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Etats-Unis

Les médias s'essoufflent<br> dans la course présidentielle

Le résultat final de l'élection reste suspendu aux verdicts de trois tribunaux de Floride, qui devraient se prononcer avant le 12 décembre prochain. Depuis plus d'un mois, les médias américains sont focalisés sur l'enchaînement des procédures juridiques. Ils comblent la pénurie d'informations par une couverture exhaustive des procès, dans un genre qui peine à se renouveler.
De notre correspondant à New York

Est-ce le dénouement qui approche ? Hier, les télévisions américaines se sont offert une véritable orgie de procès. Selon un schéma bien rodé, CNN a envoyé le jingle pompeux de la série de cette fin d'année. Son titre est court, évident : The Florida Vote. Après un rappel succint des épisodes précédents (pour ceux qui auraient pu les manquer), on plonge dans le décor statique et rassurant d'un tribunal de Floride. L'enjeu est connu de tous : la présidence de la première puissance mondiale. Le feuilleton a engendré sa vedette inattendue, en la personne de l'avocat des démocrates David Boies. Front dégarni, costumes démodés, l'homme de loi aligne ses arguments avec une précision chirurgicale et un sang-froid que lui envient les seconds rôles, à commencer par l'avocat républicain Barry Richard.

Comme dans un sitcom, les répliques des ténors du barreau sont connues d'avance. Le premier plaide pour un décompte manuel de quelques milliers de bulletins de vote litigieux, qui pourraient permettre à Al Gore de s'asseoir dans le Bureau ovale. Le second argue que la partie est finie, son champion George W. Bush doit être couronné. Aux fougueux avocats s'oppose la figure paternaliste et rassurante du président de la Cour suprême de Floride, Charles T. Wells. Robe noire et cheveux blancs, il incarne le savoir, la sagesse et la patience. Car il faudra attendre un nouvel épisode pour espérer en savoir plus, c'est aussi ce qui tient le public en haleine.

Pour les fans, le suspense reprenait dans la journée, devant un banal tribunal, mais toujours à Tallahassee, la capitale de la Floride. Cette fois, le public pouvait participer. Deux simples électeurs démocrates portaient plainte dans les comtés de Séminole et Martin, où ils veulent faire invalider 25 000 votes, manipulés selon eux par des républicains. De l'issue de ces procès peut également dépendre le résultat de l'élection présidentielle.

Armada de juristes

Depuis plus d'un mois, il en va ainsi, sur les chaînes d'information américaines : des heures de témoignages aussi "live" qu'ennuyeux, des spécialistes de tout, des armadas de juristes, des envoyés spéciaux à chaque coin de rue. Ils dissèquent les stratégies juridiques, interprètent les questions des juges, analysent les réactions des candidats. Toute honte bue après l'annonce erronée des résultats la nuit de l'élection, certains se hasardent même à pronostiquer les décisions des tribunaux. Et quand il ne reste plus rien à faire, les télévisions suivent sur les routes un camion chargé de bulletins de vote controversés, ou diffusent, sur une image fixe, l'enregistrement audio du procès devant la Cour suprême des Etats-Unis auquel les caméras, outrage impardonnable, n'ont pas été conviées.

Bref, on meuble l'attente, on gère la pénurie d'informations, le public adore : plus 342% d'audience pour Fox News Channel par rapport à novembre 1999, plus 175 % pour CNN, plus 240% pour MSNBC. L'Internet a aussi remporté sa part du gâteau, au profit principalement des sites des grands médias, CNN en tête. Près d'un cinquième des Américains ont surfé à la recherche d'informations. Sur la toile, les blagues se sont échangées par milliers. Le dessin représentant un bulletin de vote en forme de labyrinthe, d'abord diffusé sur quelques e-mails, a fait le tour du monde.

Mais faute de se renouveler, le sujet s'essouffle. Dans les kiosques, les unes des quotidiens ressemblent à celles de la veille. Les titres chocs ont été épuisés, les éditorialistes sont en panne d'inspiration. Après avoir éclairci les pinaillages juridiques à longueur de colonnes, les journaux deviennent ennuyeux. Et ceux qui se réjouissent déjà de n'avoir bientôt plus à subir ces images d'officiels recomptant des bulletins de vote pourraient déchanter. Plusieurs médias, dont The Herald, le New York Times ou le Los Angeles Times, ont réclamé, conformément à la loi, le droit de recompter eux-mêmes près de 15 000 bulletins de vote dans les semaines ou mois à venir. Histoire de faire durer un peu plus le plaisir.



par Philippe  Bolopion

Article publié le 10/12/2000