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Etats-Unis

Bush sommé de choisir une stratégie

Le président américain est soumis à des critiques croissantes sur son absence de stratégie pour mettre un terme à la violence au Proche-Orient. L’administration Bush envoie des messages brouillés, soutenant publiquement la politique de Ariel Sharon tout en votant une résolution de l’ONU demandant à Israël de se retirer de Ramallah.
De notre correspondant à New York

Les spécialistes du dossier y perdent leur latin. Début mars, les États-Unis ont voté contre toute attente au Conseil de sécurité une résolution reconnaissant la «vision d’un État Palestinien», alors que jusque là, Washington bloquait tout projet de résolution sur la question, quitte à utiliser son droit de véto. Puis le 13 mars, George Bush explique que l’offensive israëlienne dans les territoires palestiniens «ne va pas aider». Ces données sont interprétées comme un recentrage de la position américaine au Proche-Orient. Mais vendredi dernier, alors que les chars israéliens encerclent le siège de l’Autorité palestinienne à Ramallah, le secrétaire d’État Colin Powell manifeste une certaine compréhension, voire sympathie, pour la tactique israélienne.

Quelques heures plus tard, nouvelle surprise au Conseil de sécurité : les États-Unis votent au petit matin en faveur d’une résolution, la 1402, qui demande à Israël de se retirer des villes palestiniennes, Ramallah y compris. Le texte demande aussi un cessez-le-feu, mais le président du Conseil précise avant le vote que la trêve ne conditionne pas le retrait de l’armée. Le samedi, George W. Bush sème la consternation en omettant soigneusement toute référence à ladite résolution alors qu’il réagit sur la situation, rappelant que Ariel Sharon est un leader démocratiquement élu qui, légitimement, «répond au désir des gens» pour plus de sécurité. Depuis, les officiels américains s’efforcent confusément de détourner le sens de la résolution 1402, insinuant contre toute évidence qu’elle stipule que le retrait israélien dépend de la trêve.

La Maison Blanche ne sait pas ce qu’elle veut, et cela lui vaut une pluie de critiques. Depuis le 11 septembre, elle s’efforce sans succès de trouver une réponse à cette épineuse question : comment soutenir Israël dans sa lutte contre le terrorisme sans s’aliéner les pays arabes dans la perspective de la guerre à venir contre l’Irak ? Dans un éditorial, le Wall Street Journal, a fait valoir que le «bourbier du Proche-Orient» risquait de distraire Bush de son objectif premier : la guerre contre le terrorisme. Le Weekly Standard, un titre conservateur de référence, a qualifié d’«amateur» la diplomatie américaine de ces dernières semaines. Au sein du camp conservateur qui a longtemps critiqué le président Clinton pour son engagement au Proche Orient, d’autres estiment que cet engagement renouvelé est devenu un mal nécessaire pour s’attaquer à l’Irak.

«Incompétence stratégique»

Dans le camp démocrate, on plaide pour un engagement plus ferme. Zbigniew Brzezinski, l’ancien conseiller pour la sécurité nationale du président Carter a également dénoncé «l’incompétence stratégique» de l’administration Bush, estimant que «par le passé, l’absence de stratégie était viable», mais que «maintenant la situation est trop incendiaire pour être viable». «Je crois qu’il est temps que le président demande au secrétaire d’État Colin Powell, qui a une telle envergure dans le monde, d’aller au Proche-Orient», a estimé le sénateur démocrate Joseph Lieberman qui dénonce par ailleurs les «incohérences de la politique américaine». «Je crois que nous devons faire quelque chose de spectaculaire, et cela veut dire que le président doit s’impliquer davantage», a estimé le président du comité des affaires étrangères du sénat, Joseph Biden.

«Il semble que le conflit israélo-palestinien restera dans l’histoire comme la Yougoslavie de l’administration Bush : une situation dangereuse que les États-Unis ont laissé tourner à la catastrophe à force de timidité et d’inaction entêtée», écrit Jackson Diehl, éditorialiste pour le Washington Post. Selon lui, l’erreur originelle des Américains est d’avoir reporté le plan Mitchell appelant à un cessez-le-feu accompagné d’observateurs internationaux pour en vérifier le respect. En acceptant l’exigence de Ariel Sharon qui demandait sept semaines de calme absolu avant de reprendre les négociations, l’administration Bush s’est selon lui enfermée dans une nasse.

Le président n’a toujours pas tranché et se bat avec ses propres démons. Les images des civils israéliens frappés par les attentats dans leurs activités quotidiennes opèrent comme un miroir des épreuves traversées par le peuple américain. Le camp israélien en joue à l’excès, Ariel Sharon n’hésitant pas à plagier des expressions entières du président Bush et s’efforçant de faire passer Yasser Arafat pour un Ben Laden local. Il y parvient dans une certaine mesure. «Si des terroristes suicidaires se faisaient exploser dans New York, nous consacrerions toute notre énergie à y mettre un terme», a confié au New York Times un haut fonctionnaire de la Défense. Accréditant cette thèse, le ministre de la défense Donald Rumsfeld a affirmé hier que «les terroristes ont déclaré la guerre à la civilisation et des États comme l’Iran, l’Irak et la Syrie inspirent et financent une culture de meurtre politique et d’attentat suicide».

Sharon et Bush, même combat ? Pas vraiment. La Maison Blanche persiste à considérer Yasser Arafat comme le chef de l’Autorité palestinienne qui est en tant que tel un interlocuteur crédible dans le processus de paix. «Je voudrais voir le président Arafat dénoncer les activités terroristes» a répété lundi George Bush, qui appelle aussi Ariel Sharon à «garder la voie de la paix ouverte et à comprendre que d’un côté Israël devrait se défendre mais que de l’autre il faut garder la voie ouverte à un règlement pacifique».

Ariel Sharon n’a donc pas obtenu la tête de Arafat, même si George Bush n’a pas confiance dans le leader palestinien qu’il soupçonne de duplicité -ce qui, en vertu du manichéisme texan, le fait sombrer dans le camp du mal. Cet avis est partagé par bon nombre de spécialistes du dossier au sein de l’administration, mais beaucoup estiment aussi que la stratégie de Sharon n’a aucune chance de réussir et risque de ternir à long terme l’image des États-Unis dans la région.



par Philippe  Bolopion

Article publié le 02/04/2002