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Etats-Unis

Bush sur la défensive

Accusé d’avoir fait «un travail épouvantable dans la guerre contre le terrorisme» par un ancien collaborateur, George W. Bush est aussi fragilisé par une enquête du Congrès sur les causes des attentats du 11 septembre. Ces développements interviennent alors qu’il a fait de la lutte antiterroriste la pièce maîtresse de sa campagne de réélection.
De notre correspondant à New York

La controverse ne pouvait plus mal tomber pour le président américain. Déjà en difficulté dans les sondages face à son rival démocrate John Kerry, George W. Bush avait choisi de faire de la guerre et Irak et de son bilan en matière de lutte anti-terroriste la pièce maîtresse de son dispositif de réélection. Et voilà qu’un ancien collaborateur le poignarde dans un livre, au moment même où les ténors de son administration sont criblés de questions embarrassantes par une commission d’enquête du Congrès. La première salve a été tirée dimanche par Richard Clarke, l’ancien patron de la lutte anti-terroriste au sein du National Security Council dirigé par la conseillère à la sécurité nationale Condoleeza Rice. L’homme est un vieux routard de la Maison blanche, qui a servi sous Ronald Reagan, Bush père et Bill Clinton. Mais «W» est parvenu a éroder sa patience et sa loyauté, au point que dans son livre, Richard Clarke l’accuse d’avoir négligé la lutte contre Al-Qaïda avant le 11 septembre et d’avoir ensuite détourné les ressources du pays en les dirigeant contre l’Irak, qui n’était pour rien dans les attentats du 11 septembre.

Selon Richard Clarke, lorsque l’administration Bush arrive au pouvoir, elle ne prend pas au sérieux les mises en garde des conseillers de Bill Clinton. «Nous avions une organisation terroriste qui était après nous, Al-Qaïda. Cela aurait du être en tête de l’agenda, et cela a été repoussé mois après mois après mois», a expliqué Clarke sur l’émission 60 minutes. Le 24 janvier 2001, il demande à Condoleeza Rice une réunion urgente au niveau des ministres pour discuter la question. En vain. «J’accuse l’équipe dirigeante de Bush tout entière d’avoir continué à travailler sur des questions héritées de la guerre froide quand ils sont revenus au pouvoir en 2001 a-t-il expliqué. C’est comme si ils avaient été conservés dans l’ambre huit ans plus tôt. Ils sont revenus, ils voulaient travailler sur les mêmes problèmes –l’Irak, la guerre des étoiles– pas sur les nouveaux problèmes, les nouvelles menaces.»

Sa rencontre, Clarke ne l’obtient que trois mois plus tard, et seulement au niveau des numéros deux de chaque département. A l’époque, Paul Wolfovitz, du département de la Défense, ne comprend pas l’alarmisme de Clarke, qui rapporte ainsi ses propos : «Non non non, nous n’avons pas à nous occuper de Al-Qaïda, aurait dit Wolfovitz. Pourquoi parle-t-on de ce petit gars. Nous devons parler du terrorisme irakien contre les Etats-Unis». Toujours selon Clarke, «George Tenet (le patron de la CIA) disait au président Bush qu’il briefait tous les matins qu’une attaque de grande ampleur menée par Al-Qaïda allait se produire contre les États-Unis, quelque part dans le monde dans les semaines et mois à venir. Il a dit cela en juin, juillet, août. (…) Il (Bush) n’a jamais pensé que cela était suffisamment important pour qu’il tienne une réunion sur la question, ou pour qu’il ordonne à sa conseillère à la sécurité nationale d’organiser une réunion sur le sujet au niveau des ministres». Et cette phrase, qui sonne comme une sentence : «Il a ignoré le terrorisme pendant des mois alors que nous aurions peut-être pu faire quelque chose pour arrêter le 11 septembre. Peut-être. Nous ne saurons jamais».

Une diversion de la lutte antiterroriste

L’obsession irakienne survit aux attentats. Toujours sur 60 minutes, Clarke a relaté une scène surréaliste. Peu après les attentats, le président Bush retourne à la Maison Blanche et rassemble les poids lourds de son équipe. Clarke est de la réunion. «Rumsfeld (le ministre de la Défense) disait que nous devions bombarder l’Irak, et nous avons tous dit ‘non non, Al-Qaïda est en Afghanistan. Nous devons bombarder l’Afghanistan’. Rumsfeld a dit ‘il n’y pas de bonnes cibles en Afghanistan et il y a plein de bonnes cibles en Irak’. J’ai dit ‘Il y a beaucoup de bonnes cibles dans beaucoup d’endroits, mais l’Irak n’a rien à voir avec ça’».

La journaliste de «60 minutes» demande à Clarke : «Quelle a été votre réaction à toutes ces discussions sur l’Irak ? Que leur avez-vous dit ?» Clarke répond : «Je leur ai dit qu’envahir l’Irak ou bombarder l’Irak après que nous avons été attaqués par quelqu’un d’autre, c’est un peu comme si Franklin Roosevelt, après Pearl Harbor, au lieu d’entrer en guerre contre le Japon avait dit ‘envahissons le Mexique’. C’est très analogue.» La journaliste : «Mais ne pensaient-ils pas qu’il y avait une connexion ?» Clarke : «Je pense qu’ils voulaient croire qu’il y avait une connexion, mais la CIA était là, le FBI était là, j’étais là, en train de dire ‘nous avons étudié cette question pendant des années et il n’y a tout simplement pas de connexion.’»

George W. Bush est également de la partie. «Le président m’a entraîné dans une pièce avec quelques autres personnes, a fermé la porte, et a dit ‘je veux que vous trouviez si l’Irak est derrière ça’, raconte Clarke. Attention, il n’a jamais dit ‘inventez-le’. Mais l’ensemble de la conversation m’a laissé l’impression absolument limpide que George Bush voulait que je revienne avec un rapport disant que l’Irak avait fait cela.» Quand Clarke dit au président qu’il n’y a pas de connexion, George W. Bush revient vers lui et dit «Irak ! Saddam ! Trouvez s’il y a une connexion» d’une manière qu’il qualifie de «très intimidante». Selon Clarke, la guerre en Irak ne fut qu’une diversion de la lutte antiterroriste et a renforcé les réseaux islamistes dans le monde. A ces accusations, la Maison blanche a répondu comme à son habitude en tentant de salir la réputation de l’ancien conseiller, qu’elle veut faire passer pour un valais du candidat Kerry, un aigri et un incompétent. Mais l’ancien patron de l’antiterrorisme aura une tribune mercredi face à la commission d’enquête du Congrès. Et son témoignage s’ajoute à celui du chef des inspecteurs américains, David Kay, selon lequel l’Irak n’avait pas d’armes de destructions massives juste avant la guerre, et aux accusations de l’ancien secrétaire au trésor Paul O’Neill, pour lequel la politique économique du président américain est désastreuse, et qui lui aussi a dénoncé l’obsession irakienne.

Devant la commission d’enquête du Congrès chargée de déterminer si les attentats du 11 septembre auraient pu être évités, le secrétaire d’Etat Colin Powell est venu au secours du président. Dès son arrivée au pouvoir, George Bush a fait selon lui de la destruction du réseau Al-Qaïda une priorité, en estimant que Washington ne pouvait plus se contenter de simples «coups d’épée dans l’eau» –allusion aux frappes de Bill Clinton dans le désert afghan. Selon lui, à l’époque, certaines des idées de Richard Clarke avaient été mises en œuvre. Mais Colin Powell a également confirmé les visées irakiennes du Pentagone au lendemain des attentats du 11 septembre… Le rapport préliminaire de la commission rendu public hier soir est dur à la fois pour l’administration Bush et pour celle du président Clinton. De 1997 à septembre 2001, «tous les efforts pour essayer de persuader le régime taliban d’expulser Ben Laden» ont échoué estiment les enquêteurs. L’ex-chef de la diplomatie de Bill Clinton, Madeleine Albright, a expliqué que l’opinion américaine n’était pas à l’époque prête à soutenir une invasion de l’Afghanistan. Selon le rapport, l’administration Clinton a raté plusieurs occasions de se débarrasser d’Oussama Ben Laden, alors que l’administration Bush n’a formulé aucun plan précis pour gérer le problème.

«Si mon administration avait eu la moindre information indiquant que des terroristes allaient attaquer New York City le 11 septembre, nous aurions agi», a pour sa part répondu le président Bush. Comme plusieurs de ses ministres, il a admis que les États-Unis pouvaient très bien être de nouveau la cible d’une attaque terroriste.



par Philippe  Bolopion

Article publié le 24/03/2004