus urgentes : obtenir la garantie que la Turquie n’enverra pas d’autres troupes dans le nord de l’Irak (pour contrer les visées des leaders Kurdes locaux) mais aussi un minimum de coopération militaro-humanitaire de la part d’Ankara.
Finalement, le secrétaire d’Etat a américain a pour le moins pu annoncer mercredi soir que les forces armées alliées engagées en Irak pourront être ravitaillées via la Turquie. Un résultat plutôt modeste, et qui laisse dans l’ombre la question principale, à savoir : que feront dans les semaines à venir les peshmergas des deux principales formations politico-militaires dirigées par Massoud Barzani (PDK) et Jalal Talabani (UPK), deux vieux leaders indépendantistes qui dans le passé ont maintes fois prouvé leur réelle autonomie vis-à-vis de leurs alliés ou «parrains» successifs ?
En refusant de laisser les troupes américaines transiter par le sol turc, le parlement d’Ankara avait sérieusement handicapé le déroulement de la guerre : d’abord parce qu’un deuxième front est ainsi devenu impraticable et ensuite parce que les peshmergas kurdes ne pouvaient qu’en profiter pour marquer aussitôt d’autres points. Deux semaines après le début de la guerre, force est de constater que les combattants de Barzani et de Talabani ne cessent de progresser, en occupant, les armes à la main, les positions arrachées aux islamistes d’Al-Ansar et, presque sans combattre, celles qui ont été abandonnées ces derniers jours par l’armée irakienne. Aujourd’hui les peshmergas sont - dit-on - à la périphérie de Kirkuk et de ses derricks. Mais ceux-ci sont tout autant visés par les Kurdes que les Turcs. Que peut faire Washington avec ses deux alliés souvent exigeants voire intransigeants ?
Colin Powell a apparemment redit à Recep Tayyip Erdogan qu’il se porte garant de l’attitude responsable des leaders kurdes. Mais l’a-t-il vraiment obtenu de ces derniers ? Il est vrai que Barzani comme Talabani sont apparus ces derniers temps étonnamment «modérés», du moins dans leurs propos officiels, ne revendiquent plus qu’une «ample autonomie» et jurent souvent fidélité à l’Etat irakien. Mais peut-on les prendre au pied de la lettre, à la veille de la «bataille totale» qui s’annonce pour le contrôle de Bagdad et donc de l’avenir du pays ? Colin Powell a affirmé à Ankara que les forces turques n’avaient aucune raison de passer en Irak du Nord, la situation étant «sous contrôle», du fait de la présence des forces américaines (environ un millier). Tout en ajoutant : à l’heure actuelle.
Une étape inattendue de Belgrade
Après Ankara, Belgrade. La deuxième étape du voyage éclair (et inattendu) de Colin Powell n’est pas moins délicate, quelques jours après l’assassinat de Zoran Djindjic. Cette escale a été ajoutée à la dernière minute, ce qui montre bien le rôle de «pompier diplomatique» que le secrétaire d’Etat américain continue de jouer, au sein d’une administration soumise à des critiques de plus en plus vives, notamment sur le plan stratégique. Mais on s’interroge toujours sur la raison réelle de cette escale, la première à ce niveau depuis la fin du conflit du Kosovo. Saluer les «démocraties émergentes» dans les Balkans ne nécessitant pas un tel déplacement, on soupçonne Washington de vouloir tirer profit de la longue coopération militaire entre Belgrade et Bagdad, du maréchal Tito jusqu’au président Milosevic.
Le nouveau régime serbe est aujourd’hui dirigé par des successeurs de Djindjic, qui sont qualifiés d’aussi pro-américains que le premier ministre assassiné, alors que la Croatie n’a pas manqué de se démarquer des Etats-Unis, et même de dénoncer ouvertement la guerre en Irak. Belgrade pourrait donc être tenté de devenir le principal allié de Washington dans la région, voire de fournir des renseignements précieux à l’armée américaine concernant tout ce que les coopérants militaires ex-yougoslaves ont bâti en Irak : bunkers ultra-sophistiqués voire «aéroports souterrains», sur le modèle de ceux qui ont permis à la Serbie de garder l’essentiel de son armement lourd en dépit des intenses bombardements de l’OTAN. A condition toutefois que les officiers serbes le veuillent bien.
Mais c’est sans doute à Bruxelles - au siège de l’OTAN comme à celui de l’UE - que la tournée de Colin Powell risque de réserver le plus de difficultés. Là aussi, on évitera les arguments qui fâchent. La guerre en Irak étant toujours un sujet qui divise l’Europe comme l’Alliance atlantique, les questions de l’après-guerre seront seules au centre des discussions. Avec une nouvelle possibilité de clivage entre les deux rives de l’Atlantique, car il semble que Colin Powell souhaite parler aussi du rôle de l’ONU dans l’après guerre en Irak.
En effet, les trois principaux pays qui ont choisi de soutenir Washington dans «sa» guerre en Irak (Grande-Bretagne, Italie et Espagne) semblent se rapprocher de plus en plus des positions des autres capitales européennes sur l’après-guerre, qu’il souhaitent placer sous la responsabilité directe de l’ONU, alors que Washington a déjà mis au point un organigramme très détaillé, prévoyant la présence de quelques généraux américains et de nombreux anciens officiers à la retraite (eux aussi américains), si l’on croit la presse d’outre-Atlantique. De plus, la reconstruction de l’Irak a d’ores et déjà fait l’objet de vives polémiques, et on voit mal les Américains faire des cadeaux aux entreprises françaises ou allemandes.
Mais, la semaine dernière une autre polémique inter-européenne est apparue, alors que Paris, Berlin et Bruxelles se concertaient dans le but de mettre vite sur pied une véritable défense européenne. La plupart des pays soutenant les Etats-Unis - à commencer par l’Italie et l’Espagne - ont aussitôt protesté, car ils n’avaient pas été conviés à la première réunion de ce type. Est-ce à dire qu’ils sont aussi prêts à revoir leur «atlantisme primaire» notamment en matière de défense commune européenne ? Si tel était le cas, l’OTAN pourrait être peu à peu vidée de sa raison d’être, du moins dans sa forme issue de la «guerre froide».
Finalement, le secrétaire d’Etat a américain a pour le moins pu annoncer mercredi soir que les forces armées alliées engagées en Irak pourront être ravitaillées via la Turquie. Un résultat plutôt modeste, et qui laisse dans l’ombre la question principale, à savoir : que feront dans les semaines à venir les peshmergas des deux principales formations politico-militaires dirigées par Massoud Barzani (PDK) et Jalal Talabani (UPK), deux vieux leaders indépendantistes qui dans le passé ont maintes fois prouvé leur réelle autonomie vis-à-vis de leurs alliés ou «parrains» successifs ?
En refusant de laisser les troupes américaines transiter par le sol turc, le parlement d’Ankara avait sérieusement handicapé le déroulement de la guerre : d’abord parce qu’un deuxième front est ainsi devenu impraticable et ensuite parce que les peshmergas kurdes ne pouvaient qu’en profiter pour marquer aussitôt d’autres points. Deux semaines après le début de la guerre, force est de constater que les combattants de Barzani et de Talabani ne cessent de progresser, en occupant, les armes à la main, les positions arrachées aux islamistes d’Al-Ansar et, presque sans combattre, celles qui ont été abandonnées ces derniers jours par l’armée irakienne. Aujourd’hui les peshmergas sont - dit-on - à la périphérie de Kirkuk et de ses derricks. Mais ceux-ci sont tout autant visés par les Kurdes que les Turcs. Que peut faire Washington avec ses deux alliés souvent exigeants voire intransigeants ?
Colin Powell a apparemment redit à Recep Tayyip Erdogan qu’il se porte garant de l’attitude responsable des leaders kurdes. Mais l’a-t-il vraiment obtenu de ces derniers ? Il est vrai que Barzani comme Talabani sont apparus ces derniers temps étonnamment «modérés», du moins dans leurs propos officiels, ne revendiquent plus qu’une «ample autonomie» et jurent souvent fidélité à l’Etat irakien. Mais peut-on les prendre au pied de la lettre, à la veille de la «bataille totale» qui s’annonce pour le contrôle de Bagdad et donc de l’avenir du pays ? Colin Powell a affirmé à Ankara que les forces turques n’avaient aucune raison de passer en Irak du Nord, la situation étant «sous contrôle», du fait de la présence des forces américaines (environ un millier). Tout en ajoutant : à l’heure actuelle.
Une étape inattendue de Belgrade
Après Ankara, Belgrade. La deuxième étape du voyage éclair (et inattendu) de Colin Powell n’est pas moins délicate, quelques jours après l’assassinat de Zoran Djindjic. Cette escale a été ajoutée à la dernière minute, ce qui montre bien le rôle de «pompier diplomatique» que le secrétaire d’Etat américain continue de jouer, au sein d’une administration soumise à des critiques de plus en plus vives, notamment sur le plan stratégique. Mais on s’interroge toujours sur la raison réelle de cette escale, la première à ce niveau depuis la fin du conflit du Kosovo. Saluer les «démocraties émergentes» dans les Balkans ne nécessitant pas un tel déplacement, on soupçonne Washington de vouloir tirer profit de la longue coopération militaire entre Belgrade et Bagdad, du maréchal Tito jusqu’au président Milosevic.
Le nouveau régime serbe est aujourd’hui dirigé par des successeurs de Djindjic, qui sont qualifiés d’aussi pro-américains que le premier ministre assassiné, alors que la Croatie n’a pas manqué de se démarquer des Etats-Unis, et même de dénoncer ouvertement la guerre en Irak. Belgrade pourrait donc être tenté de devenir le principal allié de Washington dans la région, voire de fournir des renseignements précieux à l’armée américaine concernant tout ce que les coopérants militaires ex-yougoslaves ont bâti en Irak : bunkers ultra-sophistiqués voire «aéroports souterrains», sur le modèle de ceux qui ont permis à la Serbie de garder l’essentiel de son armement lourd en dépit des intenses bombardements de l’OTAN. A condition toutefois que les officiers serbes le veuillent bien.
Mais c’est sans doute à Bruxelles - au siège de l’OTAN comme à celui de l’UE - que la tournée de Colin Powell risque de réserver le plus de difficultés. Là aussi, on évitera les arguments qui fâchent. La guerre en Irak étant toujours un sujet qui divise l’Europe comme l’Alliance atlantique, les questions de l’après-guerre seront seules au centre des discussions. Avec une nouvelle possibilité de clivage entre les deux rives de l’Atlantique, car il semble que Colin Powell souhaite parler aussi du rôle de l’ONU dans l’après guerre en Irak.
En effet, les trois principaux pays qui ont choisi de soutenir Washington dans «sa» guerre en Irak (Grande-Bretagne, Italie et Espagne) semblent se rapprocher de plus en plus des positions des autres capitales européennes sur l’après-guerre, qu’il souhaitent placer sous la responsabilité directe de l’ONU, alors que Washington a déjà mis au point un organigramme très détaillé, prévoyant la présence de quelques généraux américains et de nombreux anciens officiers à la retraite (eux aussi américains), si l’on croit la presse d’outre-Atlantique. De plus, la reconstruction de l’Irak a d’ores et déjà fait l’objet de vives polémiques, et on voit mal les Américains faire des cadeaux aux entreprises françaises ou allemandes.
Mais, la semaine dernière une autre polémique inter-européenne est apparue, alors que Paris, Berlin et Bruxelles se concertaient dans le but de mettre vite sur pied une véritable défense européenne. La plupart des pays soutenant les Etats-Unis - à commencer par l’Italie et l’Espagne - ont aussitôt protesté, car ils n’avaient pas été conviés à la première réunion de ce type. Est-ce à dire qu’ils sont aussi prêts à revoir leur «atlantisme primaire» notamment en matière de défense commune européenne ? Si tel était le cas, l’OTAN pourrait être peu à peu vidée de sa raison d’être, du moins dans sa forme issue de la «guerre froide».
par Elio Comarin
Article publié le 02/04/2003