Etats-Unis
La psychose de la guerre biologique
Les risques d'attaque terroriste à l'arme bactériologique ou chimique sont pris très au sérieux aux Etats-Unis où la population se prépare, parfois de façon irrationnelle, en achetant des masques à gaz. Le pays et son système de santé seraient largement démunis en cas d'une telle attaque selon les spécialistes.
De notre correspondant aux Etats-Unis
Dans les pharmacies de Manhattan, les ventes de l'antibiotique Cipro des laboratoires Bayer ont grimpé en flèche ces derniers jours. Le médicament serait l'un des seuls efficaces en cas d'exposition à l'anthrax, une bactérie mortelle. Même chose pour les masques à gaz, qu'il est devenu quasiment impossible de trouver en ville. Les stocks ont été épuisés en quelques jours. Faut-il y voir le fantasme d'une population traumatisée par les attentats du 11 septembre, qui ont probablement fait près de 6 000 morts ? Non, répondent les experts.
Le Cipro n'est peut-être pas très efficace contre l'anthrax, les masques à gaz ne protègent pas contre toutes les menaces bioterroristes, loin de là, mais le risque lui est bien réel. Pour preuve, les barrages policiers qui ceinturent New York pour contrôler si les camions qui entrent ne contiennent pas de produits toxiques ou dangereux. Même les hôpitaux new yorkais, depuis le 11 septembre, ont reçu pour consigne d'observer tout symptôme d'une contamination bactériologique ou chimique.
Plusieurs faits très concrets ont alimenté ces dernières semaines la peur d'une attaque bactériologique ou chimique. Une vingtaine de personnes, la plupart originaires du Proche-Orient, ont été arrêtées ces derniers jours pour avoir frauduleusement obtenu des permis les autorisant à transporter des matières dangereuses. La semaine dernière, les avions d'épandage ont été cloués au sol deux jours durant dans tout le pays. Le FBI avait découvert que plusieurs des terroristes du 11 septembre recherchaient des renseignements sur l'utilisation de ces appareils.
Ces éléments ont poussé les enquêteurs et la presse à chercher dans cette direction. Ils ont déterré le témoignage fort instructif de l'Algérien Ahmed Ressam reconnu coupable en juillet d'une tentative d'attentat contre l'aéroport de Los Angeles. Devant un tribunal fédéral de New York, il a témoigné avoir été initié à la fabrication d'un gaz mortel dans un camp d'entraînement d'Oussama Ben Laden. Le mélange à base de cyanure et d'acide sulfurique a été testé avec succès, sous ses yeux, sur un chien. Au menu de cette formation : comment diffuser un gaz mortel à travers le système d'aération d'un immeuble.
«Depuis le 11 septembre, il faut réévaluer les risques»
La CIA connaît depuis longtemps l'attrait du réseau Al Qaïda pour les armes chimiques, biologiques et nucléaires, dont l'achat est un «devoir religieux» selon des propos du directeur de la CIA George Tenet devant le Congrès. En revanche, les spécialistes ont du mal à évaluer la maîtrise de telles armes, complexes à manipuler, par les réseaux terroristes. «Jusque-là, on estimait généralement que la maîtrise d'armes bactériologiques ou chimiques était hors de portée des terroristes, explique Charles Duelfer, chercheur au Center for Strategic and International Studies (CSIS). Depuis le 11 septembre, il faut réévaluer les risques.»
Si ces armes sont considérées comme peu efficaces d'un point de vue militaire -trop complexes, trop chères, pas assez mortelles- elles sont potentiellement une arme efficace pour inspirer la terreur et déstabiliser une économie. Le chercheur évoque un scénario catastrophe : un groupe terroriste vaporise de l'anthrax à Grand Central Station, le n£ud ferroviaire de Manhattan. Les premiers symptômes sont détectés 24 heures après au plus tôt. La panique qui s'ensuit est de nature à paralyser les transports dans la ville, même si le bilan n'est «que» de quelques morts.
«La production d'anthrax nécessite à peu près le même équipement que pour fermenter de la bière et la bactérie se trouve dans la nature», précise Charles Duefler qui a fait ses armes au département d'Etat, puis dans la mission onusienne de désarmement de l'Irak. La menace chimique est généralement considérée comme moins sérieuse. «Il faudrait que des terroristes aient des tonnes d'un gaz comme le sarin avant d'être efficaces, confirme Gregory Jones, chercheur spécialisé dans les armes de destruction de masse pour Rand, un cabinet de conseil. L'anthrax, à quantité égale, est 100 000 fois plus mortelle». La variole est considérée comme un risque sérieux, depuis que la maladie a été mondialement éradiquée voilà vingt ans. Des échantillons du microbe sont conservés aux Etats-Unis et en Russie, et selon les experts, dans quelques autres pays. Il suffirait à un terroriste de s'inoculer la maladie et de se promener dans des lieux publiques...
Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), les pays sont mal préparés face à la menace biologique. C'est certainement le cas des Etats-Unis. En juin dernier, la simulation «Dark Winter», façon jeu de rôle, a montré l'impréparation des autorités en cas d'une attaque biologique à la variole. Résultat au bout de deux semaines : 6 000 morts virtuels et 16 000 infectés. Les infrastructures de la santé sont insuffisantes. Les médecins ne sont pas formés à reconnaître les symptômes. Et il manque de vaccins, en dépit d'une commande récente de 40 millions de doses contre la variole. Bref, c'est tout un pan de la défense nationale qui est à reconsidérer.
Dans les pharmacies de Manhattan, les ventes de l'antibiotique Cipro des laboratoires Bayer ont grimpé en flèche ces derniers jours. Le médicament serait l'un des seuls efficaces en cas d'exposition à l'anthrax, une bactérie mortelle. Même chose pour les masques à gaz, qu'il est devenu quasiment impossible de trouver en ville. Les stocks ont été épuisés en quelques jours. Faut-il y voir le fantasme d'une population traumatisée par les attentats du 11 septembre, qui ont probablement fait près de 6 000 morts ? Non, répondent les experts.
Le Cipro n'est peut-être pas très efficace contre l'anthrax, les masques à gaz ne protègent pas contre toutes les menaces bioterroristes, loin de là, mais le risque lui est bien réel. Pour preuve, les barrages policiers qui ceinturent New York pour contrôler si les camions qui entrent ne contiennent pas de produits toxiques ou dangereux. Même les hôpitaux new yorkais, depuis le 11 septembre, ont reçu pour consigne d'observer tout symptôme d'une contamination bactériologique ou chimique.
Plusieurs faits très concrets ont alimenté ces dernières semaines la peur d'une attaque bactériologique ou chimique. Une vingtaine de personnes, la plupart originaires du Proche-Orient, ont été arrêtées ces derniers jours pour avoir frauduleusement obtenu des permis les autorisant à transporter des matières dangereuses. La semaine dernière, les avions d'épandage ont été cloués au sol deux jours durant dans tout le pays. Le FBI avait découvert que plusieurs des terroristes du 11 septembre recherchaient des renseignements sur l'utilisation de ces appareils.
Ces éléments ont poussé les enquêteurs et la presse à chercher dans cette direction. Ils ont déterré le témoignage fort instructif de l'Algérien Ahmed Ressam reconnu coupable en juillet d'une tentative d'attentat contre l'aéroport de Los Angeles. Devant un tribunal fédéral de New York, il a témoigné avoir été initié à la fabrication d'un gaz mortel dans un camp d'entraînement d'Oussama Ben Laden. Le mélange à base de cyanure et d'acide sulfurique a été testé avec succès, sous ses yeux, sur un chien. Au menu de cette formation : comment diffuser un gaz mortel à travers le système d'aération d'un immeuble.
«Depuis le 11 septembre, il faut réévaluer les risques»
La CIA connaît depuis longtemps l'attrait du réseau Al Qaïda pour les armes chimiques, biologiques et nucléaires, dont l'achat est un «devoir religieux» selon des propos du directeur de la CIA George Tenet devant le Congrès. En revanche, les spécialistes ont du mal à évaluer la maîtrise de telles armes, complexes à manipuler, par les réseaux terroristes. «Jusque-là, on estimait généralement que la maîtrise d'armes bactériologiques ou chimiques était hors de portée des terroristes, explique Charles Duelfer, chercheur au Center for Strategic and International Studies (CSIS). Depuis le 11 septembre, il faut réévaluer les risques.»
Si ces armes sont considérées comme peu efficaces d'un point de vue militaire -trop complexes, trop chères, pas assez mortelles- elles sont potentiellement une arme efficace pour inspirer la terreur et déstabiliser une économie. Le chercheur évoque un scénario catastrophe : un groupe terroriste vaporise de l'anthrax à Grand Central Station, le n£ud ferroviaire de Manhattan. Les premiers symptômes sont détectés 24 heures après au plus tôt. La panique qui s'ensuit est de nature à paralyser les transports dans la ville, même si le bilan n'est «que» de quelques morts.
«La production d'anthrax nécessite à peu près le même équipement que pour fermenter de la bière et la bactérie se trouve dans la nature», précise Charles Duefler qui a fait ses armes au département d'Etat, puis dans la mission onusienne de désarmement de l'Irak. La menace chimique est généralement considérée comme moins sérieuse. «Il faudrait que des terroristes aient des tonnes d'un gaz comme le sarin avant d'être efficaces, confirme Gregory Jones, chercheur spécialisé dans les armes de destruction de masse pour Rand, un cabinet de conseil. L'anthrax, à quantité égale, est 100 000 fois plus mortelle». La variole est considérée comme un risque sérieux, depuis que la maladie a été mondialement éradiquée voilà vingt ans. Des échantillons du microbe sont conservés aux Etats-Unis et en Russie, et selon les experts, dans quelques autres pays. Il suffirait à un terroriste de s'inoculer la maladie et de se promener dans des lieux publiques...
Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), les pays sont mal préparés face à la menace biologique. C'est certainement le cas des Etats-Unis. En juin dernier, la simulation «Dark Winter», façon jeu de rôle, a montré l'impréparation des autorités en cas d'une attaque biologique à la variole. Résultat au bout de deux semaines : 6 000 morts virtuels et 16 000 infectés. Les infrastructures de la santé sont insuffisantes. Les médecins ne sont pas formés à reconnaître les symptômes. Et il manque de vaccins, en dépit d'une commande récente de 40 millions de doses contre la variole. Bref, c'est tout un pan de la défense nationale qui est à reconsidérer.
par Philippe Bolopion
Article publié le 02/10/2001