Etats-Unis
Espionnez-vous les uns les autres
Dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, le président Bush veut inciter les livreurs, plombiers et autres réparateurs à domicile à se transformer en espions au service du gouvernement. Son projet est dénoncé comme potentiellement totalitaire en incitant des citoyens à en espionner d'autres tout en autorisant le gouvernement à accumuler des données personnelles sur la foi de dénonciations.
New York, de notre correspondant
Engagé dans une guerre contre un ennemi invisible, l'administration Bush veut faire appel à des informateurs sur une échelle qui n'est pas sans rappeler aux défenseurs des droits de l'Homme les régimes les plus autoritaires. Peu de détails ont filtré sur le contenu du plan, mais sa simple dénomination est évocatrice: TIPS (tuyaux); en français: «Système de prévention et d'information sur le terrorisme». Selon l'explication laconique d'un site internet gouvernemental, il s'agit d'un «programme national donnant aux millions de chauffeurs de camion, de facteurs, de conducteurs de trains, de capitaines de bateau, d'employés des services publics et autres un moyen formel de rapporter des activités terroristes suspectes». Dans la première phase du programme, environ un million de personnes participeront car elles sont «dans leur activité quotidienne, dans une position unique pour servir d'oreilles et d'yeux supplémentaires pour les forces de l'ordre». Ces citoyens de première importance pourront appeler un numéro vert pour signaler les activités qu'ils jugent suspectes et recevront une «formation sur les moyens de repérer des activités suspicieuses et potentiellement liées au terrorisme».
Il n'en faut pas plus aux organisations de défense des droits civils pour tirer la sonnette d'alarme. D'ores et déjà, l'American Civil Liberties Union (ACLU) a dénoncé le programme comme étant une façon déguisée de créer un nouveau corps policier sans formation et sans contrôle. Il semble également évident qu'en demandant à Monsieur Tout-le-monde de se muer en agent secret, le risque est grand que ce dernier soit plus enclin à surveiller les personnes qu'il juge suspectes: les étrangers ou les Arabes américains, ou tout autre catégorie de personnes qu'il n'aime pas. Les comparaisons avec les pratiques en vigueur dans les dictatures fleurissent. Le programme TIPS, estiment beaucoup, n'est pas sans rappeler les pratiques de la Stasi, la police secrète d'Allemagne de l'Est, qui conservait des dossiers sur quatre millions de ses concitoyens. Même au sein des rangs républicains, le projet inquiète. La semaine dernière, le représentant de la majorité républicaine de la Chambre des Représentants, le Texan Dick Armey, a exprimé son opposition à TIPS. De son côté le Service postal américain a refusé par avance de participer au programme. Il a déjà ses propres procédures d'alerte quand ses facteurs sont face à des colis ou des activités suspectes.
Des perquisitions déguisées ?
A quelques semaines du lancement du programme dans plusieurs villes américaines le manque de clarté du projet est également inquiétant. Qu'est-ce qu'une activité suspecte ? Les informateurs seront-ils rétribués? Les données collectées seront-elles conservées ? Le risque unanimement relevé est que le gouvernement se mette à collecter et à analyser des montagnes d'informations sans grande utilité. «Que les Américains espionnent les Américains est la dernière chose que nous voulons» a assuré Tom Ridge, le monsieur anti-terrorisme du président Bush. Selon lui, il s'agit uniquement de faire appel à la vigilance de ces personnes particulièrement bien placées: «Ils pourraient noter un changement de rythme ou d'attitude dans une communauté. Ils pourraient noter dans leurs activités quotidiennes quelque chose de vraiment inhabituel». Le ministère de la Justice nie vigoureusement vouloir utiliser ces personnes pour l'accès qu'elles peuvent fournir dans les foyers. Mais comment faire appel à eux quand ils sont dans la rue, tout en leur demandant de fermer les yeux dans les maisons?
Dans la presse, l'accueil a été glacial. «La vigilance publique est une bonne chose» estime le Washington Post, mais «recruter des informateurs parmi les facteurs ou les employés des services publics -des gens qui pénètrent dans les foyers des américains pour des raisons sans lien avec le maintien de l'ordre- est un problème tout à fait différent». Le quotidien note qu'il est anormal que des personnes fassent l'objet d'une attention particulière de la police pour la simple raison qu'ils se font installer le câble ou qu'un employé du gaz vient relever un compteur. Cela revient à utiliser ces employés pour faire ce que la police ne peut pas faire sans autorisation préalable, c'est à dire des perquisitions déguisées.
Dans un éditorial titré «La fièvre d'informer», le New York Times tourne le projet en dérision en conseillant à ses lecteurs de se méfier si subitement, le livreur de pizza se met à leur poser des questions sur ce qu'ils pensent de la crise au Proche-Orient ou si le réparateur de télé leur demande quels sont leurs lectures favorites. «Ce programme irréfléchi d'espionnage domestique devrait être arrêté avant de commencer» estime le quotidien selon lequel «l'idée de citoyens espionnant d'autres citoyens, et le gouvernement accumulant des données sur toutes les personnes accusées est la marque des régimes totalitaires». «Cela semble être une bonne idée, a déclaré Michael Franco, un réparateur de téléphone cité par le New York Times. Mais les gens savent que nous venons. C'est un peu stupide de laisser une Kalachnikov sur la table si vous savez que le réparateur de téléphone est en route... ». Au lieu de compter sur les facultés d'observation des employés des services publics américains, le président devrait peut-être s'inspirer de leur bon sens.
Engagé dans une guerre contre un ennemi invisible, l'administration Bush veut faire appel à des informateurs sur une échelle qui n'est pas sans rappeler aux défenseurs des droits de l'Homme les régimes les plus autoritaires. Peu de détails ont filtré sur le contenu du plan, mais sa simple dénomination est évocatrice: TIPS (tuyaux); en français: «Système de prévention et d'information sur le terrorisme». Selon l'explication laconique d'un site internet gouvernemental, il s'agit d'un «programme national donnant aux millions de chauffeurs de camion, de facteurs, de conducteurs de trains, de capitaines de bateau, d'employés des services publics et autres un moyen formel de rapporter des activités terroristes suspectes». Dans la première phase du programme, environ un million de personnes participeront car elles sont «dans leur activité quotidienne, dans une position unique pour servir d'oreilles et d'yeux supplémentaires pour les forces de l'ordre». Ces citoyens de première importance pourront appeler un numéro vert pour signaler les activités qu'ils jugent suspectes et recevront une «formation sur les moyens de repérer des activités suspicieuses et potentiellement liées au terrorisme».
Il n'en faut pas plus aux organisations de défense des droits civils pour tirer la sonnette d'alarme. D'ores et déjà, l'American Civil Liberties Union (ACLU) a dénoncé le programme comme étant une façon déguisée de créer un nouveau corps policier sans formation et sans contrôle. Il semble également évident qu'en demandant à Monsieur Tout-le-monde de se muer en agent secret, le risque est grand que ce dernier soit plus enclin à surveiller les personnes qu'il juge suspectes: les étrangers ou les Arabes américains, ou tout autre catégorie de personnes qu'il n'aime pas. Les comparaisons avec les pratiques en vigueur dans les dictatures fleurissent. Le programme TIPS, estiment beaucoup, n'est pas sans rappeler les pratiques de la Stasi, la police secrète d'Allemagne de l'Est, qui conservait des dossiers sur quatre millions de ses concitoyens. Même au sein des rangs républicains, le projet inquiète. La semaine dernière, le représentant de la majorité républicaine de la Chambre des Représentants, le Texan Dick Armey, a exprimé son opposition à TIPS. De son côté le Service postal américain a refusé par avance de participer au programme. Il a déjà ses propres procédures d'alerte quand ses facteurs sont face à des colis ou des activités suspectes.
Des perquisitions déguisées ?
A quelques semaines du lancement du programme dans plusieurs villes américaines le manque de clarté du projet est également inquiétant. Qu'est-ce qu'une activité suspecte ? Les informateurs seront-ils rétribués? Les données collectées seront-elles conservées ? Le risque unanimement relevé est que le gouvernement se mette à collecter et à analyser des montagnes d'informations sans grande utilité. «Que les Américains espionnent les Américains est la dernière chose que nous voulons» a assuré Tom Ridge, le monsieur anti-terrorisme du président Bush. Selon lui, il s'agit uniquement de faire appel à la vigilance de ces personnes particulièrement bien placées: «Ils pourraient noter un changement de rythme ou d'attitude dans une communauté. Ils pourraient noter dans leurs activités quotidiennes quelque chose de vraiment inhabituel». Le ministère de la Justice nie vigoureusement vouloir utiliser ces personnes pour l'accès qu'elles peuvent fournir dans les foyers. Mais comment faire appel à eux quand ils sont dans la rue, tout en leur demandant de fermer les yeux dans les maisons?
Dans la presse, l'accueil a été glacial. «La vigilance publique est une bonne chose» estime le Washington Post, mais «recruter des informateurs parmi les facteurs ou les employés des services publics -des gens qui pénètrent dans les foyers des américains pour des raisons sans lien avec le maintien de l'ordre- est un problème tout à fait différent». Le quotidien note qu'il est anormal que des personnes fassent l'objet d'une attention particulière de la police pour la simple raison qu'ils se font installer le câble ou qu'un employé du gaz vient relever un compteur. Cela revient à utiliser ces employés pour faire ce que la police ne peut pas faire sans autorisation préalable, c'est à dire des perquisitions déguisées.
Dans un éditorial titré «La fièvre d'informer», le New York Times tourne le projet en dérision en conseillant à ses lecteurs de se méfier si subitement, le livreur de pizza se met à leur poser des questions sur ce qu'ils pensent de la crise au Proche-Orient ou si le réparateur de télé leur demande quels sont leurs lectures favorites. «Ce programme irréfléchi d'espionnage domestique devrait être arrêté avant de commencer» estime le quotidien selon lequel «l'idée de citoyens espionnant d'autres citoyens, et le gouvernement accumulant des données sur toutes les personnes accusées est la marque des régimes totalitaires». «Cela semble être une bonne idée, a déclaré Michael Franco, un réparateur de téléphone cité par le New York Times. Mais les gens savent que nous venons. C'est un peu stupide de laisser une Kalachnikov sur la table si vous savez que le réparateur de téléphone est en route... ». Au lieu de compter sur les facultés d'observation des employés des services publics américains, le président devrait peut-être s'inspirer de leur bon sens.
par Philippe Bolopion
Article publié le 25/07/2002