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Etats-Unis

Le monde selon Rumsfeld

Ouvertement opposé aux vues du Département d'État, le chef du Pentagone n’hésite pas à prendre le contre-pied de la politique officielle de George Bush au Proche-Orient. Sans s’attirer de critiques de la Maison Blanche.
«Un lapsus», commente diplomatiquement le ministre égyptien des Affaires étrangères à propos des déclarations fort peu diplomatiques de Donald Rumsfeld sur le Proche-Orient. En quelques phrases lapidaires, mais qui à n’en pas douter, reflètent fidèlement les vues du chef du Pentagone, Rumsfeld s’est écarté de la politique officielle des États-Unis au Proche-Orient telle qu’elle a été formulée et réitérées par toutes les administrations, démocrates ou républicaines, depuis juin 1967.

Devant des collaborateurs de son ministère, le secrétaire à la Défense a qualifié de «terroriste» l’Autorité palestinienne, n’étant pas un «interlocuteur effectif», estimant dans ces conditions qu’il ne voyait pas pourquoi Israël devrait lui remettre les territoires. Mais c’est surtout l’analyse que fait Rumsfeld de la situation politique et juridique sur le terrain qui a suscité l’émoi au Département d’État et dans les pays arabes : «Mon sentiment au sujet de ces prétendus territoires occupés est qu’il y a eu une guerre. Israël a demandé aux pays voisins de ne pas s’en mêler une fois qu’elle a commencé. Ils s’y sont tous précipité et ils ont perdu une grande quantité de terrain au profit d’Israël car c’est ce dernier qui a gagné». Pour lui, la question des colonies de peuplement israéliennes en Cisjordanie et à Gaza ne constitue pas non plus le problème essentiel pour parvenir à la paix. Enfin, s’abstenant soigneusement de parler d’État, Rumsfeld évoque une «entité» en devenir. Jamais un responsable américain de ce niveau n’avait remis en cause la notion même de «territoires occupés», figurant dans la résolution 242 adoptée à l’unanimité par le Conseil de sécurité en juin 1967, et qui est la référence de toutes les administrations américaines depuis lors, en passant par la Conférence de Madrid (1991) jusqu’au discours de George W. Bush le 24 juin dernier.

Ce n’est évidemment pas par hasard que Donald Rumsfeld, qui s’oppose avec acharnement au secrétaire d’État Colin Powell, qu’il juge trop libéral et trop mondialiste, à la veille de l’arrivée à Washington d’une délégation palestinienne de haut niveau qui doit rencontrer Colin Powell ainsi que la conseillère pour la Sécurité nationale Condoleezza Rice. C’est le premier contact à ce niveau entre Palestiniens et Américains depuis le discours du 24 juin dans lequel George W. Bush a rejeté tout contact avec Yasser Arafat dont il a implicitement demandé le remplacement. Mais dans ce même discours, Bush se prononçait à nouveau pour un État palestinien vivant en paix aux côtés d’Israël et appelait l’État hébreu, pour la première fois, à évacuer les territoires occupés depuis 1967.

Le silence de Colin Powell

Malgré le peu de cas que fait apparemment Rumsfeld des orientations présidentielles dans ce discours que le chef de l’exécutif américain voulait fondateur, la Maison Blanche s’est soigneusement abstenue de publier une mise au point après les propos du secrétaire à la Défense. Quant à Colin Powell dont l’autorité et les compétences sont une nouvelle fois défiées par son rival, il a choisi de rester silencieux. Furieux, le chef de la délégation palestinienne à Washington, Saëb Erakat, a ironisé : «il me semblait qu’il existait une seule politique américaine énoncée par le président des États-Unis !».

Ce n’est d’ailleurs pas le seul domaine de la politique étrangère dans lequel Donald Rumsfeld se démarque de la politique officiellement suivi par la Maison Blanche et le Département d’État. C’est sous son égide que lors d’un séminaire du Pentagone, un chercheur de la Rand Corporation a qualifié l’Arabie Saoudite d’«ennemi». Les fuites ont obligé le Département d’État et la Maison Blanche à se distancier de cette position. Certes, Donald Rumsfeld a lui-même dû appeler son homologue saoudien pour préciser que ce document n’engageait pas le Pentagone. Mais lorsqu’il s’est agit de trouver des mots aimables pour le royaume que l’on venait d’offenser, tout ce que Rumsfeld a trouvé à dire est que l’Arabie Saoudite hébergeait depuis 60 ans de nombreux soldats américains.

Au Proche-Orient, les dirigeants arabes font semblant d’être rassurés par les mises au point de Washington. Mais nul n’ignore la proximité idéologique et politique entre Rumsfeld et le vice-président Cheney, ni l’influence de ces derniers sur les choix réels de George Bush, lorsque vient l’heure de la décision. Alors que les faucons de l’administration Bush, menés par Cheney et Rumsfeld, intensifient leurs préparatifs contre l’Irak, la nervosité croît au Proche-Orient.



par Olivier  Da Lage

Article publié le 08/08/2002