Italie
Le réveil des «années de plomb»
Trois militants d’extrême-droite condamnés à la perpétuité pour l’attentat de la Piazza Fontana (1969) ont été acquittés en appel, «faute de preuves».
Au lendemain des attentats qui ont ensanglanté l’Espagne, amenant tous les dirigeants européens à réaffirmer leur engagement dans la lutte contre le terrorisme, la Cour d’appel de Milan vient d’acquitter trois militants d’extrême-droite, condamnés à la prison à perpétuité pour l’organisation de l’attentat de la Piazza Fontana en 1969.
Le 12 décembre 1969, une bombe placée dans la Banque de l’Agriculture, Piazza Fontana à Milan, explose en provoquant la mort de 16 personnes et près de 80 blessés. C’est le premier d’une longue série d’attentats meurtriers qui vont jalonner les années 70 et marquer durablement la vie politique italienne tout au long de ce que les journalistes ont baptisé les «années de plomb».
Dans un premier temps, les enquêteurs s’égarent et recherchent les auteurs du côté des mouvements d’extrême-gauche. En fait, les véritables coupables avaient volontairement disséminé de faux indices à cet effet. Avec le temps, il a été établi que des membres clés des services secrets italiens, liés à l’extrême-droite, avaient non seulement délibérément contribué à tromper les policiers et les magistrats, mais que certains parmi eux étaient complices des poseurs de bombes. Cela procédait de ce que l’on a appelé la «stratégie de la tension».
A l’époque, en effet, le Parti communiste italien était puissant. Son arrivée au gouvernement n’était pas encore ouvertement envisagée mais beaucoup, à droite, la redoutaient, notamment au sein des services secrets. C’est pourquoi certains d’entre eux, proches des mouvements clandestins néo-fascistes, ont décidé de créer artificiellement une tension politique à travers des campagnes terroristes afin de provoquer un réflexe sécuritaire qui exclurait durablement les communistes, accroîtrait les moyens des services de sécurité et la répression contre l’extrême-gauche. Cette campagne de la «saison des bombes» a culminé avec l’attentat d’extrême-droite contre la gare de Bologne en 1980 dans lequel 85 personnes ont perdu la vie.
Terreur noire contre terreur rouge
Cette stratégie a d’ailleurs en partie fonctionné puisque, à son tour, l’extrême-gauche s’est radicalisée en donnant naissance à des groupuscules armés clandestins qui ont blessé ou assassiné des hauts fonctionnaires et des patrons au nom de la lutte des classes. Terreur noire contre terreur rouge. Paradoxalement, cette stratégie de la tension qui avait pour but d’éviter une arrivée au pouvoir des communistes a engendré une réaction inverse, au nom de la défense de la démocratie : le leader modéré de la Démocratie chrétienne (DC), Aldo Moro, se préparait à ouvrir un dialogue politique avec son grand adversaire, le communiste Enrico Berlinguer qui parlait pour sa part de «compromis historique» avec la Démocratie chrétienne.
En enlevant, puis en assassinant Aldo Moro en 1978, le mouvement d’ultra-gauche des Brigades Rouges aura, sans le savoir, accompli le dessein de ceux qui avaient conçu l’attentat de la Piazza Fontana neuf ans auparavant. Le compromis historique entre le PCI et la DC est mort avec Aldo Moro.
Entre-temps, malgré les leurres semés pour la tromper, la justice italienne, trente-deux ans après les faits, a fini par mettre la main sur les véritables auteurs de l’attentat qui ont été condamnés à la prison à vie. Il s’agit de trois militants du groupuscule néo-fasciste Ordine Nuovo (Ordre Nouveau), une dissidence du MSI (Mouvement social italien), parti légal néo-fasciste qu’ils jugeaient trop «mou». Mais l’un des trois, Delfo Zorzi, a échappé à la prison, s’étant réfugié au Japon dont il a pris la nationalité, ce qui l’a préservé de l’extradition.
Aujourd’hui, trente-cinq ans après l’attentat, tous trois sont donc acquittés en appel «faute de preuves» dans ce dossier. Des preuves que certains services de l’État italien ont consacré tous leurs efforts à faire disparaître.
Entre l’acquittement des trois auteurs de l’attentat de la Piazza Fontana, la menace d’extradition qui pèse sur l’ancien militant d’ultra-gauche Cesare Battisti, incarcéré en France, et le débat public relancé sur l’assassinat d’Aldo Moro par le film de Marco Bellochio Buongiorno Notte, les Italiens sont brutalement replongés dans ces «années de plomb» dont ils avaient fini par sortir, au moment même où, en Europe, le terrorisme est le premier sujet de préoccupation.
Le 12 décembre 1969, une bombe placée dans la Banque de l’Agriculture, Piazza Fontana à Milan, explose en provoquant la mort de 16 personnes et près de 80 blessés. C’est le premier d’une longue série d’attentats meurtriers qui vont jalonner les années 70 et marquer durablement la vie politique italienne tout au long de ce que les journalistes ont baptisé les «années de plomb».
Dans un premier temps, les enquêteurs s’égarent et recherchent les auteurs du côté des mouvements d’extrême-gauche. En fait, les véritables coupables avaient volontairement disséminé de faux indices à cet effet. Avec le temps, il a été établi que des membres clés des services secrets italiens, liés à l’extrême-droite, avaient non seulement délibérément contribué à tromper les policiers et les magistrats, mais que certains parmi eux étaient complices des poseurs de bombes. Cela procédait de ce que l’on a appelé la «stratégie de la tension».
A l’époque, en effet, le Parti communiste italien était puissant. Son arrivée au gouvernement n’était pas encore ouvertement envisagée mais beaucoup, à droite, la redoutaient, notamment au sein des services secrets. C’est pourquoi certains d’entre eux, proches des mouvements clandestins néo-fascistes, ont décidé de créer artificiellement une tension politique à travers des campagnes terroristes afin de provoquer un réflexe sécuritaire qui exclurait durablement les communistes, accroîtrait les moyens des services de sécurité et la répression contre l’extrême-gauche. Cette campagne de la «saison des bombes» a culminé avec l’attentat d’extrême-droite contre la gare de Bologne en 1980 dans lequel 85 personnes ont perdu la vie.
Terreur noire contre terreur rouge
Cette stratégie a d’ailleurs en partie fonctionné puisque, à son tour, l’extrême-gauche s’est radicalisée en donnant naissance à des groupuscules armés clandestins qui ont blessé ou assassiné des hauts fonctionnaires et des patrons au nom de la lutte des classes. Terreur noire contre terreur rouge. Paradoxalement, cette stratégie de la tension qui avait pour but d’éviter une arrivée au pouvoir des communistes a engendré une réaction inverse, au nom de la défense de la démocratie : le leader modéré de la Démocratie chrétienne (DC), Aldo Moro, se préparait à ouvrir un dialogue politique avec son grand adversaire, le communiste Enrico Berlinguer qui parlait pour sa part de «compromis historique» avec la Démocratie chrétienne.
En enlevant, puis en assassinant Aldo Moro en 1978, le mouvement d’ultra-gauche des Brigades Rouges aura, sans le savoir, accompli le dessein de ceux qui avaient conçu l’attentat de la Piazza Fontana neuf ans auparavant. Le compromis historique entre le PCI et la DC est mort avec Aldo Moro.
Entre-temps, malgré les leurres semés pour la tromper, la justice italienne, trente-deux ans après les faits, a fini par mettre la main sur les véritables auteurs de l’attentat qui ont été condamnés à la prison à vie. Il s’agit de trois militants du groupuscule néo-fasciste Ordine Nuovo (Ordre Nouveau), une dissidence du MSI (Mouvement social italien), parti légal néo-fasciste qu’ils jugeaient trop «mou». Mais l’un des trois, Delfo Zorzi, a échappé à la prison, s’étant réfugié au Japon dont il a pris la nationalité, ce qui l’a préservé de l’extradition.
Aujourd’hui, trente-cinq ans après l’attentat, tous trois sont donc acquittés en appel «faute de preuves» dans ce dossier. Des preuves que certains services de l’État italien ont consacré tous leurs efforts à faire disparaître.
Entre l’acquittement des trois auteurs de l’attentat de la Piazza Fontana, la menace d’extradition qui pèse sur l’ancien militant d’ultra-gauche Cesare Battisti, incarcéré en France, et le débat public relancé sur l’assassinat d’Aldo Moro par le film de Marco Bellochio Buongiorno Notte, les Italiens sont brutalement replongés dans ces «années de plomb» dont ils avaient fini par sortir, au moment même où, en Europe, le terrorisme est le premier sujet de préoccupation.
par Olivier Da Lage
Article publié le 12/03/2004