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Etats-Unis

Les confessions d’un gaffeur

A moins d’un an de l’élection présidentielle américaine, l’administration Bush est la cible d’attaque de plus en plus virulente. L’une des dernières en date est un livre signé d’un journaliste qui a recueilli nombre de témoignages, parmi lesquels celui de l’ancien secrétaire au Trésor. Paul O’Neill décrit un président inaccessible aux arguments de ses collaborateurs.
Dans un livre signé du journaliste Ron Suskind à paraître prochainement, Le prix de la loyauté, et dont la presse américaine révèle les bonnes feuilles, l’ancien secrétaire d’Etat au Trésor décrit un exécutif le plus souvent incapable d’entretenir un échange d’idées rationnel. Paul O’Neill, remarqué pour son franc-parler et remercié fin 2002 après 23 mois passés auprès du président, décrit un président sans curiosité face aux questions importantes et obscur quant aux moyens de les traiter. Selon l’ancien ministre des Finances, le mutisme de George W. Bush fait qu’aucun de ses collaborateurs ne sait vraiment ce qu’il pense. Il décrit M. Bush en conseil des ministres comme un «aveugle dans un pièce remplie de sourds» et indique que lors de leur premier rendez-vous de travail le président n’a tout simplement rien dit. Selon lui, seules l’idéologie et la perspective de gains électoraux conduisent la politique du président.

Sur l’Irak le jugement est sévère car il conforte la thèse d’une guerre préventive, envisagée de longue date et sans véritable justification. En tant que secrétaire au Trésor, M. O’Neill participait aux réunions du Conseil national de sécurité, en compagnie de ses collègues des ministères des Affaires étrangères et de la Défense, notamment. «Toute la question était de trouver un moyen d’y aller. C’était la tonalité d’ensemble (…) le président disant ‘allez-y, trouvez-moi un moyen de le faire’», mais l’ancien ministre se déclare surpris que personne, au sein du groupe, ne se soit interrogé sur les raisons pour lesquelles l’Irak devait être envahi. En tout cas, «en 23 mois de présence (au gouvernement), je n’ai jamais rien vu qui pourrait ressembler à une preuve de l’existence d’armes de destructions massives», dit-il. «Pour moi, la notion d’action préventive, selon laquelle les Etats-Unis ont le droit unilatéral de faire tout ce qu’ils décident de faire, est une évolution vraiment énorme».

Vieux et riche

Mais comment en est-on arrivé là et qu’est-ce qui a bien pu amener un collaborateur si proche du président à lui infliger un jugement aussi dévastateur ? La déception de ne pas avoir été entendu, certainement. «Nous ne l’avons pas écouté quand il était là. Pourquoi le ferions-nous maintenant ?», déclare aujourd’hui un responsable républicain. Mais il se trouve également que le secrétaire au Trésor ne partageait pas la même opinion que son patron sur la question des baisses d’impôts et qu’il fit les frais, après quelques gaffes et autre manifestation d’indépendance, d’une recomposition de l’équipe. Toutefois il refusa de se plier à la demande du vice-président lui réclamant d’annoncer qu’il quittait le gouvernement de sa propre volonté. «Je suis maintenant trop vieux pour commencer à raconter des mensonges», aurait été sa réponse à Dick Cheney.

Interrogé sur les propos de Paul O’Neill, le porte-parole de la Maison Blanche a déclaré que, «même si nous ne faisons pas de critiques littéraires, il semble que le monde selon O’Neil s’apparente davantage à une justification de ses propres opinions qu’à un examen de la réalité des résultats auxquels nous parvenons au nom du peuple américain».

Aujourd’hui, à moins d’un an de l’élection présidentielle américaine, cette nouvelle charge contre le président Bush paraît s’inscrire dans un mouvement de contestation plus large de l’administration républicaine, identifié sous le terme de Bush-haters (ceux qui ont la haine de Bush). Ce mouvement dispose de ses propres porte-parole : artistes, intellectuels, écrivains, longtemps réduits au silence en raison de la nécessité ressentie d’une union sacrée post-11 septembre. Ils se sentent aujourd’hui débarrassés de leur devoir de réserve et de la crainte d’être taxés de «mauvais citoyens», comme semble l’indiquer le témoignage de Paul O’Neill, pourtant lui-même républicain de longue date : «Je suis un vieil homme et je suis riche. Et ils ne peuvent rien faire qui puisse me toucher».



par Georges  Abou

Article publié le 12/01/2004