Etats-Unis
Des juges fort peu impartiaux
Sous la présidence du juge Rehnquist, la Cour suprême des Etats-Unis a entendu pendant 90 minutes les arguments des avocats de George W. Bush et d'Al Gore sur la reprise du comptage manuel des bulletins litigieux en Floride. Sa décision va déterminer l'issue du scrutin. Mais, élus ou nommés sur des critères politiques, les magistrats américains ne sont pas toujours ûloin de làû des arbitres impartiaux.
Le formidable imbroglio des élections présidentielles américaines a mis en lumière les étranges pratiques judiciaires de «la plus grande puissance du monde». Maintenant que la décision est officiellement passée des urnes aux mains des avocats et de divers tribunaux, les observateurs étrangers découvrent avec stupeur que les juges américains ne sont pas des magistrats assermentés recrutés sur examen ou concours, comme c'est le cas dans la plupart des démocraties, mais des militants politiques, à la formation parfois discutable, élus ou désignés par leurs pairs des deux grands partis.
C'est ainsi que la très activiste «ministre de l'intérieur» de Floride, Mme Katherine Harris, qui se hâta d'interdire le recomptage à la main des bulletins de vote litigieux pour «certifier» à l'arrachée la victoire de George W. Bush, avait été nommée à son poste par le gouverneur de l'Etat, Jeb Bush, frère du candidat présidentiel. Héritière d'une fortune considérable, sans formation professionnelle sérieuse, Mme Harris ne faisait pas mystère de l'avenir prestigieux qu'elle espérait à Washington en cas de victoire de son poulain. Il a fallu beaucoup de courage aux sept juges de la cour suprême de Floride, en grande majorité nommés par des gouverneurs démocrates, pour infirmer les décisions de Mme Harris et ordonner un nouveau recomptage des bulletins à la main. En cas de victoire de W. Bush, ces juges «démocrates» verraient sans doute leur carrière très écourtée.
Clientélisme et gouvernement des notables
Tandis que la confusion s'aggravait, les dissensions au sein de la cour suprême fédérale, la plus haute instance du pays pressentie par George W. Bush, s'étalaient au grand jour, ce qui ne s'était jamais vu avant qu'elle rende un jugement. Ces dissensions rappelaient crûment les affiliations politiques des neuf juges nommés, en principe à vie, par la Maison Blanche : trois avaient été nommés par des présidents démocrates, Jimmy Carter et Bill Clinton, quatre par des républicains, Ronald Reagan et George Bush senior, tandis que les deux juges réputés «indépendants» se répartissaient équitablement entre les deux tendances.
Système fédéral oblige : le mode de désignation des juges des diverses instances judiciaires varie d'Etat en Etat, mais ce sont presque toujours des militants politiques connus, qui ont souvent occupé des postes électifs au Congrès local, ce qui facilite leur désignation par le gouverneur si c'est la règle de l'Etat. S'ils sont élus, ils font campagne avec le soutien de leur parti.
Il est bien évident que les «sponsors» des juges nommés ou élus attendent des «renvois d'ascenseurs». D'autant que ces juges sont fréquemment responsables de l'administration de leur juridiction : ils choisissent leurs collaborateurs, clercs, greffiers, secrétaires, et gèrent le budget qu'ils obtiennent des autorités locales. Dans certaines juridictions, ils nomment aussi les responsables de divers services financiers ou éducatifs. Dans certains Etats, ils nomment même les procureurs locaux. Des juges de cour suprême d'Etat peuvent aussi nommer des membres de grandes compagnies d'assurances.
C'est en somme un système basé sur le «clientélisme» qui assure aussi le gouvernement des notables. Il date, comme la Constitution fédérale, de l'époque des diligences, quand les immenses distances qui séparaient les juridictions impliquaient une grande autonomie des responsables. Les distances se sont considérablement réduites grâce aux nouveaux moyens de communications, mais le système est resté. C'est sans doute aujourd'hui une source de trafics d'influences et parfois de prévarications, dont les élections de Floride ont soudain offert un exemple embarrassant. Même aux yeux des Américains, si sûrs jusque-là d'avoir institué le système le meilleur et le plus démocratique au monde.
C'est ainsi que la très activiste «ministre de l'intérieur» de Floride, Mme Katherine Harris, qui se hâta d'interdire le recomptage à la main des bulletins de vote litigieux pour «certifier» à l'arrachée la victoire de George W. Bush, avait été nommée à son poste par le gouverneur de l'Etat, Jeb Bush, frère du candidat présidentiel. Héritière d'une fortune considérable, sans formation professionnelle sérieuse, Mme Harris ne faisait pas mystère de l'avenir prestigieux qu'elle espérait à Washington en cas de victoire de son poulain. Il a fallu beaucoup de courage aux sept juges de la cour suprême de Floride, en grande majorité nommés par des gouverneurs démocrates, pour infirmer les décisions de Mme Harris et ordonner un nouveau recomptage des bulletins à la main. En cas de victoire de W. Bush, ces juges «démocrates» verraient sans doute leur carrière très écourtée.
Clientélisme et gouvernement des notables
Tandis que la confusion s'aggravait, les dissensions au sein de la cour suprême fédérale, la plus haute instance du pays pressentie par George W. Bush, s'étalaient au grand jour, ce qui ne s'était jamais vu avant qu'elle rende un jugement. Ces dissensions rappelaient crûment les affiliations politiques des neuf juges nommés, en principe à vie, par la Maison Blanche : trois avaient été nommés par des présidents démocrates, Jimmy Carter et Bill Clinton, quatre par des républicains, Ronald Reagan et George Bush senior, tandis que les deux juges réputés «indépendants» se répartissaient équitablement entre les deux tendances.
Système fédéral oblige : le mode de désignation des juges des diverses instances judiciaires varie d'Etat en Etat, mais ce sont presque toujours des militants politiques connus, qui ont souvent occupé des postes électifs au Congrès local, ce qui facilite leur désignation par le gouverneur si c'est la règle de l'Etat. S'ils sont élus, ils font campagne avec le soutien de leur parti.
Il est bien évident que les «sponsors» des juges nommés ou élus attendent des «renvois d'ascenseurs». D'autant que ces juges sont fréquemment responsables de l'administration de leur juridiction : ils choisissent leurs collaborateurs, clercs, greffiers, secrétaires, et gèrent le budget qu'ils obtiennent des autorités locales. Dans certaines juridictions, ils nomment aussi les responsables de divers services financiers ou éducatifs. Dans certains Etats, ils nomment même les procureurs locaux. Des juges de cour suprême d'Etat peuvent aussi nommer des membres de grandes compagnies d'assurances.
C'est en somme un système basé sur le «clientélisme» qui assure aussi le gouvernement des notables. Il date, comme la Constitution fédérale, de l'époque des diligences, quand les immenses distances qui séparaient les juridictions impliquaient une grande autonomie des responsables. Les distances se sont considérablement réduites grâce aux nouveaux moyens de communications, mais le système est resté. C'est sans doute aujourd'hui une source de trafics d'influences et parfois de prévarications, dont les élections de Floride ont soudain offert un exemple embarrassant. Même aux yeux des Américains, si sûrs jusque-là d'avoir institué le système le meilleur et le plus démocratique au monde.
par Nicole Bernheim
Article publié le 11/12/2000