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Etats-Unis

Bush dans la tempête

Selon un sénateur démocrate, le patron de la CIA George Tenet a affirmé que quelqu'un à la Maison Blanche avait insisté pour introduire dans un discours du président des informations douteuses servant à justifier une guerre contre l'Irak. Alors que le coût humain et financier de l'occupation irakienne s'alourdit, le soutien de l'opinion s'érode.
De notre correspondant à New York

Le président Bush n'arrive pas à se débarrasser des questions. Où qu'il aille, quoi qu'il dise, elles reviennent, invariablement. Pourquoi a-t-il inséré dans son discours sur l'état de l'Union, le 28 février dernier, la phrase qu'il a depuis reniée : «Le gouvernement britannique a appris que Saddam Hussein a récemment tenté de se procurer d'importantes quantités d'uranium en Afrique» ? Qui savait que cette accusation reposait sur des faux grossiers ? Qui est à l'origine de l'information ? L'administration a-t-elle manipulé les renseignements disponibles pour entraîner l'Amérique dans la guerre ? Ce jeudi encore, George Bush a fait face aux accusations, aux côtés du premier ministre britannique Tony Blair, en visite à Washington, tous deux soumis à un barrage de critiques sur les causes de la guerre.

Côte-à-côte, les deux hommes ont tenté de repousser les assauts, se livrant à un curieux exercice de justification de la guerre a posteriori. Le dirigeant britannique a réaffirmé «avec chaque fibre d'instinct et de conviction» que la guerre était justifiée. Il a toutefois évoqué la possibilité qu'aucune arme de destruction massive ne soit trouvée en Irak. Le président Bush s'est lui aussi replongé dans un réquisitoire contre Saddam Hussein et ses armes de destruction massive. Mais rien à faire. Au cours de la conférence de presse qui a suivi, le premier journaliste à obtenir la parole a demandé au président américain si il acceptait la responsabilité de l'erreur dans son discours sur l'état de l'Union, traditionnellement le discours le plus important de l'année. «J'accepte la responsabilité d'avoir mis les troupes en action, a répondu George Bush. J'accepte la responsabilité d'avoir pris la décision difficile de rassembler une coalition pour faire tomber Saddam Hussein». Mais il n'a pas répondu. Les médias, souvent complaisants pendant la marche vers la guerre, ne semblent toutefois pas déterminés à lâcher prise. Ils ont fait de la polémique leur sujet favori.

Des bribes de vérité commencent à émerger. Dans un premier temps, le directeur de la CIA, George Tenet, a docilement accepté de prendre la responsabilité de la «bourde» présidentielle. Il aurait dû, disait-il, rayer l'information, dans la mesure où ses services avaient mis sa validité en doute dès le printemps 2002. En octobre de cette même année, il avait d'ailleurs fait retirer cette accusation d'un discours présidentiel. Pourquoi n'avoir pas répété l'opération en février 2003 ? Mercredi, devant une commission d'enquête sénatoriale qui l'a interrogé à huis clos pendant 5 heures, George Tenet a apporté des éléments de réponse. A en croire un sénateur démocrate qui a assisté à l'entretien, un responsable de la Maison Blanche aurait insisté pour que l'accusation frauduleuse figure dans le discours.

Il «nous a dit qui était la personne qui a insisté pour que cette affirmation sur des achats d'uranium en Afrique soit inclue, alors que la CIA savait qu'elle était dénuée de toute crédibilité», a révélé le sénateur démocrate Dick Durbin, membre de la commission du renseignement au sortir de l’audition. Selon lui, il y a eu «une négociation entre la Maison Blanche et la CIA sur jusqu'où on pouvait aller en restant proche de la vérité». Face aux sénateurs, George Tenet aurait lâché le nom du manipulateur. Mais tenu par le secret des travaux de la commission, Dick Durbin a refusé de le révéler à la presse. «Cela doit venir du président», a-t-il affirmé. «Le président devrait être scandalisé d'avoir été trompé et d'avoir trompé le peuple américain. Il doit faire toute la lumière sur cette affaire». La Maison Blanche a immédiatement réfuté ces accusations, en affirmant que le sénateur Durbin avait mal interprété les propos de George Tenet.

L’affaire a réveillé l’opposition démocrate
Qui est donc le mystérieux personnel de la Maison Blanche, et sur ordres de qui aurait-il opéré ? Selon des informations non sourcées relayées dans plusieurs organes de presse américains, la «négociation» en question se serait déroulée entre Alan Foley, de la CIA, et Robert Joseph, du National Security Council. Au bout du compte, Alan Foley aurait donné son accord sur la phrase douteuse –raison pour laquelle George Tenet continue à accepter la responsabilité du faux pas, même si il a affirmé ignorer lui-même que la phrase, qu'il savait douteuse, serait prononcée.

«Nous avons posé la mauvaise question», a expliqué Dick Durbin. «Nous avons demandé pourquoi George Tenet n'avait pas empêché la Maison Blanche de tromper le peuple américain. La question la plus importante est : qui à la Maison Blanche était à ce point prêt à tout pour tromper le peuple américain, et pourquoi sont-ils toujours là.» Les sénateur républicains qui ont entendu George Tenet semblaient eux aussi troublés. «Je pense que des erreurs ont été commises tout au long de la chaîne, jusqu'en haut» a affirmé le Républicain Pat Roberts, qui n'a pas écarté la possibilité que de hauts responsables de la Maison Blanche soient entendus à huis clos sur cette affaire. Le département d'Etat américain a de son côté expliqué que les documents falsifiés sur les tentatives d'achat de l'uranium par l'Irak auraient été fournis en octobre dernier par une source privée, qui les aurait remis à l'ambassade américaine. À la demande du sénateur démocrate, John Rockfeller, le FBI a ouvert une enquête sur l'origine de ces documents.

L'affaire a littéralement réveillé l'opposition démocrate, réticente jusque-là à s'en prendre au président sur la question des armes de destruction massive irakienne dont les Etats-Unis n'ont toujours pas trouvé trace. «Le communiqué sur l'uranium africain n'est pas un incident isolé. Il y a un certain nombre de preuves troublantes que ce communiqué faisait partie de plusieurs autres, trompeurs, exagérant la vérité», a affirmé voilà quelques jours Carl Levin. Pour Ted Kennedy, «la grande tragédie serait que les militaires américains risquent et perdent leur vie en Irak sur la base de faux renseignements.» Plusieurs candidats démocrates à l'élection présidentielle ont demandé la démission de Tenet, tout en réclamant que toute la lumière soit faite sur cette affaire.

La polémique, qui n'est pas sans contenir certains des éléments (les moins salaces) du scandale Clinton Lewinsky, se développe à un moment où le soutien de l'opinion américaine pour la guerre en Irak s'érode sérieusement. L'absence d'ordre en Irak, les attaques persistantes contres les GI's américains, le nombre de morts au combat (147, autant que lors de la première guerre du golfe), le coût de la guerre, 3,9 milliards par mois (le double de ce qui était annoncé), la déprime des troupes et de leurs familles, tous ces éléments contribuent à un renversement de l'opinion. Selon un sondage Newsweek de la semaine dernière, la côte de popularité du président Bush est tombée à 53 %, contre 65 % fin mai (avec un pic à 74% après la chute de Saddam Hussein). 38 % des Américains pensent que l'administration a induit le public en erreur sur les causes de la guerre. Et ce chiffre est en augmentation constante.



par Philippe  Bolopion

Article publié le 18/07/2003