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Etats-Unis

Fin des travaux à <i>Ground Zero</i>

Les travaux de déblaiement des vestiges du World Trade Center se terminent officiellement aujourd'hui, à Ground Zero. Près de deux millions de tonnes de débris ont été évacués. Le bilan final est de plus de 2800 morts, dont moins de la moitié ont été formellement identifiés. La ville s'apprête à tourner une page.
De notre correspondant à New York

Avec trois mois d'avance sur les prévisions, les ouvriers ont accompli un travail de titan, dans les ruines du World Trade Center. De jour comme de nuit, pendant presque neuf mois, ils ont creusé, découpé et évacué près de deux millions de tonnes de débris. Le chantier ne s'arrêtait que lorsque un corps étaient retrouvé.

Ce jeudi, une cérémonie orchestrée par le maire Michael Bloomberg va officiellement marquer la fin des travaux. La dernière poutrelle métallique sera évacuée. Un brancard vide recouvert d'un drapeau américain quittera le chantier pour symboliser les quelque 1800 corps dont on a aucune trace. Seulement un peu plus de 1000 victimes ont été identifiées, mais des volontaires continuent à rechercher des restes humains dans les gravats, transférés sur l'île de Staten Island. Des scientifiques continuent également à analyser près de 20000 restes humains retrouvés dans les décombres.

Ils ne reste de Ground Zero qu'un trou béant, profond de plusieurs étages, s'étalant sur plusieurs hectares. La parois sont lisses, le sol a été raclé, tout est prêt pour recevoir de nouvelles fondations. Pour éloigner les curieux et éviter les attroupements qui se formaient autour du site, des palissades ont été érigées tout le long de ce qu'on appelle désormais la fosse, «the pit». Malgré tout, des centaines de touristes se pressent dans les rues attenantes, pour tenter de voir ce qui s'y passe, quitte parfois à escalader le mobilier urbain.

Des photos du site avant, pendant et après

Des vendeurs à la sauvette proposent aux passants des photos du World Trade Center prises avant, pendant et après. «C'est normalement 10 dollars, mais pour vous, ce sera neuf» propose l'un d'entre eux. La touriste hésite. Trop tard. Un policier a repéré le manège et s'approche, pour empêcher la transaction. Le vendeur plie bagages prestement et part poursuivre un peu plus loin son commerce illicite. «Il y a des gens prêts à tout pour se faire un peu d'argent» lâche l'agent, écœuré.

Pour ceux qui veulent visiter le site en évitant cette cohue, la municipalité a érigé une passerelle en bois avec vue plongeante sur Ground Zero. Il faut se munir d'un ticket pour y accéder, après, parfois, des heures de queue. Le ticket est gratuit, mais de l'avis de beaucoup de New-yorkais, tout cela manque un peu de dignité... «Il n'y a plus grand chose à voir», admet Philippe Blanc, un Français de passage. «Le lieu ne frappe plus émotionnellement». A côté de lui, des dizaines de touristes mitraillent le site de photos.

En bordure de la passerelle, un immense panneau recouvert des noms des 2800 victimes rappelle crûment la réalité du drame. Certains noms ont été annotés à la main par des proches. Touri Bolourchi: «Repose en paix. Ta famille pense à toi et t'aime. A bientôt au paradis». Joyce Ann Carpeneto: «Joyce, tu es pour toujours dans mon coeur ma chérie. Je t'aimerai toujours.»

Une photo collée à côté du nom de Michael Dermott Mullan montre le visage souriant d'un jeune homme, sous un casque argenté de pompier. Une jeune fille s'approche et pose son doigt sur la photo en réprimant ses larmes. «C'est mon oncle, il était pompier, explique Danielle Gagne, une Canadienne de 15 ans, venue avec son école. Il avait réussi à sortir de la tour, mais il est remonté pour aider un ami. Il y est resté».

Sur la liste des morts, Keerthi Sivaneri, un étudiant indien en stage à New York repère de nombreux noms à consonance indienne. «C'est dur, mais maintenant, il faut commencer à reconstruire, et à oublier». Reconstruire quoi ? On parle d'un mémorial, associé à un complexe de bureaux modeste et quelques commerces. Virginia Gee, une consultante de San Fransisco, se fait prendre en photo à côté du nom de Betty Ann Ong, une hôtesse de l'air d'origine chinoise, comme elle. «C'est un sentiment incroyable, invraisemblable. L'Amérique est un pays jeune. Nous avons encore beaucoup à apprendre, on ne peut plus rien considérer comme acquis.»

A quelques mètres de là, la chapelle St-Paul ressemble toujours à un dortoir-cantine pour ouvriers et pompiers. Dès le lendemain de la catastrophe qui l'a laissée miraculeusement intacte, l'église, la plus vieille de Manhattan, a été transformée en centre de secours, puis en havre de paix, lieu d'écoute et de réconfort pour tous ceux qui travaillaient dans Ground Zero. Avec la fin des travaux, elle s'apprête à reprendre une vie normale. Des dizaines de volontaires vont rentrer chez eux, à la fois tristes et soulagés. «Je suis épuisé physiquement et émotionnellement» reconnait Martin Cowart, en charge de la distribution de la nourriture depuis presque neuf mois. «Une part de moi me dit qu'il est temps de passer à autre chose. Mais en même temps, nous allons perdre quelque chose de sacré. Nous étions devenus une vraie communauté, incroyablement soudée

L'église est encombrée de cartons de nourriture, de produits d'hygiène, de couvertures. Il va falloir les ranger, en même temps que les tables de la cantine, à quelques mètres de l'autel, ou les matelas couchés près de l'orgue, muselé par la poussière. Sur les murs, les messages de soutien venus du monde entier seront décrochés: «God Bless America» (Dieu bénisse l'Amérique). «Thank you for your hard work» (Merci pour votre travail acharné). A partir de lundi, les masseurs ne viendront plus soulager les ouvriers, les psychologues ne viendront plus les libérer d'images d'horreur, les musiciens ne viendront plus les divertir. Avec les ruines du World Trade Center, c'est tout un petit monde d'entraide et de générosité qui disparaît.



par Philippe  Bolopion

Article publié le 30/05/2002