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«<i>Mort ou vivant Saddam Hussein ne jouera plus aucun rôle</i>»

Invité exceptionnel sur RFI, Colin Powell, le secrétaire d'Etat américain s'exprime sur la situation en Irak, les relations entre la France et les Etats-Unis, mais aussi sur le conflit israélo-palestinien, le Liban et la Syrie... Colin Powell répond aux questions de Béchara El Bonn, directeur de l'antenne de RMC-Moyen Orient, pour RMC-MO et RFI.
RMC-Moyen Orient/Radio France Internationale : Achever les combats ne signifie pas achever le travail, disait le Premier ministre britannique Tony Blair. Considérez-vous que les combats en Irak sont réellement terminés et pensez-vous que les Etats-Unis ont fait une profonde erreur de jugement concernant l'après-Saddam en estimant que tout se déroulerait selon vos plans ?

Colin Powell
: Nous savions qu'il y aurait encore des combats après que la bataille principale soit terminée. L'armée irakienne a été défaite grâce à nos opérations et c'est ce que le président des Etats-Unis a annoncé le 2 mai dernier.
Depuis, nous avons fait l'objet d'attaques surprises et d'embuscades. Nous ne sommes pas choqués ou surpris par cela. Nous pensons que cela prendra un peu de temps avant de défaire complètement et définitivement tous les vestiges du parti Baath et tous les feddayines et autres criminels qui existent en Irak.
Mais il ne fait aucun doute que nous vaincrons et nous vaincrons parce que les Irakiens le veulent. Le peuple irakien veut vivre dans la paix. Il ne veut pas voir les violences continuer dans son pays. Et nous maintiendrons le cap.
Personne en revanche ne peut prédire ce qui se passera après un conflit, mais nous avions des plans pour anticiper les besoins en matière de sécurité, pour reconstruire les infrastructures et mettre en place un processus politique. Selon la situation, nous avons ajusté nos plans et nous continuerons à les ajuster pour que nous puissions accomplir les objectifs que le président Bush et le Permier ministre Tony Blair ont évoqué : une forme démocratique de gouvernement aux mains des Irakiens, un pétrole irakien accessible au peuple irakien et une nation irakienne qui puisse vivre en paix avec ses voisins, sans exportation de terrorisme et sans armes de destruction massive. C'est notre but. C'est un but que nous réaliserons.

RMC-MO/RFI : Mais le fait que le général John Abizaid affirme que les Etats-Unis font face à une guérilla en Irak vous gêne-t-il ?

C. P.
: Les Etats-Unis font face à une sorte de guérilla de la part d'anciens membres du régime. Mais je n'ai aucun doute et je pense que le général Abizaid n'a lui aussi aucun doute, sur le fait que nous les vaincrons. Cela prendra du temps car ils ne se tiennent pas en rangs bien ordonnés en attendant que nous les attaquions. Ils se cachent. Mais nous les vaincrons et je suis sûr que le général Abizaid, ses troupes, et les autres troupes de la coalition qui travaillent avec elles, feront un excellent travail pour les défaire.

RMC-MO/RFI : Saddam Hussein est probablement en vie. Sa capture ou sa mort sont-elles importantes pour le succès de votre mission en Irak ?

C. P.
: Je ne sais pas s'il est mort ou vivant. Je sais par contre qu'il ne dirige plus Bagdad. Et avec chaque jour qui passe, avec un conseil de gouvernement formé de leaders irakiens, avec des conseils locaux créés dans les villes et les villages dans tout l'Irak, avec la communauté internationale qui vient en aide au peuple irakien, avec de telles mises au jour de charniers que le monde entier peut se rendre compte à quel point Saddam Hussein était un homme horrible, je pense que mort ou vivant il ne jouera plus désormais aucun rôle dans l'avenir de l'Irak.

RMC-MO/RFI : Certains pays européens ont fait savoir qu'ils sont disposés à envoyer des troupes en Irak, mais seulement sous autorité onusienne. Quelles sont vos conditions pour que l'ONU joue un rôle dans le maintien de la paix ?

C.P.
: La résolution 1483 demande aux nations membres de participer aux efforts de stabilisation, donc cette résolution est suffisante. Cependant certaines nations ont demandé un mandat plus large pour l'ONU afin que l'Organisation des Nations unies puisse contribuer aux forces de maintien de la paix. Je discute en ce moment avec ces nations et je discute aussi avec Kofi Annan, le secrétaire général de l’ONU, pour voir s'il faut oui ou non une nouvelle résolution.
Mais nous n'avons pas encore pris de décision et quiconque veut maintenant participer à la force de maintien de la paix peut le faire sous l'autorité de la résolution 1483. Cela dit, nous avons l'esprit l'ouvert sur cette question et c'est pour cela que nous menons des consultations avec nos alliés et avec le secrétaire général des Nations unies.

RMC-MO/RFI : Après la guerre, des officiels à Washington ont suggéré que la France devait être punie. Est-ce que vous êtes encore dans cet état d'esprit ?

C.P.
: La France est un pays ami et un allié des Etats-Unis. Et elle l'est depuis tant et tant d'années, depuis plus de 225 ans. Nous avons des désaccords avec la France de temps en temps. Et nous allons régler ces désaccords en agissant de la manière qui nous semble correcte.
Nous réévaluons constamment nos politiques dans le respect des différentes nations dans le monde, y compris pour ce qui concerne la France. Mais je considère, et le président des Etats-Unis considère aussi, que la France doit être un pays et un allié. Nous espérons que nous travaillerons ensemble dans le futur pour aider le peuple irakien. Et la France a voté la résolution 1483. Donc il ne fait aucun doute que nous ayons eu un désaccord majeur au début de cette année concernant l'intervention militaire, mais je pense que c'est du passé. Et maintenant nous travaillons ensemble pour aider le peuple irakien et nous savons que la France essaiera de nous aider par tous les moyens possibles. Que cela implique ou non, à terme, une assistance à nos troupes au sol, ce n'est pas le problème pour le moment. La France travaille avec nous sur un plan politique et sur un plan économique pour aider le peuple irakien.

RMC-MO/RFI : Monsieur Mahmoud Abbas se rend aux Etats-Unis la semaine prochaine. Son peuple attend une aide concrète pour améliorer sa vie quotidienne, pour mettre fin aux colonies juives et pour stopper la construction du mur. Son peuple attend aussi la libération des prisonniers palestiniens. Que comptez-vous faire pour aider le Premier ministre palestinien.

C.P
. : Nous l'aidons déjà beaucoup. Nous avons mis en place la feuille de route. Mahmoud Abbas et Ariel Sharon ont tous deux emprunté le chemin de la paix. Gaza est de nouveau sous autorité palestinienne, comme Bethléem. Et nous sommes en train d'étudier un même retour de l'autorité palestinienne pour d'autres villes. Des prisonniers ont été libérés. Les Etats-Unis ont accordé une nouvelle aide financière à l'Autorité Palestinienne, et cette fois directement.
Donc beaucoup de choses ont été faites ces dernières semaines. Et je souligne que le niveau de terreur et de violence a considérablement diminué. Tout cela est positif. Les autres dossiers que vous avez évoqué, la question des colonies juives et celle du mur, nous les aborderons avec le Premier ministre palestinien et également avec le Premier ministre israélien. Ce qui est important pour les deux parties est de rester engagé sur cette feuille de route, et de traiter les problèmes qui restent devant nous, étape par étape.

RMC-MO/RFI : Mais vous mettez beaucoup de pressions, et vous imposez beaucoup de conditions, du côté des Palestiniens. Pourquoi n'agissez-vous pas de la même manière du côté israélien ?

C.P.
: Vous vous trompez. Nous exerçons des pressions des deux côtés. Des pressions sur les Palestiniens pour qu'ils diminuent le niveau de violence et de terreur, et nous exerçons des pressions sur Israël à la fois pour qu'ils démantèlent les colonies sauvages, pour qu'ils respectent la feuille de route, pour qu'ils restituent Gaza, ce qu'ils ont fait, pour qu'ils restituent Bethléem, ce qu'ils ont fait également. Donc, les deux parties ont des obligations, et les deux parties ont des responsabilités. Et nous aidons les deux parties à faire concorder ces obligations et ces engagements.

RMC-MO/RFI : Vous avez demandé aux Syriens de prendre des mesures aussi bien sur le plan intérieur qu'extérieur. Que pensez-vous de leurs réponses ?

C.P.
: Ils ont fait quelques gestes. Concernant les activités d'organisations terroristes présentes à Damas, ou qui ont leur siège dans la capitale syrienne. Ils ont fait plus encore en s'assurant que les Irakiens qui voulaient fuir la justice de leur pays, ne puissent trouver refuge en Syrie.
Mais je pense que la Syrie doit faire plus, et nous avons établi un agenda en ce sens, une liste de questions sur lesquelles ils doivent travailler, y compris mettre fin au programme d'armes de destruction massive, y compris aussi cesser d'approvisionner le Hezbollah en armes. Il faut aussi qu'ils ne se contentent pas de fermer quelques bureaux. Il faut qu'ils expulsent les membres des organisations terroristes tels que le Hamas ou le Djihad islamique qui mettent en échec le rêve des Palestiniens de construire leur propre Etat et qui s'opposent à la feuille de route.

RMC-MO/RFI : Et à propos du Liban ?

C.P.
: Quand vous parlez de qui doit mettre la pression sur qui, vous avez le Hamas et le Djihad islamique qui continuent de vouloir la destruction d'Israël, et qui continuent à mener des actions terroristes. Ils ne doivent plus recevoir d'aide de qui que ce soit dans le monde aussi longtemps que leurs objectifs restent ceux-là.

RMC-MO/RFI : Et concernant le retrait des troupes syriennes du Liban?

C.P.
: Nous prenons acte du fait que la Syrie occupe un territoire qui n'est pas le sien. Maintenant je comprends l'historique de cette décision et je suis heureux que ces dernières semaines, la Syrie ait retiré la majeure partie de ses troupes. Et j'espère que le jour viendra où, par un accord des deux parties, l'armée syrienne quittera complètement le Liban.

RMC-MO/RFI : Monsieur Powell, avez-vous conscience que votre image dans le monde arabe est ternie et que vous aurez à faire beaucoup d'efforts pour regagner les coeurs et les esprits dans ces régions?

C.P.
: Oui, bien sûr. Et je pense que c'est ce que nous sommes en train de faire, quand on voit les efforts développés par le président Bush pour le processus de paix au Proche Orient et pour la feuille de route. Ceci pour que les Palestiniens aient leur propre Etat, et j'espère que les peuples du Proche Orient se rendent compte désormais que les Etats-Unis sont engagés en tant que partenaires, à la fois au côté des Palestiniens et au côté des Israéliens pour les aider à progresser.
Il est facile de se contenter de critiquer les Etats-Unis et de dire, en fait, que tout le monde est contre l'Amérique. Mais c'est l'Amérique, en ce moment même, qui est en première ligne pour tenter de trouver les moyens de parvenir à la paix entre Israéliens et Palestiniens, et pour tenter d'aider les Palestiniens à réaliser leur rêve d'avoir leur propre Etat. C'est le Hamas et le Djihad Islamique, ce sont des organisations arabes, qui empêchent les Palestiniens de réaliser leur rêve, et non pas les Etats-Unis.
Nous oeuvrons avec toutes les parties, avec les pays arabes, avec les Palestiniens, et les Israéliens, pour progresser vers le projet du président Bush de créer un Etat palestinien. C'est cela qui devrait être le sujet de conversation dans le monde arabe, et j'espère que de plus en plus de gens comprendrons le rôle important que sont en train de jouer les Etats-Unis.
J'espère qu'ils seront de plus en plus nombreux à nous appuyer, et qu'ils seront de plus en plus nombreux à se rendre compte que le sentiment anti-américain n'est pas justifié. Ils devraient au contraire nous aider.

RMC-MO/RFI : Monsieur Powell, ils sont nombreux, en Europe et dans le monde arabe, ceux qui croient que les Etats-Unis ne cherchent pas la liberté, mais recherchent une domination économique et politique dans la région.

C.P.
: Comment pouvez-vous affirmer une chose pareille ! Sur quels fondements vous basez-vous ? Nous avons libéré le Koweït, nous avons rendu le Koweït aux Koweïtiens. Nous avons libéré l'Afghanistan et rendu l'Afghanistan aux Afghans. Nous avons renversé un dictateur à Bagdad et les tombes sont maintenant ouvertes. N'avez-vous pas été bouleversé par ces centaines de milliers de musulmans que Saddam Hussein a tué.
Ce n'est pas l'Amérique qui les a tué, mais Saddam Hussein. Et maintenant qu'il est parti, le peuple irakien peut envisager de se servir de son pétrole pour construire son pays, un pays libre, un pays démocratique, un pays musulman. Et non pas gaspiller son argent en armes de destruction massive et en palais pour dictateur, ou pour effrayer ses voisins.
Et en plus, l'Amérique n'a pas besoin d'un empire. L'Amérique ne veut pas d'un empire. L'Amérique ne cherche pas à imposer sa souveraineté sur un quelconque pays. Et vous ne trouverez aucun exemple, sur les 50 ou 60 années passées, où l'Amérique aurait cherché à imposer à un pays sa volonté pour servir ses propres intérêts.
On nous appelle souvent pour résoudre des problèmes. Nous sommes obligés ponctuellement d'avoir recours à la force armée. Et quand nous sommes intervenus par la force, notre seul intérêt était d'aider les pays à accéder à une vie meilleure pour eux-mêmes et notre seul souhait était de ramener les soldats à la maison quand ils avaient fini leur mission.

Propos recueillis par Béchara El Bonn, RMC-MO
Propos traduits par Toufik Benaïchouche, RFI

A écouter :
L'interview de Colin Powell



Article publié le 19/07/2003