Etats-Unis
La France taxée d'antisémitisme
La presse américaine se déchaîne. Les organisations juives parlent de boycotter les produits Français. Les comparaisons entre la France d'aujourd'hui, le régime de Vichy et la solution finale sont devenues banales. Au yeux de beaucoup d'Américains, la France est un pays férocement antisémite où il est dangereux pour un Juif de voyager.
New York, de notre correspondant
Le couple Goldberg avait prévu de passer la semaine en France, entre Avignon et les châteaux de la Loire. Au lieu de cela, ils sont restés à New York. «Nous avions nos billets d'avion, les réservations d'hôtel, explique Abbey Goldberg à Associated Press, mais avec tous ces actes antisémites, nous n'étions pas à l'aise de partir. Et puis nous ne voulons pas dépenser d'argent dans un pays qui tolère ce genre de choses». Les agences de tourisme juives ont annulé de nombreux voyages en France. A Washington, l'ambassade française est assaillie de coups de téléphone de touristes inquiets de se rendre en Europe. Le centre Simon Wiesenthal, un groupe de vigilance contre l'antisémitisme, a émis une alerte à destination des touristes juifs en France. «Ces 18 derniers mois, il y a eu plus de 400 crimes de haine contre des cibles juives en France», prévient le centre qui «exhorte les voyageurs juifs en France à faire preuve d'une extrême prudence».
Dans la presse les éditoriaux incendiaires se succèdent. Dans le Washington Post, sous le titre «Solution finale, phase 2», le commentateur ultra-conservateur George Will a moqué l'Europe, théâtre selon lui d'un «antisémitisme sans juifs». La crise au Proche-Orient est selon lui devenue «la seconde phase -et finale? - du combat pour une solution finale à la question juive». L'article, qui n'engage pas le journal, a semé la consternation. Le quotidien a publié la réponse de Chris Patten, commissaire européen pour les relations extérieures qui qualifie l'article de «détritus choquant et obscène». Il rappelle la spécificité du nazisme et souligne que la communauté musulmane est également victime d'attaques en Europe. «Lorsqu'il y avait une flambée d'attaques contre les églises d'Africains Américains aux Etats-Unis, aurions nous dû en conclure hâtivement que le Ku Klux Klan était en route pour la Maison Blanche?» demande Chris Patten. «Toute critique de la politique du Likoud (la droite israélienne) et de sa philosophie condamne-t-elle ses auteurs comme antisémites?» poursuit-il. Le texte, fort peu diplomatique, a généré des centaines de messages de réaction sur le site Internet du Washington Post.
La France est stigmatisée comme pays hypocrite et donneur de leçons
Depuis longtemps, le débat a débordé les colonnes des journaux, dont les plus conservateurs ont abandonné toute réserve dans leurs critiques de l'Europe. Dans les débats radio ou télévisés, la France est souvent stigmatisée comme un pays hypocrite, donneur de leçons, qui déverse sa haine des Etats-Unis (remise en cause de la réalité des attentats du 11 septembre), des Juifs (attaques contre des cibles juives) et d'une manière générale des étrangers (Le Pen au deuxième tour). «La situation devient inquiétante» explique un diplomate Français, sous couvert d'anonymat. «On n'avait pas vu ça depuis les années 70, quand des New-yorkais vidaient des bouteilles de vin français dans les caniveaux pour protester contre l'attitude française vis à vis de l'OLP» poursuit-il. Les diplomates français s'épuisent à éteindre les feux qui se déclarent un peu partout, en allant au devant des groupes de pression de juifs américains.
Mais la tâche est rude. Plusieurs manifestations se sont déroulées devant des symboles de la France aux Etats-Unis. Sur la côte ouest, plusieurs journaux ont publié des pages d'annonces payées par le American Jewish Congress. Sur fond noir, on peut y lire : «Pour votre considération à Cannes». Sur la gauche, une colonne intitulée «France, 1942» comprend une série d'éléments : «synagogues et écoles juives incendiées, Juifs battus dans les rues, les Juifs subissent la discrimination, «Mein Kampf» lu par un grand nombre de personnes en France... Sur la droite, dans la colonne «France 2002» : synagogues et écoles juives incendiées, Juifs battus dans les rues, cimetières juifs vandalisés...». L'organisation vient également de créer un site internet, qui se veut un répertoire de l'antisémitisme en France. «Nous n'appelons pas à un boycott immédiat» prévient le groupe, qui n'exclut pas d'appeler à un embargo sur les produits français pour forcer le gouvernement «à reconnaître la gravité du problème et à prendre les mesures nécessaires pour y mettre un terme». L'idée n'est pas nouvelle. Après la publication des propos attribués à l'ambassadeur Français à Londres, Daniel Bernard, qui aurait déclaré dans un dîner privé qu'Israël était un «petit pays de merde», l'ancien maire de New York, Ed Koch, avait appelé «tous les supporteurs d'Israël à boycotter les vins, fromages, parfums et vêtements français».
Les politiques ne sont pas en reste. La semaine passée, la Maison Blanche a fait savoir que le président Bush était «inquiet» de la montée de l'antisémitisme en Europe. De son côté, le démocrate Joseph Crowley de New York a proposé une résolution dénonçant la montée de l'antisémitisme en France et en Europe et appelant les Européens à faire davantage pour le combattre. La résolution devrait passer devant la Commission des relations internationales de la Chambre des Représentants la semaine prochaine, où elle a semble-t-il toutes les chances d'être adoptée. La quasi-totalité du Sénat Américain a déjà écrit au président Américain pour lui demander de sermonner les Européens à ce sujet.
La défense s'organise. Le Haut représentant de l'Union européenne pour la politique extérieure, Javier Solana, a dénoncé ceux qui, depuis quelques semaines, «veulent donner l'impression que l'Europe s'est transformée en un territoire xénophobe, raciste et antisémite. C'est faux», a-t-il dit. Aux Etats-Unis, la France bénéficie du soutien de quelques alliés, comme Richard Cohen, qui a écrit dans le Washington Post : «Si je n'étais pas juif, on pourrait me qualifier d'antisémite. A l'occasion, j'ai critiqué Israël. A l'occasion, j'ai pris le parti des Palestiniens. (...) Ici, la critique d'Israël, l'anti-sionisme en particulier, est assimilée à l'antisémitisme».
Le couple Goldberg avait prévu de passer la semaine en France, entre Avignon et les châteaux de la Loire. Au lieu de cela, ils sont restés à New York. «Nous avions nos billets d'avion, les réservations d'hôtel, explique Abbey Goldberg à Associated Press, mais avec tous ces actes antisémites, nous n'étions pas à l'aise de partir. Et puis nous ne voulons pas dépenser d'argent dans un pays qui tolère ce genre de choses». Les agences de tourisme juives ont annulé de nombreux voyages en France. A Washington, l'ambassade française est assaillie de coups de téléphone de touristes inquiets de se rendre en Europe. Le centre Simon Wiesenthal, un groupe de vigilance contre l'antisémitisme, a émis une alerte à destination des touristes juifs en France. «Ces 18 derniers mois, il y a eu plus de 400 crimes de haine contre des cibles juives en France», prévient le centre qui «exhorte les voyageurs juifs en France à faire preuve d'une extrême prudence».
Dans la presse les éditoriaux incendiaires se succèdent. Dans le Washington Post, sous le titre «Solution finale, phase 2», le commentateur ultra-conservateur George Will a moqué l'Europe, théâtre selon lui d'un «antisémitisme sans juifs». La crise au Proche-Orient est selon lui devenue «la seconde phase -et finale? - du combat pour une solution finale à la question juive». L'article, qui n'engage pas le journal, a semé la consternation. Le quotidien a publié la réponse de Chris Patten, commissaire européen pour les relations extérieures qui qualifie l'article de «détritus choquant et obscène». Il rappelle la spécificité du nazisme et souligne que la communauté musulmane est également victime d'attaques en Europe. «Lorsqu'il y avait une flambée d'attaques contre les églises d'Africains Américains aux Etats-Unis, aurions nous dû en conclure hâtivement que le Ku Klux Klan était en route pour la Maison Blanche?» demande Chris Patten. «Toute critique de la politique du Likoud (la droite israélienne) et de sa philosophie condamne-t-elle ses auteurs comme antisémites?» poursuit-il. Le texte, fort peu diplomatique, a généré des centaines de messages de réaction sur le site Internet du Washington Post.
La France est stigmatisée comme pays hypocrite et donneur de leçons
Depuis longtemps, le débat a débordé les colonnes des journaux, dont les plus conservateurs ont abandonné toute réserve dans leurs critiques de l'Europe. Dans les débats radio ou télévisés, la France est souvent stigmatisée comme un pays hypocrite, donneur de leçons, qui déverse sa haine des Etats-Unis (remise en cause de la réalité des attentats du 11 septembre), des Juifs (attaques contre des cibles juives) et d'une manière générale des étrangers (Le Pen au deuxième tour). «La situation devient inquiétante» explique un diplomate Français, sous couvert d'anonymat. «On n'avait pas vu ça depuis les années 70, quand des New-yorkais vidaient des bouteilles de vin français dans les caniveaux pour protester contre l'attitude française vis à vis de l'OLP» poursuit-il. Les diplomates français s'épuisent à éteindre les feux qui se déclarent un peu partout, en allant au devant des groupes de pression de juifs américains.
Mais la tâche est rude. Plusieurs manifestations se sont déroulées devant des symboles de la France aux Etats-Unis. Sur la côte ouest, plusieurs journaux ont publié des pages d'annonces payées par le American Jewish Congress. Sur fond noir, on peut y lire : «Pour votre considération à Cannes». Sur la gauche, une colonne intitulée «France, 1942» comprend une série d'éléments : «synagogues et écoles juives incendiées, Juifs battus dans les rues, les Juifs subissent la discrimination, «Mein Kampf» lu par un grand nombre de personnes en France... Sur la droite, dans la colonne «France 2002» : synagogues et écoles juives incendiées, Juifs battus dans les rues, cimetières juifs vandalisés...». L'organisation vient également de créer un site internet, qui se veut un répertoire de l'antisémitisme en France. «Nous n'appelons pas à un boycott immédiat» prévient le groupe, qui n'exclut pas d'appeler à un embargo sur les produits français pour forcer le gouvernement «à reconnaître la gravité du problème et à prendre les mesures nécessaires pour y mettre un terme». L'idée n'est pas nouvelle. Après la publication des propos attribués à l'ambassadeur Français à Londres, Daniel Bernard, qui aurait déclaré dans un dîner privé qu'Israël était un «petit pays de merde», l'ancien maire de New York, Ed Koch, avait appelé «tous les supporteurs d'Israël à boycotter les vins, fromages, parfums et vêtements français».
Les politiques ne sont pas en reste. La semaine passée, la Maison Blanche a fait savoir que le président Bush était «inquiet» de la montée de l'antisémitisme en Europe. De son côté, le démocrate Joseph Crowley de New York a proposé une résolution dénonçant la montée de l'antisémitisme en France et en Europe et appelant les Européens à faire davantage pour le combattre. La résolution devrait passer devant la Commission des relations internationales de la Chambre des Représentants la semaine prochaine, où elle a semble-t-il toutes les chances d'être adoptée. La quasi-totalité du Sénat Américain a déjà écrit au président Américain pour lui demander de sermonner les Européens à ce sujet.
La défense s'organise. Le Haut représentant de l'Union européenne pour la politique extérieure, Javier Solana, a dénoncé ceux qui, depuis quelques semaines, «veulent donner l'impression que l'Europe s'est transformée en un territoire xénophobe, raciste et antisémite. C'est faux», a-t-il dit. Aux Etats-Unis, la France bénéficie du soutien de quelques alliés, comme Richard Cohen, qui a écrit dans le Washington Post : «Si je n'étais pas juif, on pourrait me qualifier d'antisémite. A l'occasion, j'ai critiqué Israël. A l'occasion, j'ai pris le parti des Palestiniens. (...) Ici, la critique d'Israël, l'anti-sionisme en particulier, est assimilée à l'antisémitisme».
par Philippe Bolopion
Article publié le 13/05/2002