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Italie

Le chevalier Berlusconi perd son bouclier

Le chef du gouvernement italien qui effectuait sa rentrée officielle à Rome après vingt jours d’absence a reçu une bien mauvaise nouvelle. Il a perdu le plus précieux de ses boucliers «anti–juges».
De notre correspondante à Rome

En décrétant que la loi accordant l’immunité aux plus hauts responsables de l’État, pendant toute la durée de leur mandat, était inconstitutionnelle parce qu’«elle viole les principes d'égalité devant la loi et le droit de tous les citoyens à la défense», la Cour constitutionnelle lui a infligé le pire des camouflets.

Cette loi, qui avait été votée en juin 2003, suspendait tout procès et toute poursuite judiciaire pour les cinq plus hautes charges de l’État dont le Premier ministre. Selon ses promoteurs, dont le coordinateur national de Forza Italia, Sandro Bondi, «elle avait pour but principal de protéger les institutions et ses représentants» dans un pays qui a supprimé l’immunité parlementaire en 1993, lorsque la classe politique s’est trouvée largement mouillée au cours de l’opération mains propres qui portait sur le financement illégal des partis.

En réalité, force est de constater que la loi en question n’a eu qu’un seul bénéficiaire: Il Cavaliere –surnom que Silvio Berlusconi, 67 ans, doit au fait d’avoir été nommé chevalier de l’Ordre du travail à l’âge de 41 ans– et qu’elle a au moins rempli un de ses objectifs puisqu’elle a évité tout problème judiciaire au chef du gouvernement pendant la durée de la présidence italienne de l’Union européenne qui s’est achevée à la fin du mois de décembre.

Une défaite cuisante

Du côté de l’opposition de centre-gauche, cette loi a toujours été fortement critiquée pour son aspect inconstitutionnel et amoral dans la mesure où elle plaçait très clairement la première fortune d’Italie au-dessus des citoyens de base et bien à l’abri de la justice. L’ancien juge vedette des affaires «mains propres», Antonio Di Pietro, aujourd’hui à la tête d’une petit parti centriste, l’Italie des Valeurs, s’était d’ailleurs battu dès sa promulgation, le 22 juin 2003, pour l’organisation d’un référendum abrogatif et il avait recueilli plus d’un million de signatures très rapidement. Désormais ce référendum n’a plus lieu d’être mais pour Antonio Di Pietro la sentence de la Cour constitutionnelle représente la véritable victoire de la légalité.

«Nous souhaitons maintenant que le procès dans lequel Silvio Berlusconi est accusé de corruption de magistrats reprenne au plus tôt parce que nous voulons savoir, une bonne fois pour toutes si nous avons un innocent ou un coupable à la tête du gouvernement», a-t-il déclaré dès l’annonce de la sentence.
De fait, Silvio Berlusconi ne pourra plus échapper au procès instruit par les juges du Parquet de Milan qui avaient demandé eux-mêmes que la cour constitutionnelle soit saisie d’un recours contre la loi lui accordant l’immunité pénale.

Selon le Tribunal pénal de Milan, Silvio Berlusconi aurait versé des pots-de-vin à des magistrats pour qu’ils influent en sa faveur dans le cadre du rachat de la société agroalimentaire SME par sa holding Fininvest en 1985. L’entrepreneur entré en politique depuis 1994 a toujours nié les faits affirmant qu’il n’y avait aucune preuve contre lui mais apparemment le dossier des juges milanais est solide.

Ne serait-ce que sur le plan symbolique, la reprise du procès, dont la date n’a pas encore été fixée, représente une défaite cuisante pour le chef du gouvernement déjà affaibli par une présidence de l’Union européenne qui s’est caractérisée par de nombreux dérapages verbaux et une incompétence politique indéniable, mais aussi par les profondes divisions qui se sont créées au sein de la coalition de centre-droit qu’il dirige.
On observe d’ailleurs que l’Alliance nationale dirigée par l'homme qui fut son plus fidèle allié jusqu’à ces dernières semaines, Gianfranco Fini, se garde bien de critiquer la décision de la Cour constitutionnelle, estimant que cette sentence mérite «respect et considération».

A écouter :
Alfio Mastropaolo, professeur de science politique à l’université de Turin au micro de Catherine Rolland le 14/01/2004 (5'46'').



par Anne  Le Nir

Article publié le 13/01/2004