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Etats-Unis

Une riposte politiquement ambiguë

La trentaine de «cibles» militaires atteintes par les frappes américaines a sans doute satisfait l'opinion publique américaine. Mais ces frappes traduisent aussi l'ambiguïté d'une stratégie politique beaucoup moins «ciblée» qui risque de compliquer encore plus la solution du problème afghan.
C'est près de quatre semaines après les attentats que les Etats-Unis ont finalement décidé de « frapper » les Taliban et Ben Laden, alors que leur opinion publique, bien mise en condition par des médias relayant soigneusement toute la machine gouvernementale, commençait à manifester quelques signes d'impatience face à un président qui avait promis une «croisade» contre Kaboul et une récompense fort intéressante pour la capture de Ben Laden «mort ou vif».

Tiraillé entre des «faucons» préconisant une véritable offensive terrestre en Afghanistan et des «colombes» préoccupés par les répercussions politiques au Proche et Moyen Orient d'une nouvelle guerre du Golfe, Bush junior a finalement opté pour une stratégie intermédiaire, qui avait été avancée par le britannique Tony Blair : «bombs and bread». Soit, frappes militaires et parachutages alimentaires, dans le but avoué d'aider les Afghans d'abord mais surtout l'opinion publique arabe et/ou musulmane à bien distinguer le régime des Taliban du peuple afghan, l'Islam du terrorisme.

Cette stratégie - dont le succès n'est pas vraiment acquis d'avance, au vu des premières manifestations hostiles dans différents pays de la région - risque de provoquer d'autres mécontentements, sans régler les problèmes de fonds. Il est d'ailleurs frappant que le secrétaire d'Etat à la défense, Donald Rumsfeld ait déclaré à la veille des raids que ceux-ci n'étaient pas la panacée. Il n'ignore sans doute pas que l'Afghanistan des Taliban est une « cible » bien atypique, car il ne dispose ni de véritable armée de terre, ni d'aviation et encore moins de marine. Ses soldats ou miliciens sont d'abord des maquisards et beaucoup d'entre eux pourront facilement regagner les montagnes et reprendre la guérilla d'antan, avec quelques armes légères de fabrication américaine notamment. Le problème afghan demeurerait ainsi presque entier. Tandis que le mollah Omar, le leader presque invisible des Taliban, pourrait bénéficier d'un certain regain de sympathie, à l'instar de Saddam Hussein, quelques mois à peine après la fin de la guerre du Golfe.

Que faire face à une «netwar» ?

Faute de véritable entente politique préalable entre les différents acteurs afghans mais aussi entre les pays voisins, les raids qui ont commencé dimanche risquent de remettre en cause l'ébauche d'une solution de transition, apparue la semaine dernière, autour de la candidature de l'ex-roi Zaher Chah. La mise en garde du président Musharraff contre un éventuel « vide politique » à Kaboul, après la fin éventuelle du régime des Taliban, et le raidissement iranien vis-à-vis de la riposte américaine semblent indiquer qu'aucune solution politique n'a été mise au point, à Washington ou ailleurs, avant les « frappes » de dimanche. Et, même si l'Alliance du Nord, fortement aidée par les Américains et les Russes, arrivait au pouvoir à Kaboul dans les semaines ou mois à venir, nul ne parie aujourd'hui sur une quelconque stabilité en Afghanistan, en raison des divisions qui traversent ce front de circonstance. Ainsi, la riposte américaine d'aujourd'hui risque d'être aussi prématurée - et précipitée - que le retrait soviétique de 1990.

Il en va de même sur le front du terrorisme islamiste et de la Qaïda de Oussama Ben Laden. Pour de nombreux observateurs, il n'existe aucune garantie que l'offensive militaire en cours aboutisse à l'élimination des ses réseaux en Afghanistan. Même si Oussama Ben Laden lui-même risque de disparaître. Pour expliquer la complexité de cette question un nouveau mot commence à circuler aux Etats-Unis : «netwar», ou «guerre de réseaux». Il semble indiquer que la «confrontation» en cours n'oppose plus des armées ou des guérillas traditionnelles, ni même à proprement parler l'Occident à l'Islam intégriste. Il s'agirait désormais d'un conflit très éclaté opposant une coalition plus ou moins cohérente à une myriade de groupes autonomes, voire à des individus, vivant aux quatre coins de la planète, mais reliés entre eux par une «cause commune», à la manière du réseau Internet. La difficulté de les affronter viendrait ainsi du fait qu'ils n'ont pas de véritable «tête» ou «état-major».

Cette analyse semble indiquer que ce qui est le plus redouté, à Washington et à Londres comme à Riyad ou à Islamabad, c'est bien cet ennemi plus que jamais de l'ombre et presque omniprésent, à son aise dans les camps de réfugiés de Peshawar autant que à Wall Street. C'est vraisemblablement pas pour cela que Donald Rumsfeld, qui figurait pourtant parmi les « faucons », a dit que les missiles de croisière ne sont sans doute pas l'outil le plus approprié pour éliminer un ennemi d'un genre nouveau, conforté et protégé par des opinions publiques qui risquent de devenir de plus en plus hostiles à Washington. Et presque insaisissable.



par Elio  Comarin

Article publié le 08/10/2001