Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Etats-Unis

L’Europe selon Bush

Qualifiées de peu diplomatiques, les critiques de Donald Rumsfeld contre le couple franco-allemand qualifié de «vieille Europe», ont en fait dévoilé les velléités américaines d’affaiblir l’Union européenne, aujourd’hui seule entité politique et économique capable, si elle parvenait à surmonter ses rivalités, de porter ombrage à la toute puissance de Washington. L’Europe est certes divisée sur la question irakienne mais le renforcement des relations entre Berlin et Paris semble inquiéter l’administration américaine au point qu’elle éprouve le besoin de battre le rappel de ses alliés sur le vieux continent.
Visiblement agacée par la lune de miel franco-allemande et surtout excédée par la convergence de point de vue de Paris et Berlin sur la crise irakienne, l’administration américaine a voulu rappeler officiellement qu’elle pouvait compter sur certains pays européens et non des moindres dans sa croisade contre l’axe du mal. L’allié le plus sûr de Washington reste la Grande-Bretagne qui a, à maintes reprises, souligné qu’elle se réservait le droit de se passer d’une seconde résolution du Conseil de sécurité de l’ONU pour s’engager dans une guerre contre l’Irak. Londres a d’ailleurs largement prouvé son soutien aux Américains en annonçant l’envoi en début de semaine de 26 000 soldats supplémentaires, soit un quart de l’armée britannique, et le Premier ministre Tony Blair est attendu le 31 janvier à la Maison Blanche pour ce que certains diplomates occidentaux qualifient déjà de «mini-conseil de guerre».

Outre le soutien inconditionnel de la Grande-Bretagne, Washington sait qu’il peut également compter sur celui du gouvernement conservateur de Jose Maria Aznar. Historiquement atlantiste, l’Espagne n’estime pas nécessaire qu’une nouvelle résolution soit votée pour déclencher une offensive contre le régime de Saddam Hussein. Membre non permanent du Conseil de sécurité, Madrid pourrait donc apporter son soutien à l’option militaire, affaiblissant ainsi la position de Paris et Berlin. Si elle ne siège pas au Conseil, l’Italie n’en demeure pas moins une alliée de Washington. Elle souhaite certes une nouvelle résolution sur l’Irak mais n’osera sans doute pas défier ouvertement les Etats-Unis. Et c’est sans doute ce qui a poussé le chef du gouvernement Silvio Berlusconi à affirmer vendredi la nécessité d’«éviter absolument une fracture entre les Etats-Unis et l'Union européenne car ce serait, a-t-il dit, un malheur». Le soutien à l’administration Bush de ces trois pays de l’Europe occidentale se limite toutefois à leurs seuls dirigeants, les opinions publiques britannique, espagnole et italienne étant largement opposées à une intervention militaire contre l’Irak. Et certains diplomates affirment en outre que si Paris et Berlin maintiennent fermement leur opposition à la politique américaine, l’Italie et l’Espagne pourraient dans un soucis de cohésion européenne s’abstenir de se prononcer sur l’option militaire.

L’Europe orientale pro-américaine

Toujours dans sa volonté de minimiser le renforcement des relations franco-allemandes, Donald Rumsfeld a mis en avant l’importance qu’accorde Washington aux pays de l’ancien bloc de l’Est. Pour le secrétaire américain à la Défense, l’opposition de Paris et Berlin à un conflit en Irak n’est en effet pas représentative de la «nouvelle Europe» dont il place le «centre de gravité» à l’Est. Il est vrai que l’administration Bush peut compter dans la région sur un soutien aveugle de la Pologne membre à part entière de l’OTAN. Varsovie prône en effet une «réponse ferme» à toute violation patente par Bagdad des résolutions de l’ONU et affiche son soutien indéfectible à une action unilatérale des Etats-Unis. Même Londres, pourtant fidèle allié de Washington, n’était pas allé aussi loin. Le président polonais Aleksander Kwasniewski, dont le gouvernement vient de commander des avions militaires aux Américains plutôt qu’aux Européens alors qu’il en attend pourtant beaucoup en terme de soutien économique, a même affirmé dans une interview : «si c’est la position du président Bush, c’est aussi la mienne».

La Bulgarie, membre non permanent du Conseil de sécurité depuis le 1er janvier, pourrait elle aussi grossir les rangs des va-t-en guerre et Washington compte sans conteste sur son appui à l’ONU et cela même si son opinion publique, comme celle d’ailleurs de la Pologne, est farouchement opposée à une guerre contre l’Irak. Les Etats-Unis espèrent également dans la région un engagement franc de la Turquie, écartelée entre sa volonté de «donner une chance à la paix», sa population violemment anti-américaine et l’importante aide économique que lui fait miroiter l’administration Bush. Officiellement Ankara ne se prononcera pas sur l’octroi de ses bases militaires aux soldats américains avant la remise du rapport des inspecteurs le 27 janvier. Le gouvernement turc réclame également le vote d’une nouvelle résolution avant tout éventuel recours à la force contre son voisin irakien. Et même s’il affirme que sa participation à une coalition contre le régime de Saddam Hussein doit être entérinée par un vote du Parlement, c’est sans compter les pressions de l’armée qui pourrait bien le forcer à s’engager contre l’avis de son opinion publique.

Mais si les dirigeants européens paraissent divisés sur la crise irakienne, Washington n’en tire pas forcément profit, tant le sentiment anti-américain est croissant dans les populations. En outre les difficultés de l’administration Bush à parvenir à arracher un accord aux pays membres de l’OTAN sur le rôle de cette organisation en cas de conflit avec Bagdad démontrent la fragilité de l’emprise des Etats-Unis sur certains pays européens. Dans ce contexte, l’annonce par le Conseil de l’Europe de la volonté de ses 44 Etats membres d’éviter une guerre contre l’Irak, sonne comme une gifle pour Washington. Et selon le président de son Assemblée parlementaire, Peter Schieder, «il semble difficile de trouver une autre organisation à même de refléter l’opinion publique européenne avec plus d’autorité et plus de légitimité». Le Conseil de l’Europe avait adopté en septembre dernier une résolution demandant notamment une «intensification des efforts pour éviter une nouvelle guerre en Irak».



par Mounia  Daoudi

Article publié le 24/01/2003