Etats-Unis
Sauver l'école publique du désastre
Au c£ur de la campagne présidentielle américaine : l'avenir de l'école publique aux Etats-Unis. Face à un état des lieux calamiteux et de plus en plus discriminatoire, les candidats proposent leurs solutions.
Il y a urgence: depuis trente ans, la qualité de l'enseignement public n'a pas cessé de décliner aux Etats-Unis. Les raisons en sont multiples, mais la principale est le manque d'unification de cet enseignement: faute d'un ministère de l'éducation nationale comme il en existe dans la plupart des autres pays, les critères d'engagement des professeurs, le système de notations, et jusqu'au contenu des programmes dépendent des largesses financières des autorités locale: l'Etat le comté, voire la municipalité. Plus grave, ils dépendent aussi de la largeur d'esprit des mêmes autorités, comme lorsque les bibliothèques sont expurgées par quelques intégristes locaux. Le fossé est donc grand entre l'enseignement dispensé dans des régions pauvres et peu évoluées, comme certains comtés du vieux Sud, et celui qu'offrent des localités riches et cultivées de Nouvelle Angleterre. L'état des locaux scolaires reflète les mêmes critères: souvent aussi sales que dangereux dans les quartiers noirs et latino-américains des grandes villes, ils peuvent concurrencer les meilleurs établissements privés dans certaines banlieues opulentes.
Derrière les Européens et les Japonais
Selon les dernières enquêtes, un écolier américain de dix ans est à peu près au même niveau en lecture, en sciences et en arithmétique que les enfants des autres pays développés. Mais à dix-sept ans, 13% des jeunes Américains sont incapables de lire, écrire et compter convenablement, et 35% des élèves afro-américains ou hispanophones ont quitté l'école avant la fin de leur scolarité secondaire. En culture générale, en sciences et en mathématiques, les écoliers américains se classent loin derrière leurs homologues européens et japonais. Dans les classes terminales des dix-huit pays les plus industrialisés, les meilleurs des jeunes Américains se classent parmi les derniers.
Les puissants syndicats enseignants qui forment les gros bataillons du parti démocrate nient cet état de fait. Ils considèrent que «la plus grande puissance du monde» ne saurait pas plus démériter dans ce domaine que dans les autres. Ils refusent de reconnaître ce dont les employeurs se plaignent de plus en plus: le niveau insuffisant des diplômés de l'enseignement secondaire et les sommes considérables qu'ils doivent dépenser pour remettre au niveau les personnels qu'ils engagent. Dans la période de quasi-plein-emploi que connaît le pays, le recrutement du personnel qualifié devient si difficile qu'il faille de plus en plus faire appel à la main d'£uvre étrangère : le tiers des salariés de la Silicon valley, la capitale californienne des entreprises high tech, vient aujourd'hui d'Europe et d' Asie.
Les parents nantis ont choisi depuis longtemps d'envoyer leurs enfants dans des écoles privées dont le niveau scolaire est généralement meilleur que celui des établissements publics, et où la sécurité des élèves est mieux assurée. Mais toutes les familles ne peuvent pas payer entre six et dix mille dollars par an pour assurer une bonne scolarité à leur enfant. Les parents sont si mécontents des systèmes d'enseignement qui leur sont proposés qu'ils sont de plus en plus nombreux à décider d'instruire leurs enfants à la maison. Ce qui risque d'entraîner des conséquences inquiétantes pour le niveau de ces écoliers, comme pour leur aptitude à vivre en société.
Le niveau de l'enseignement supérieur américain reflète cette situation: il y a un fossé entre les «grandes» universités, le plus souvent privées, à la notoriété internationale, et aux tarifs exorbitants (20 à 25 000 dollars par an), et les universités beaucoup plus modestes, souvent publiques, beaucoup moins chères, beaucoup moins renommées, et dont les diplômes sont beaucoup moins cotés sur le marché du travail.
Cent mille nouveaux enseignants
Al Gore a proposé, s'il est élu président, de consacrer une partie importante du surplus budgétaire du pays à la refonte de l'enseignement. Il se propose de verser cent quinze milliards de dollars sur dix ans aux écoles publiques, notamment pour développer l'enseignement pré-scolaire pour tous les enfants, surtout ceux des couches défavorisées de la population. Il veut aussi engager cent mille nouveaux enseignants. Car l'école publique, surtout dans les grandes villes, souffre d'un grave déficit de professeurs en nombre et en qualité.
Pour George W. Bush, qui ne considère pas l'école comme une vraie priorité, il suffirait de proposer aux parents des dégrèvements d'impôts pour leur permettre de choisir les établissements dans lesquels ils souhaitent envoyer leurs enfants. C'est déjà ce qu'avait proposé dans les années soixante l'économiste de Chicago, Milton Friedman, grand chantre du libéralisme économique.
Mais l'enseignement public américain souffre surtout de son manque d'unité. Bill Clinton avait tenté d'imposer ce qui avait bien réussi aux écoles de son Arkansas natal, pourtant l'un des Etats les plus pauvres du pays : des tests de compétence pour les professeurs comme pour les écoliers. Mais l'extension de ce système à l'ensemble des Etats-Unis s'est heurtée aux protestations des syndicats qui y vont vu une discrimination possible à l'égard des enseignants noirs et latinos américains. Pourtant, si les écoles publiques du Connecticut sont considérées comme les meilleures du pays, c'est bien parce que les professeurs, particulièrement bien payés, sont recrutés sur des critères rigoureux.
Un système infantile
Les difficultés de l'enseignement américain tiennent aussi à une conception de la scolarité qu µun éducateur connu, Leon Botstein, dénonçait récemment dans le New-York Times comme «totalement dépassée». L'auteur, faisant allusion aux tueries qui ensanglantent périodiquement les high schools américaines, met en accusation l'étrange système qui condamne les élèves à se couler dans un moule d'un conformisme étouffant: il ne s'agit pas d'être brillant, d'avoir des idées originales, de s'interroger sur les finalités de la vie, mais d'être «populaire», bon camarade, bon en sport, de plaire à ses condisciples plus qu'aux professeurs, d'être le moins dérangeant possible. En bref, de se conformer à une image des «bonnes manières», digne de la bourgeoisie victorienne du siècle dernier. Selon l'auteur, l'école n'apprend pas aux élèves à devenir des adultes responsables, mais les entretient dans un infantilisme d'autant plus dangereux que les jeunes de 15 ou 16 ans d'aujourd'hui ont la maturité sociale, culturelle et sexuelle des 18 à 20 ans d'autrefois, et que beaucoup d'entre eux vivent dans un contexte familial et social qui n'a rien d'un conte de fées. Il faut de toute urgence, estime Leon Botstein, abolir ce système totalement dépassé et aider ces jeunes adultes qui vont encore à l'école à se préparer aux dures réalités qui les attendent.
Derrière les Européens et les Japonais
Selon les dernières enquêtes, un écolier américain de dix ans est à peu près au même niveau en lecture, en sciences et en arithmétique que les enfants des autres pays développés. Mais à dix-sept ans, 13% des jeunes Américains sont incapables de lire, écrire et compter convenablement, et 35% des élèves afro-américains ou hispanophones ont quitté l'école avant la fin de leur scolarité secondaire. En culture générale, en sciences et en mathématiques, les écoliers américains se classent loin derrière leurs homologues européens et japonais. Dans les classes terminales des dix-huit pays les plus industrialisés, les meilleurs des jeunes Américains se classent parmi les derniers.
Les puissants syndicats enseignants qui forment les gros bataillons du parti démocrate nient cet état de fait. Ils considèrent que «la plus grande puissance du monde» ne saurait pas plus démériter dans ce domaine que dans les autres. Ils refusent de reconnaître ce dont les employeurs se plaignent de plus en plus: le niveau insuffisant des diplômés de l'enseignement secondaire et les sommes considérables qu'ils doivent dépenser pour remettre au niveau les personnels qu'ils engagent. Dans la période de quasi-plein-emploi que connaît le pays, le recrutement du personnel qualifié devient si difficile qu'il faille de plus en plus faire appel à la main d'£uvre étrangère : le tiers des salariés de la Silicon valley, la capitale californienne des entreprises high tech, vient aujourd'hui d'Europe et d' Asie.
Les parents nantis ont choisi depuis longtemps d'envoyer leurs enfants dans des écoles privées dont le niveau scolaire est généralement meilleur que celui des établissements publics, et où la sécurité des élèves est mieux assurée. Mais toutes les familles ne peuvent pas payer entre six et dix mille dollars par an pour assurer une bonne scolarité à leur enfant. Les parents sont si mécontents des systèmes d'enseignement qui leur sont proposés qu'ils sont de plus en plus nombreux à décider d'instruire leurs enfants à la maison. Ce qui risque d'entraîner des conséquences inquiétantes pour le niveau de ces écoliers, comme pour leur aptitude à vivre en société.
Le niveau de l'enseignement supérieur américain reflète cette situation: il y a un fossé entre les «grandes» universités, le plus souvent privées, à la notoriété internationale, et aux tarifs exorbitants (20 à 25 000 dollars par an), et les universités beaucoup plus modestes, souvent publiques, beaucoup moins chères, beaucoup moins renommées, et dont les diplômes sont beaucoup moins cotés sur le marché du travail.
Cent mille nouveaux enseignants
Al Gore a proposé, s'il est élu président, de consacrer une partie importante du surplus budgétaire du pays à la refonte de l'enseignement. Il se propose de verser cent quinze milliards de dollars sur dix ans aux écoles publiques, notamment pour développer l'enseignement pré-scolaire pour tous les enfants, surtout ceux des couches défavorisées de la population. Il veut aussi engager cent mille nouveaux enseignants. Car l'école publique, surtout dans les grandes villes, souffre d'un grave déficit de professeurs en nombre et en qualité.
Pour George W. Bush, qui ne considère pas l'école comme une vraie priorité, il suffirait de proposer aux parents des dégrèvements d'impôts pour leur permettre de choisir les établissements dans lesquels ils souhaitent envoyer leurs enfants. C'est déjà ce qu'avait proposé dans les années soixante l'économiste de Chicago, Milton Friedman, grand chantre du libéralisme économique.
Mais l'enseignement public américain souffre surtout de son manque d'unité. Bill Clinton avait tenté d'imposer ce qui avait bien réussi aux écoles de son Arkansas natal, pourtant l'un des Etats les plus pauvres du pays : des tests de compétence pour les professeurs comme pour les écoliers. Mais l'extension de ce système à l'ensemble des Etats-Unis s'est heurtée aux protestations des syndicats qui y vont vu une discrimination possible à l'égard des enseignants noirs et latinos américains. Pourtant, si les écoles publiques du Connecticut sont considérées comme les meilleures du pays, c'est bien parce que les professeurs, particulièrement bien payés, sont recrutés sur des critères rigoureux.
Un système infantile
Les difficultés de l'enseignement américain tiennent aussi à une conception de la scolarité qu µun éducateur connu, Leon Botstein, dénonçait récemment dans le New-York Times comme «totalement dépassée». L'auteur, faisant allusion aux tueries qui ensanglantent périodiquement les high schools américaines, met en accusation l'étrange système qui condamne les élèves à se couler dans un moule d'un conformisme étouffant: il ne s'agit pas d'être brillant, d'avoir des idées originales, de s'interroger sur les finalités de la vie, mais d'être «populaire», bon camarade, bon en sport, de plaire à ses condisciples plus qu'aux professeurs, d'être le moins dérangeant possible. En bref, de se conformer à une image des «bonnes manières», digne de la bourgeoisie victorienne du siècle dernier. Selon l'auteur, l'école n'apprend pas aux élèves à devenir des adultes responsables, mais les entretient dans un infantilisme d'autant plus dangereux que les jeunes de 15 ou 16 ans d'aujourd'hui ont la maturité sociale, culturelle et sexuelle des 18 à 20 ans d'autrefois, et que beaucoup d'entre eux vivent dans un contexte familial et social qui n'a rien d'un conte de fées. Il faut de toute urgence, estime Leon Botstein, abolir ce système totalement dépassé et aider ces jeunes adultes qui vont encore à l'école à se préparer aux dures réalités qui les attendent.
par Nicole Bernheim
Article publié le 21/08/2000