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Etats-Unis

Ralph Nader, celui qui peut changer la donne

Grand pourfendeur de la toute-puissance des grandes compagnies et troisième candidat aux élections, le Vert Ralph Nader pourrait rafler 5% des votes, ce qui changerait la donne et gênerait Al Gore. Le reportage de Claude Cirille.
De notre envoyé spécial à Washington.

Au numéro 2505 de la 15e rue à Washington, les murs affichent la couleur : ici on «est vert» et «pro Nader». Dans cet ancien atelier d'artiste, sont rassemblées les petites mains de la campagne électorale du candidat du Green Party aux élections présidentielles. Une vingtaine de militants, jeunes pour la plupart, préparent les affiches, trient méticuleusement les chèques de contributions et répondent au téléphone. «Monsieur Nader » déclare cérémonieusement John Mac Warthy, qui dirige cette petite équipe, «est le seul à se battre pour l'assurance médicale pour tous ; or, ici à Washington DC, la capitale fédérale, qui est majoritairement africaine-américaine, les gens ne sont pas aussi riches qu'on le croit ; beaucoup n'ont pas les moyens de se soigner». Il y a à peine six mois, John et ses amis n'auraient jamais pensé qu'ils en arriveraient à consacrer des journées entières à préparer la campagne d'un avocat de 66 ans que l'on croyait déterminé à passer la main de la contestation à des personnalités plus jeunes.

«Ces dernières années, écrit l'éditorialiste Jonathan Alter, du magazine Newsweek, personne ne le reconnaissait quand il déambulait à Washington ; il semblait être une des ces figures du passé, associé pour toujours aux années 60 et 70». Il y a 40 ans, Ralph Nader, porté par la seule énergie de ses convictions, avait entamé un bras de fer mémorable avec l'industrie automobile, coupable de sacrifier la sécurité des usagers de la route à la rentabilité et aux profits. Et, il avait gagné cette bataille. C'est grâce à lui, qu'a été notamment admise la nécessité du port de la ceinture de sécurité. Aujourd'hui, celui qui fut autrefois la bête noire des industriels reste l'homme à combattre ; ses adversaires d'aujourd'hui sont les membres de l'establishment politique, effrayés du trouble qu'il pourrait introduire dans la partie parfaitement répétée que pratiquent depuis des décennies démocrates et républicains. En six mois de campagne, ce fils d'immigrés libanais, à l'éloquence hésitante, s'est imposé, comme le «troisième homme», l'incontournable. Crédité de 5% des suffrages au niveau national, 7 à 8% dans certains Etats, il met en péril la situation du parti démocrate, et compromet la victoire de son candidat, Al Gore. Ce dernier a en effet besoin de la clientèle de Ralph Nader, pour l'emporter dans quelques heures : les hommes et les femmes, souvent jeunes, qui se retrouvent dans les discours contre les «bigs corporations» du vieil avocat (contre le système politique dominé par l'argent, pour la justice sociale, l'instauration d'un système universel de sécurité sociale et la prise en compte des questions d'environnement) votaient autrefois démocrate ou boudaient les urnes.

La contre-attaque du parti démocrate

Ces dernières semaines, le parti démocrate a entrepris une campagne agressive pour parer à la menace «Nader». Il a d'abord empêché le candidat vert de participer aux trois débats télévisés, qui ont permis au vice-président Al Gore et au gouverneur du Texas Georges W. Bush, de se présenter aux Américains. Il a ensuite lancé un appel solennel pour que dans les «swings states», les Etats incertains, Ralph Nader apporte son soutien au candidat démocrate, afin de pas compromettre la victoire du vice-président sortant. Puis, franchissant un échelon supérieur, certains ont mis en cause les sources de financement de la campagne du candidat des Verts, suggérant qu'elles n'étaient peut-être pas aussi limpides que Ralph Nader le dit. Officiellement, les frais de propagande du représentant de la gauche alternative sont assurés par les dons des sympathisants et les recettes des réunions publiques, et il n'a à sa disposition ni avion privé, ni état-major rémunéré.

Cette entreprise de déstabilisation n'a pas entamé sa détermination et celle de ses amis, parmi lesquels la chanteuse Patti Smith et le réalisateur Michael Moore, auteur du film «Roger and me». «A chaque fois, les démocrates nous font le coup», disait récemment Ralph Nader, au New York Times, «j'ai attendu en 1984, 1988, 1992, 1996. C'est comme s'ils nous disaient : attendez encore quatre ans, ensuite vous nous demanderez la permission d'exister». Au-delà de l'échéance de 2000, Ralph Nader pense surtout aux scrutins suivants : si 5% des suffrages se portent sur son nom mardi, il sera en droit de prétendre aux financements publics fédéraux, ce qui lui donnerait les moyens d'enraciner son mouvement dans le paysage politique national. Tant pis, si c'est aux prix de la victoire d'un homme que tout sépare de Ralph Nader. Le candidat républicain Georges W. Bush, adepte du «conservatisme compassionnel» que beaucoup de militants de la cause verte voient comme le cache-sexe d'un mouvement authentiquement réactionnaire. On saura dans quelques heures, si les sympathisants de Ralph Nader, qu'ils l'on jusqu'ici porté dans les sondages, approuvent, dans les bureaux de vote, cette démarche osée, que certains esprits «progressistes» assimilent à la politique du pire.



par Claude  Cirille

Article publié le 06/11/2000