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Etats-Unis

John Kerry s'impose favori

Revenu de nulle part, le sénateur du Massachusetts s'impose comme le favori des démocrates, qui choisiront dans les mois prochains celui qui fera face à George W. Bush en novembre. Après l'Iowa, John Kerry l'a emporté dans le New Hampshire avec près de 12 points d'avance sur Howard Dean, perçu comme moins «présidentiable».
New York, de notre correspondant

Si pour beaucoup de démocrates Howard Dean était le choix du coeur, John Kerry s'est imposé comme le choix de la raison. Hier, 38% des habitants du New Hampshire l'ont préféré à l'ex-gouverneur du Vermont, qui avec 26% des voix arrive en deuxième position. Rayonnant de bonheur, John Kerry, sénateur du Massachusetts voisin, a profité de l'attention des caméras pour répéter les grands thèmes de sa campagne. «J'appelle tous les démocrates à se joindre à nous pour battre George W. Bush et l'économie des privilégiés» s'est-il exclamé. Il a promis d'édifier «une Amérique qui appartienne à tous les Américains» en s'attaquant aux special interests, les lobbies, citant notamment les «compagnies pharmaceutiques et l'industrie pétrolière». A ceux-là, qui pour lui ont fait une seconde maison de la Maison-Blanche, il a livré une des phrases-clé de sa campagne, en forme de menace: «Nous arrivons, vous partez, et ne laissez pas la porte se refermer sur vous!».

Sous les applaudissements de ses supporters, John Kerry s'en est abondamment pris à l'épouvantail des démocrates, George W. Bush. «Je réduirai la pauvreté de millions de gens, au lieu de réduire les impôts des millionnaires» a-t-il promis, tout en ajoutant qu'il investirait dans la santé et l'éducation. A aucun moment le sénateur du Massachussets n'a évoqué la guerre en Irak, pour laquelle il a voté au Congrès, avant de critiquer le président Bush sur son incapacité à rassembler une véritable coalition internationale. Rien non plus sur l'absence d'armes de destruction massive dans le pays. Il a en revanche joué d'une de ses cartes maîtresses, celle de héros du Vietnam. Parlant des vétérans comme lui, de sa band of brothers (bande de frères), il s'est exclamé: «Nous savons encore comment nous battre pour notre pays!».

Kerry rassure

Le nouveau chouchou des démocrates s'est surnommé «comeback Kerry», par référence à Bill Clinton, surnommé le «comeback kid», pour sa capacité à revenir de loin (il avait notamment remporté l'investiture démocrate, après avoir perdu la primaire du New Hampshire). John Kerry fut l'un des premiers à annoncer sa candidature l'an dernier. D'abord favori des médias, il avait rapidement été éclipsé par le phénomène Howard Dean, un opposant de la première heure à la guerre en Irak, qui s'est créé une base militante enthousiaste, une bonne réserve de donations, et a largement dominé dans les sondages les sept autres candidats démocrates. Et puis il y a eu l'Iowa. Dans cet état rural, John Kerry a réinventé sa campagne, hésitante jusque-là. Combatif, il a sillonné l'État, rencontré les électeurs, pendant que Howard Dean s'épuisait à parer les coups de la concurrence. Est-ce un effet de la fatigue ? Le soir de sa défaite face à Kerry dans l'Iowa, Dean s'est livré devant ses supporters à une étrange prestation, pleine de testostérone, de râles et de cris enthousiastes, qui, exagérés par les commentateurs et passés en boucle sur les télévisions, a eu un effet dévastateur sur son image de présidentiable.

Même si une bonne partie des démocrates préfèrent Dean et ont été séduits par son aptitude à s'élever contre la guerre quand personne n'osait le faire, beaucoup craignent qu'il soit incapable d'attirer les votes centristes indispensables à une victoire. John Kerry, lui, rassure, et pourrait même séduire quelques républicains. Il peut s'opposer au président Bush sur son terrain de prédilection, la sécurité nationale. Car en tant qu'officier sur un bateau au Vietnam, dans le delta du Mékong, il a prouvé son courage physique (pendant que George W. Bush manquait à l'appel). Ses blessures de guerre et sa guirlande de décorations en font une figure respectée. Mieux: de retour du Vietnam, il a eu le courage de s'opposer à cette guerre injuste, en devenant un des plus virulents porte-paroles du mouvement anti-guerre.

Howard Dean tente de le caricaturer en Washington insider, un politicien de Washington, incapable de rénover le système. Mais John Kerry dispose d'un solide bilan au Congrès où il a voté pour de nombreuses mesures libérales -ce que les républicains ne manqueront pas de rappeler. Qui plus est, sous des dehors d'avocat conventionnel, issu de l'establishment, se cache un homme bouillonnant. John Kerry aime le risque et les défis. Il adore parader sur sa Harley Davidson. Il pilote des avions de tourisme, pratique le hockey sur glace, le surf des neiges, le windsurf, et même le kitesurf. C'est aussi un chasseur passionné et aguerri. Autre avantage dans le monde politique américain: il a épousé l'héritière de la fortune Heinz, Teresa Heinz Kerry. «James Bond» de la politique, il cherche parfois à prendre des accents à la Kennedy, dont il partage les initiales (JFK, le F étant pour Forbes, le nom de sa mère). Si il y arrive, il sera un candidat redoutable.

Mais l'affaire n'est pas gagnée, loin de là. La campagne va maintenant prendre des accents plus nationaux, avec sept autres primaires mardi prochain. Emblématique de la côte Est que le Sud déteste tant, Kerry saura-t-il séduire le reste du pays ? Il n'a pas encore éliminé sa concurrence. Arrivé en second dans le New Hampshire, Howard Dean dispose d'une bonne cagnotte, d'un réseau militant, et après avoir poli son image, il pourrait retrouver sa place de favori. Dans l'ombre, le jeune John Edwards, à l'accent du sud et aux propos rassurants, a toujours une bonne carte à jouer. Même chose pour le général Wesley Clark, lui aussi fort dans le sud, proche des Clinton, et crédible sur le dossier crucial de la guerre contre le terrorisme. De son côté, le sénateur Joe Lieberman, ancien partenaire de Al Gore lors de la dernière présidentielle, est bloqué en queue de peloton, fustigé par beaucoup de démocrates qui ne comprennent pas son entêtement à soutenir la politique irakienne de George W. Bush.



par Philippe  Bolopion

Article publié le 28/01/2004