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Etats-Unis

Les états d’âme de Donald Rumsfeld

Donald Rumsfeld a l’habitude d’inonder ses subordonnés de notes destinées aussi bien à bousculer leurs idées reçues qu’à leur soumettre des questions dérangeantes. Mais lorsqu’il a rédigé le 16 octobre dernier un mémo, intitulé «guerre globale contre le terrorisme» et destiné à quatre de ses plus proches collaborateurs, il ne s’attendait certainement pas à le voir publié en Une de la presse américaine. La diffusion de ce texte, où sont évoqués pêle-mêle «les résultats mitigés» contre le réseau al-Qaïda, «les progrès raisonnables» dans la traque des anciens dignitaires irakiens ou encore «une réussite plus lente» face aux Taliban du mollah Omar, ne pouvait plus mal tomber. La dégradation de la situation sécuritaire en Irak se poursuit en effet inexorablement au point où les responsables militaires américains n’hésitent plus à avouer que les attaques contre les forces de la coalition sont aujourd’hui mieux coordonnées et donc plus meurtrières. Dans ce contexte, les doutes émis par le secrétaire à la Défense dans son mémo ne peuvent que renforcer le malaise des Américains face à la stratégie adoptée en Irak.
«Sommes-nous en train de gagner ou de perdre la guerre contre le terrorisme ?», s’interroge Donald Rumsfeld. Et d’ajouter : «est-ce que nous capturons, tuons ou décourageons chaque jour plus de terroristes que les medersas –écoles coraniques– et les religieux intégristes n’en recrutent, entraînent et déploient contre nous ?». Si ces interrogations sont certes légitimes au sein d’une institution comme le Pentagone, elles ne peuvent en revanche qu’être mal perçues par une société de plus en plus inquiète de l’enlisement de la situation en Irak. D’autant plus que le secrétaire à la Défense avoue ouvertement que «la coalition peut certes l’emporter en Afghanistan et en Irak d’une façon ou d’une autre» mais qu’avant cela il faudra «en baver longtemps». Donald Rumsfeld estime en outre «impossible» de réformer l’armée assez rapidement pour lutter efficacement dans la guerre contre le terrorisme. «En ce qui concerne al-Qaida, nous avons mis une pression considérable, et pourtant un grand nombre de membres restent introuvables», écrit-il ainsi en soulignant toutefois que les progrès ont été plus sensibles concernant «la capture ou l'élimination des 55 plus hauts responsables irakiens». Mais, précise-t-il, en ce qui concerne Ansar Al-Islam –la filiale de l’organisation d’Oussama ben Laden en Irak–, «nous n'en sommes qu'au début».

A l’heure où les forces de la coalition affrontent chaque jour une guérilla mieux organisée, ces interrogations exprimées par le secrétaire à la Défense jettent le doute sur la stratégie du Pentagone en Irak de plus en plus décriée dans la presse américaine et dans l’opposition. Le sénateur démocrate, Joseph Biden, ironise ainsi sur «un parfum d’introspection rarement senti en provenance des civils du ministère de la Défense». Pour lui, il s’agit d’un signe évident que «l’administration Bush envisage la possibilité d’un échec de sa politique en Irak». Plus opportuniste, le général Wesley Clark –candidat à l’investiture démocrate– tente de tirer de ces aveux un bénéfice électoral. «Rumsfeld reconnaît seulement maintenant ce que nous savons déjà depuis quelque temps : que cette administration n’a pas de plan pour l’Irak et pas de stratégie à long terme pour lutter contre le terrorisme», a-t-il ainsi déclaré. Mais la critique la plus acerbe est venu d’un ancien fonctionnaire du Pentagone pour qui «c’est le fait que Donald Rumsfeld soit encore en train de poser les mêmes questions depuis le 11 septembre qui est significatif».

Les pacifistes américains donnent de la voix

Même si le secrétaire à la Défense, soutenu par la Maison Blanche, a tenté de justifier son texte en insistant notamment sur le fait qu’il n’a jamais mis en doute la victoire américaine contre le terrorisme en général et l’Irak en particulier, la diffusion de son mémo risque d’avoir un effet ravageur dans l’opinion publique américaine. Elle va en tout cas largement servir le clan des anti-guerre qui a appelé les Américains à manifester samedi à Washington et San Francisco pour le retour des boys. Sous les slogans «Ramenez les troupes à la maison maintenant» et «Fin de l’occupation en Irak», les manifestants doivent défiler autour de la Maison Blanche et du ministère de la Justice. Un tract d’ores et déjà distribué rappelle que «les Etats-Unis dépensent 4 milliards de dollars par mois pour occuper l’Irak» et invite à se rappeler ces chiffres quand l’administration Bush affirme qu’«il n’y a pas d’argent pour l’éducation et la santé».

Selon une étude publiée récemment par l’institut de recherches Pew, 39% des Américains souhaitent le retrait le plus tôt possible des troupes d’Irak, contre 32% en septembre. Car si l’administration américaine ne ménage pas ses efforts pour minimiser les problèmes sur le terrain –George Bush vient de mener une offensive de charme auprès des télévisions locales trop pauvres pour envoyer des reporters sur place–, les mauvaises nouvelles finissent toujours par filtrer. Une trentaine de soldats ont ainsi refusé de regagner l’Irak après deux semaines de permission passées aux Etats-Unis. Le Pentagone a cherché à minimiser ces absences en soulignant qu’il s’agissait d’une infime portion de permissionnaires tout comme il tente de ne pas prendre en considération le taux de suicide dans les rangs de l’armée. Aux moins 13 soldats se sont en effet donnés la mort en Irak, soit un peu plus de 10% des décès recensés depuis la fin des opérations militaires annoncée le 1er mai. Dans ce contexte, la tournée en Irak du numéro 2 du Pentagone n’est pas innocente. Paul Wolfowitz doit officiellement rencontrer des responsables irakien mais il est sans doute surtout dépêché pour renforcer le moral des troupes.





par Mounia  Daoudi

Article publié le 24/10/2003