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Etats-Unis

Bush force la main des Nations unies

Cédant à la pression de Kofi Annan et de plusieurs pays, le président américain a accepté de passer par le Conseil de sécurité avant de s'en prendre à l'Irak. Il a toutefois prévenu qu'en cas d'inaction de l'ONU, les Etats-Unis agiront seuls. Plusieurs diplomates ont dénoncé un multilatéralisme de façade.
De notre correspondant à New York (Nations unies)

Alors que publiquement, de nombreux diplomates occidentaux se réjouissaient de la décision américaine de passer par le Conseil de sécurité avant de s'en prendre à l'Irak, en privé, de nombreux pays du sud confiaient leur sentiment d'avoir assisté à un marché de dupe. Lors de son discours tant attendu devant l'assemblée générale de l'ONU, George Bush a placé le Conseil de sécurité devant un choix: entériner la marche vers la guerre ou n'en être qu'un simple spectateur. A aucun moment, le président américain ne s'est engagé à réellement consulter ses partenaires sur le principe même d'une intervention en Irak, ou à respecter la décision finale du Conseil. On était bien loin du multilatéralisme décrit par Kofi Annan dans son discours, quelques minutes avant le président américain.

«Malheureusement, sur le fond, je pense que la position américaine n'a pas changé. Cela veut dire que nous allons être les témoins d'une nouvelle guerre au Proche-Orient, peut-être bientôt» regrettait Nasser Al Kidwa, représentant de la Palestine à l'ONU. «C'est une bonne chose que les Etats-Unis passent par l'ONU, mais leur réquisitoire contre l'Irak est très surprenant, dans l'enceinte des Nations unies. Tout y est passé. C'est inquiétant pour la suite» murmurait un autre diplomate. «C'était un discours provocateur, dans lequel l'Irak a été farouchement attaqué. On attendait un discours avec des preuves sur le fait que l'Irak tente de produire des armes chimiques et biologiques. Mais ce n'était pas le cas» a de son côté affirmé à RFI Mohammed Al-Douri, l’ambassadeur irakien auprès des Nations unies, assurant que son pays est prêt à «accepter le retour des inspecteurs, une fois que la discussion a été engagée et que nos demandes ont été satisfaites».

L’ONU placée devant le fait accompli

L'ONU est placée face à un fait accompli. Pour certains, cela revient à instrumentaliser les Nations unies, qui deviendraient ainsi une simple chambre d'enregistrement de la politique étrangère de Washington. A certains égards, les diplomates ont reçu le discours américain comme un ultimatum adressé autant à Saddam Hussein qu'à l'organisation dans son ensemble. Comme si l'ONU était sommée de prouver sa légitimité, en s'engageant aux côtés des Etats-Unis.

«Nous sommes satisfaits du discours du président Bush, justement parce qu'il rejoint nos préoccupations» a toutefois expliqué à RFI le ministre des Affaires étrangères français Dominique de Villepin. «Affirmer la responsabilité des Nations unies est la position de la France. Il y a eu un long débat aux Etats-Unis sur cette question, avec une tentation de l'unilatéralisme. Nous nous réjouissons donc». Côté britannique, Tony Blair s'est montré plus enthousiaste encore, faisant savoir qu'il avait «toujours pensé que les Nations unies étaient le cadre approprié pour traiter cette question de l'Irak et des armements de destruction massive, parce que c'est l'autorité de l'ONU qui a été régulièrement bafouée».

L'Union européenne dans son ensemble a également accueilli favorablement ce discours. Sur un sujet aussi complexe que l'Irak, présenter un front commun relève du casse-tête, pour les quinze pays membres de l'Union européenne. Et pourtant, ils y sont parvenus. «L'Irak reste une source d'inquiétude majeure en matière d'armes de destruction massive», a expliqué au nom de l'UE le Premier ministre danois Anders Fogh Rasmussen. Le régime de Saddam Hussein doit, selon lui, ouvrir ses portes sans condition aux inspecteurs en désarmement de l'ONU -une demande qui ne semble pas une priorité pour George Bush, qui ne l'a pas même mentionnée. Selon l'Union européenne, le Conseil de sécurité devrait se saisir de la question de toute urgence. Si l'Irak continue à défier l'ONU, a prévenu le Premier ministre danois, le Conseil devra faire face a ses responsabilités. Mais sous cette unanimité de façade, les premiers désaccords commencent à poindre. Le ministre des Affaires étrangères allemand, Joschka Fischer, a jugé le discours de George Bush «très dur et très clair, laissant peu de place au doute et qui nécessitera une évaluation détaillée». D'ores et déjà, l'Allemagne a fait savoir qu'elle ne participerait pas à une intervention armée contre l'Irak, alors que d'autres pays, comme la Grande-Bretagne, l'Italie, l'Espagne ou le Portugal semblent prêts à s'allier aux Etats-Unis.

D'autres désaccords apparaissaient hier sur la marche à suivre au Conseil de sécurité. Les Américains et les Britanniques voudraient se contenter d'une seule résolution. Elle imposerait à l'Irak un bref ultimatum, pour laisser revenir les inspecteurs en désarmement de l'ONU. En cas de non soumission de l'Irak, cette résolution prévoirait une formule vague, autorisant une action armée, au moins de manière implicite. Une telle formulation permettrait à des pays comme la Russie ou la Chine de laisser voter le texte, en faisant mine de ne pas en saisir les conséquences. Mais il y a une autre approche, proposée par les Français, en deux étapes, dont la première serait le vote d'un ultimatum donnant deux à trois semaines à l'Irak pour laisser revenir les inspecteurs. Cette première résolution devrait passer sans problème. En cas de non respect de l'ultimatum, il faudrait alors voter une deuxième résolution, décidant des suites éventuellement militaires à donner. Une telle résolution diviserait à coup sûr le Conseil et jetterait une lumière crue sur ses profondes dissensions. Malgré tout, les premiers projets de texte devraient commencer à circuler dans les jours à venir.

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Irak: «Il faut attaquer, parce qu'il faut attaquer», l'Edito international de Richard Labévière (13/09/2002)

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par Philippe  Bolopion

Article publié le 13/09/2002