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Etats-Unis

Hollywood repense ses plaies

Encore sous le choc des attentats du 11 septembre, l'industrie du cinéma tourne au ralenti. La sortie de nombreux films d'action mettant en scène des actes terroristes a été reportée. Hollywood entame une vaste réflexion sur les conséquences pour ses films du traumatisme subi par l'Amérique.
De notre correspondant aux Etats-Unis

Woody Allen a-t-il une chance d'être entendu ? De passage à Paris, il a jugé «ironique que des terroristes qui méprisent la culture américaine, telle que la représentent certains films américains, essaient d'imiter les méchants sortis de quelque mauvais James Bond». Et d'espérer que «la seule bonne chose» qui en sortira sera de «nous débarrasser de ces films débiles et violents, bourrés d'effets spéciaux».

Qui devant sa télévision, le 11 septembre dernier, n'a pas eu un sentiment de déjà vu devant les tours jumelles du World Trade Center qui s'effondraient ? Qui n'a pas trouvé familières les scènes de panique, les boules de feu et les nuages de fumée? Et finalement qui copie qui ? Hollywood a cent fois pensé et mis en scène la destruction de New York. Le parallèle entre certains films et la réalité en est troublant. Les situations sont les mêmes, les citations sont les mêmes. Sauf que cette fois les morts sont bien réels, et ils se comptent par milliers. Sur les collines de Hollywood, le malaise était inévitable.

Walt Disney a reporté la sortie de Bad Company, dans lequel Anthony Hopkins, agent de la CIA, est en proie à des terroristes étrangers qui utilisent une valise piégée. Quelque jours auparavant, Warner Brothers Pictures a également reporté la sortie de Collateral Damage, avec Arnold Schwarzenegger. C'est cette fois l'histoire d'un pompier dont la famille est tuée dans l'attaque d'un consulat américain par des terroristes colombiens. Big Trouble de Barry Sonnenfeld a connu un sort identique. Encore une histoire de valise piégée à bord d'un avion. La liste est longue.

Embargo sur les films mettant en scène le terrorisme

Les stars d'Hollywood ont beau participer à de vastes opérations de charité à destination des victimes du drame, la bonne conscience n'est pas au rendez-vous. Comme si l'industrie toute entière, à tort ou à raison, se sentait vaguement coupable. Les grands studios ont conclu un accord tacite pour mettre un embargo sur les films traitant de terrorisme. «Le sujet me semble trop sensible en ce moment et personne n'a envie de voir pendant des heures un film sur ce thème alors que nous avons été submergés d'images des attentats à la télévision ces derniers jours», a déclaré à l'AFP Lea Porteneuve, une responsable de la communication à la Metro-Goldwyn-Mayer.

Après la guerre du Vietnam, il a fallu patienter des années avant que des films sur ce sujet ne viennent submerger les écrans. Mais l'industrie du rêve finit toujours par digérer dans ses films, à sa manière, les événements qui gouvernent le monde. Les méchants irakiens ont succédé aux méchants russes, les méchants terroristes aux méchants irakiens; ils risquent désormais de prendre les traits des taliban.

Il est difficile de prévoir comment Hollywood va rebondir. Les professionnels du secteur s'attendent à des films exaltant le patriotisme américain ou le courage des pompiers et des sauveteurs. Certains vont aussi miser sur les comédies. Histoire de rire un peu. Les plus optimistes parient sur une nouvelle ère de films plus introspectifs, plus engagés, proposant une vision du monde un peu différente en s'appuyant et en se nourrissant des questionnements du public face à l'ampleur du drame.

En attendant de se décider, Hollywood tourne au ralenti. Le choc du 11 septembre, l'indécision quant aux types de films qui doivent être produits ou non, ajoutés aux effets des peurs liées aux menaces de grève voilà quelques mois se conjuguent pour paralyser les studios. D'ici la fin de l'année, les neuf majors ne produiront que seize films contre 68 l'année dernière à la même époque. Les scénarios seront relus avec un oeil nouveau, débattus, et éventuellement modifiés ou tout simplement éliminés.

«On ne peut pas arrêter de faire des films d'action», a expliqué à Reuters Amy Pascal, PDG de Columbia. Pourtant, il est important que nous résistions à ce besoin émotionnel de devenir xénophobe et de faire un film du type «l'étranger est l'ennemi». Au bout du compte, les observateurs en conviennent, le public dictera ses choix. Le box office reste la seule loi et la seule morale des géants d'Hollywood. Si le public veut des terroristes, il aura des terroristes. S'il veut de la violence, il aura de la violence.



par Philippe  Bolopion

Article publié le 27/09/2001