Terrorisme
La décision d’extrader <BR>Cesare Battisti renvoyée
(Photo : AFP)
La chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris a donc remis sa décision au 30 juin après avoir entendu les arguments du parquet général, des avocats et de Cesare Battisti, présent à l’audience. L’avocate générale s’est déclarée favorable à l’extradition, estimant que la demande italienne «ne souffrait aucune discussion». «Ce serait déjuger vos collègues sur ordre, pour des raisons politiques», a estimé pour sa part l’avocate Me Irène Terrel, en référence à l’avis défavorable prononcé en 1991 par la chambre. De son côté, M. Battisti a rappelé que «la France s’était engagée (à garantir sa non-extradition) par la voix du président de la République» de l’époque.
C’est une affaire dont les éléments ne sont pas seulement d’ordre juridique. L’examen du cas Battisti nous plonge en effet plus de trente ans en arrière, dans l’histoire tourmentée d’une Europe secouée par les spasmes du terrorisme dans lequel ont versé les éléments les plus radicaux de l’après-68. Au cours des années 70 et 80, en effet, parmi les pays du continent dotés de régimes démocratiques, l’Allemagne, la France et l’Italie sont affectés par une vague de terrorisme dont l’Italien Cesare Battisti, du mouvement clandestin «Prolétaires armés pour le communisme» (Pac), est l’un des principaux acteurs.
Au nom du combat anti-capitaliste, anti-impérialiste, anti-colonialiste, anti-fasciste, etc. ces militants de «l’ultra gauche» se livrent à des vagues d’attentats contre des cibles considérées comme symboliques. Leur volonté est de menacer le fonctionnement des institutions dans le but de révéler la véritable nature opprimante des Etats, ses complicités avec un capitalisme réputé exploiteur, et de les déstabiliser afin de créer une situation révolutionnaire. Ils échoueront. Mais les Etats, qui finissent par douter de la solidité de leurs institutions, adoptent en réaction des contre-mesures policières et judiciaires dont le caractère répressif nourrit l’escalade du radicalisme, de part et d’autre. En Italie, ce sont les «années de plomb»: face aux attentats et aux meurtres se met en place une justice d’exception.
«Deux fois il a tiré lui-même»
C’est dans ce contexte particulièrement troublé qu’agissent en Allemagne les terroristes de la Fraction armée rouge («bande à Baader»), d’Action directe en France, des Pac en Italie. Selon la justice italienne, avec ce groupe, Cesare Battisti s’est rendu coupable de l’assassinat d’un gardien de prison, en 1978, et d’un policier, en 1979, et complice d’assassinat d’un boucher et d’un bijoutier, en 1979, tandis que le fils de ce dernier, blessé dans l’attentat, restait tétraplégique. Selon le procureur–adjoint du tribunal de Milan, son accusateur, «Battisti a participé matériellement à trois de ces homicides, deux fois il a tiré lui-même et, dans le quatrième cas, il a tout planifié et organisé».
Si ces mouvements ont pu provoquer une certaine fascination au sein de certains milieux d’extrême gauche, aucun toutefois n’a pu recruter au-delà d’une sphère extrêmement confidentiel et acquérir une popularité suffisante pour menacer la solidité des systèmes démocratiques. Au début des années 80, le renforcement des appareils policiers et judiciaires eut finalement raison des velléités révolutionnaires de ces groupuscules et peu à peu ces terroristes firent, au mieux, figurent de soldats égarés d’une cause perdue. L’heure de la démobilisation et de la reconversion a sonné. Mais le parcours n’est pas terminé pour ceux qui sont accusés d’avoir du sang sur les mains, contraints à l’exil.
François Mitterrand lui-même
Nombre d’entre eux, par commodité, passe la frontière française dès la fin des années 70 et se cachent. Il faudra attendre le début de la décennie suivante, avec l’arrivée au pouvoir en France de la gauche, incarnée par le président François Mitterrand, pour constater une évolution dans le traitement du dossier. Les Français d’Action directe sont libérés. L’Espagne proteste contre, selon elle, l’indulgence française à l’égard des indépendantistes basques. Quant aux Italiens, ils commencent à sortir de l’ombre et négocient leurs redditions en échange de titres de séjour. Confortés par les critiques des organisations de défense des droits de l’Homme sur le caractère massif et expéditif des poursuites engagés à leur encontre à l’époque, incité pour des raisons intérieures à leur éviter de nouvelles dérives terroristes, le gouvernement français accorde des titres de séjour. Selon le journal Libération, en 1985, les autorités françaises estimaient leur nombre «à 200/300». A cette date, sur instruction présidentielle, le cabinet du Premier ministre annonce que la voie de l’extradition est fermée. On parle alors de «doctrine Mitterrand».
Depuis 19 ans, malgré les alternances successives, la décision n’avait pas été remise en question. En 1991, lors d’un précédent épisode avant qu’il ne soit jugé, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris avait même rendu un avis défavorable à l’extradition de Battisti vers l’Italie. C’est sur la jurisprudence de cet avis que s’appuie aujourd’hui sa défense. Mais l’affaire de son extradition a été relancée après son jugement et sa condamnation à la prison à perpétuité, en 1993. Et la nouvelle requête d’extradition déposée en janvier 2003 par le gouvernement italien auprès de Paris a eu, cette fois, un écho plus favorable des autorités françaises. En février 2004, Battisti a été incarcéré à la prison de la Santé. Libéré le 3 mars et placé sous contrôle judiciaire, il a bénéficié de nombreux appuis, tant dans les milieux intellectuels, artistiques et littéraires que politiques et syndicaux. La gauche française (socialiste, communiste, Verts) le soutient tandis que la classe politique italienne fait part de sa stupeur et de son indignation.
Au cours de l’audience, une centaine de sympathisants s’étaient rassemblés devant le palais de justice de Paris pour soutenir Cesare Battisti.
par Georges Abou
Article publié le 13/05/2004 Dernière mise à jour le 13/05/2004 à 06:23 TU