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Etats-Unis

Pourquoi les Américains votent<br> <br> de moins en moins<br> <br>

Tandis que la 54ème campagne présidentielle américaine prend péniblement son essor, tous les sondages indiquent que les électeurs potentiels s'y intéressent très peu. C'est un phénomène récurent dans la "plus grande démocratie du monde", mais qui s'est dangereusement aggravé depuis qu'en 1924, pour la première fois, le camp des abstentionnistes est devenu majoritaire.
Des efforts ont été faits par le gouvernement fédéral pour faciliter le vote des Américains qui voyagent et déménagent souvent. On peut désormais voter dans n'importe quel édifice public en produisant sa carte d'électeur. Il n'empêche que pour les présidentielles de 1996, 51 % des Américains n'ont pas voté, et 64 % lors des partielles de 1998. Pour la première fois, cette année, la moitié des enfants américains vivent dans des familles où aucun des deux parents ne vote.

Les politologues s'inquiètent de ce phénomène et soulignent que le taux de participation est beaucoup plus élevé en Europe. Ils imputent cette désaffection des Américains pour l'exercice du droit démocratique le plus élémentaire à la sophistication grandissante des débats. Pas celle des idées, mais celle des moyens de communication : trop d'émissions de télévision, trop de spots publicitaires plus agressifs qu'informatifs, trop d'Internet, et pas assez de contacts directs avec les candidats. Le «porte-à-porte» qui permettait jadis aux candidats de se faire connaître et de discuter avec leurs électeurs potentiels, a été remplacé par des affiches clinquantes éclaboussées de slogans simplistes, des coups de téléphone en forme de harcèlement , et un courrier stéréotypé destiné, avant tout, à récolter des fonds.

Exagérations médiatiques

Plus grave sans doute, la frénésie grandissante des médias à détruire l'image des candidats et à colporter les ragots les plus sulfureux ûl'affaire «Monica» en a été un exemple fracassantû ont achevé de dégoûter les électeurs du débat politique et des hommes et des femmes qui l'incarnent. Les «plateaux» des producteurs de télévision les plus connus sont devenus des arènes qui, loin d'aborder les problèmes sérieux qu'affronte le pays, offrent à des journalistes, plus doués pour le «show-biz» que pour l'analyse, une occasion de se mettre en vedette sur le dos des candidats dont la vie privée est leur cible préférée. Ils ont contribué à créer, estiment les politologues, une très dommageable culture de scepticisme à l'égard de la classe politique et du gouvernement en général. Le sentiment que les vrais problèmes ne sont jamais abordés prévaut un peu partout. Le rôle abusif des «faiseurs d'images» formés aux méthodes publicitaires les moins discrètes, le fait que les candidats sont étroitement encadrés par des «handlers», des spécialistes destinés à leur éviter tout écart qui pourrait leur coûter des voix, convainquent les électeurs que l'image trop lisse que leur offre la télévision n'a aucun rapport avec la vraie personnalité des hommes et des femmes qui sollicitent leurs suffrages.

Les traditionnels débats télévisés, qui opposent vers la fin de la campagne, les deux ou trois derniers candidats en lice sont devenus des spectacles de cirque portés à bout de bras par les médias, mais dont l'inanité dément la solennité qui les entoure. Les résultats en sont d'ailleurs généralement inintelligibles. Le fameux débat ûc'était le premier du genre à la télévisionû qui opposa en 1960 Richard Nixon à John Kennedy en fut la première expérience: aucun sondage ne donna un vainqueur évident. Ce qui n'empêcha pas les critiques de décider, plus tard, que Kennedy avait gagné là son ticket d'entrée à la Maison Blanche. Le dernier débat télévisé qui oppose le candidat républicain au démocrate et qui est sensé constituer le point d'orgue de la campagne, se borne désormais à un ronron bienséant au cours duquel chaque candidat place deux ou trois phrases soigneusement édulcorées par les «handlers» et qui sont supposées exprimer leurs programmes.

La vie du village d'abord

Les seuls éléments de spontanéité, et peut-être de surprises, ont lieu quand les candidats parcourent l'Amérique profonde. Un exercice auquel Bill Clinton a excellé. Mais il ne suffit pas de serrer d'innombrables mains, de plaisanter avec la foule qui se presse ou de lancer quelques bons mots authentiquement inventés par le présidentiable pour convaincre les présents d'aller aux urnes. Par delà les dérives de médias qui pensent davantage à augmenter le chiffre de leurs tirages ou de leur audimat qu'à informer le public, l'abstentionnisme américain provient aussi d'un système fédéral qui privilégie la politique locale. C'est sans doute parce que les Américains votent très souvent dans leur petite ville ou leur comté qu'ils s'intéressent aussi peu à la politique nationale. Ils élisent en effet, non seulement leur conseil municipal, mais la plupart des édiles, le responsable des finances publiques, le shérif, le juge, mais aussi le président des parents d'élèves de l'école de leurs enfants, le nouvel entraîneur de l'équipe de football, etc. Ils votent dans d'innombrables référendums pour décider de la construction d'une nouvelle bretelle d'autoroute, l'agrandissement de l'aéroport local, la création d'un nouveau stade, le changement des horaires de la bibliothèque, etc. Les habitants ont ainsi le sentiment de participer de très près à la vie de leur communauté et d'exercer leurs pleins droits de citoyens.






par Nicole  Bernheim

Article publié le 21/08/2000