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Etats-Unis

Bush module sa rancune

Jacques Chirac et George Bush ont renoué le dialogue, mais il est prématuré de parler de la fin de la brouille entre Paris et Washington.
Ils se sont donc parlé ! Depuis le 7 février, George Bush et Jacques Chirac avaient perdu le contact, aucun des deux ne voulant appeler l’autre. Cela ressemblait davantage à la brouille d’un couple qu’aux relations difficiles traversées par deux États alliés. Les entourages laissaient pourtant entendre que leur patron décrocherait le combiné si l’autre l’appelait. Qui ferait donc le premier pas ?

C’est finalement le président français qui a pris sur lui pour appeler le chef de l’exécutif américain qui, divine surprise, a aussitôt pris l’appel. Une conversation «positive», selon Catherine Colonna, porte-parole de l’Élysée, «businesslike» (atmosphère de travail), précise pour sa part Ari Fleischer, porte-parole de la Maison Blanche. Certes, personne n’a évoqué un entretien «chaleureux» entre les deux hommes qui disaient, naguère encore s’apprécier au plan personnel, mais qui se sont beaucoup déçus réciproquement au cours des derniers mois : il ne fallait sans doute pas en attendre davantage à ce stade. Du reste, si à Paris, on reconnaît volontiers que Jacques Chirac a pris l’initiative, à Washington, on le souligne avec insistance, manière de souligner qui est demandeur dans cette affaire.

Du reste, qui aurait pu en douter ? Après la victoire militaire américaine en Irak, les craintes d’un isolement diplomatique à Paris ne sont pas négligeables, même si tout est fait pour les relativiser. Pour la substance, Jacques Chirac s’est félicité de la chute de Saddam Hussein et a indiqué que la France «voulait jouer un rôle pragmatique dans la reconstruction de l’Irak». Ari Fleischer a ironisé sur ce pragmatisme, indiquant que c’était à la France de préciser ce qu’elle entendait par là.

Réunion secrète à la Maison Blanche

Est-ce à dire que la parenthèse de la brouille est refermée et que les relations franco-américaines vont reprendre comme avant ? Certainement pas. Certes, Ari Fleischer a confirmé la participation du président américain au sommet du G8 à Evian en juin, ce qui n’allait pas de soi, compte tenu des récentes tensions, mais il a insisté sur le fait que des divergences persistaient entre Paris et Washington.

Surtout, ce jeudi, une réunion discrète va se tenir à la Maison Blanche sous l’égide du Conseil national de sécurité que préside Condoleezza Rice en présence de représentants des principaux départements ministériels. Son ordre du jour unique : comment sanctionner la France pour sa position sur l’Irak. A Washington, on enregistre avec satisfaction l’inquiétude qui se manifeste au sein d’une partie de la majorité présidentielle en France quant à l’avenir des relations avec les États-Unis, ainsi que dans le monde de l’industrie française face aux effets possibles d’un boycott des produits français par les Américains. Pour autant, il n’est pas question pour le moment de sanctions économiques, notamment parce que cela poserait de sérieux problèmes juridiques au sein de l’OMC et vis-à-vis de l’Union européenne dans son ensemble où Washington s’est découvert de précieux alliés. En outre, cela causerait du tort à des entreprises américaines qui ont des intérêts en France. C’est ainsi que l’idée de boycotter le salon du Bourget a été abandonnée, à la demande des avionneurs américains, pourtant peu enclins à l’indulgence envers la France.

En revanche, parmi les options envisagées figurent essentiellement des mesures de rétorsion politiques. Marginaliser davantage la France au sein de l’OTAN, par exemple. Problème : l’OTAN n’est pas un instrument majeur de la politique française, et le projet de transférer le pouvoir du Comité des ambassadeurs, où figurent les 19 États membres au Comité de planification militaire dont la France ne fait pas partie suppose que la France n’y ait pas d’alliés opposés à Washington, ce qui ne va pas de soi non plus. Il est possible également que dans la période à venir, les Américains fassent la sourde oreille à toute proposition émanant de Paris dans les différentes enceintes internationales, car les faucons de Washington veulent toucher Paris là où ça fait mal : dans son orgueil national de puissance moyenne.

La France a voulu jouer un rôle de leader international alternatif à l’Amérique ? On va lui montrer qu’elle ne pèse plus rien sur la scène internationale. C’est ce qui explique le traitement différencié réservé par les États-Unis aux membres du «camp de la paix» : punir la France, ignorer l’Allemagne, et se réconcilier avec la Russie. Car le péché fondamental de Paris, aux yeux des Américains, n’est pas de s’être opposé à Washington, mais d’avoir pris la tête d’une campagne internationale pour ligoter la puissance américaine.

Pourtant, la France n’est pas isolée dans cette vindicte et s’en sort plutôt mieux que d’autres, qui ont eu le seul tort de ne pas s’aligner purement et simplement sur la position américaine, comme les partenaires américains de Washington au sein de l’Alena, le Mexique et le Canada. George Bush vient d’annuler purement et simplement une visite qu’il devait effectuer à Ottawa le 5 mai tandis que son ambassadeur sur place fait la leçon au Premier ministre Jean Chrétien. Quant à Vicente Fox, le président Mexicain qui avait eu l’honneur d’être le premier invité au ranch texan de Crawford, George Bush le fait désormais patienter quatre jours avant de prendre ses appels téléphoniques.

Même motifs, mais punition différente.



par Olivier  Da Lage

Article publié le 16/04/2003