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Etats-Unis

Qui a dénoncé l'agent de la CIA ?

L'administration Bush se trouve au cœur d'un nouveau scandale sur la gestion du dossier contre l'Irak. Quelqu'un dans l'entourage du Président américain est soupçonné d'avoir révélé à la presse le nom d'un agent de la CIA pour punir par ricochet le mari de cet agent, dont la seule faute avait été de révéler qu'une des pièces à charges contre l'Irak était sans fondement. Le FBI enquête.
De notre correspondant à New York.

Voilà un coup bas qui pourrait coûter très cher à son auteur. Pour punir Joe Wilson de ses critiques contre l'administration Bush, quelqu'un a semble-t-il décidé de révéler à la presse que son épouse était un agent de la CIA -une indiscrétion passible aux Etats-Unis de plusieurs années de prison. L'affaire est complexe. En février 2002, le vice-président Dick Cheney demande à la CIA de vérifier une information selon laquelle l'Irak aurait tenté de se procurer de l'uranium auprès du Niger. L'agence de renseignement décide de mettre sur le coup Joe Wilson, un ancien ambassadeur chevronné, spécialiste des affaires africaines et du régime de Saddam Hussein. Fin février, il se rend au Niger et détermine rapidement que les accusations contre l'Irak sont sans fondement. Il informe l'ambassade américaine à Niamey de ses conclusions et rédige un rapport qu'il remet à la CIA.

A sa grande surprise, six mois plus tard, lors de son discours sur l'état de l'union en janvier 2003, George W. Bush accuse de nouveau l'Irak d'avoir cherché à se procurer de l'uranium au Niger. Il attribue alors l'information aux services secrets britanniques. Avant que la guerre n'éclate, les inspecteurs de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), qui ont enquêté sur cette accusation, révèlent à leur tour qu'elle est erronée, et qu'elle s'appuie sur des faux grossiers. L'affaire est vite balayée par les tambours de la guerre, mais elle refait surface au début de l'été, alors que l'invasion de l'Irak ne permet pas aux forces américaines de mettre la main sur la moindre trace d'arme de destruction massive. En juillet, dans une tribune dans le New York Times titrée «Ce que je n'ai pas trouvé au Niger», Joe Wilson révèle les détails de son enquête et de ses résultats. Son témoignage est accablant pour la Maison Blanche, accusée d'avoir volontairement exagéré les preuves contre l'Irak.

Peu de temps après, Tom Novak, un éditorialiste du Washington Post, révèle que l'épouse de Joe Wilson, Valérie Plame, est un agent de la CIA. Cette fuite est une punition à double titre : elle bouleverse la vie du couple et permet à certains d'insinuer que Joe Wilson a obtenu sa mission en Afrique grâce à l'influence de sa femme. Tout de suite, le diplomate soupçonne Carl Rove, le stratège en chef du président Bush, d'être derrière la fuite -une accusation démentie par la Maison Blanche. L'affaire aurait pu en rester là si la CIA n'avait pas demandé au département de la Justice d'ouvrir une enquête. Car le fait de révéler l'identité d'un agent de la CIA est un crime fédéral, passible d'une lourde peine de prison : l'agent dont l'identité a été révélée ainsi que toutes ses sources sont mises en danger.

Etouffer la polémique

Le département de la Justice, dirigé par John Ashcroft, a donc lancé une «enquête préliminaire» qui s'est transformée lundi soir en «enquête» - une mesure rarement prise dans le cadre d'une fuite d'information classifiée. D'ores et déjà, le président Bush a demandé à ses personnels de coopérer pleinement. «L'enquête est une bonne chose», a affirmé le président qui assure : «Je ne connais personne, dans mon administration, qui serait à l'origine d'une fuite». En ouvrant leurs ordinateurs hier matin, beaucoup d'employés de la Maison Blanche ont reçu un message des services juridiques de la présidence leur demandant de «conserver tout ce qui pourrait avoir trait à l'enquête du département de la Justice». Ces mesures semblent destinées à étouffer la polémique autour d'une présidence qui a été élue en mettant en avant une image d'intégrité, censée reléguer dans les oubliettes de l'Histoire les mensonges de l'ère Clinton.

Mais les Démocrates se sont déjà emparés du dossier et demandent une enquête indépendante. «Nous n'avons pas confiance en John Ashcroft», a affirmé le leader de la minorité démocrate au Sénat Tom Daschle. Ils dénoncent un conflit d'intérêt du ministre de la Justice, qui aurait selon eux une tendance naturelle à couvrir le président. Ironie de l'histoire, les Démocrates voudraient aujourd'hui remettre au goût du jour la procédure qui avait permis au procureur Kenneth W. Starr d'enquêter sur l'affaire Whitewater impliquant le couple Clinton.



par Philippe  Bolopion

Article publié le 01/10/2003