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Italie

Polémique autour de l’extradition d’un «brigadiste» repenti

Pour la première fois depuis dix-sept ans le gouvernement français a décidé d’extrader vers l’Italie un ancien membre des Brigades rouges réfugié à Paris depuis 1991. Paolo Persichetti avait tiré un trait sur son passé et enseignait la sociologie politique à l’université Paris VIII.
«Paris est un refuge sûr pour beaucoup de criminels en fuite qui ont commis des délits très graves en Italie». Depuis l’assassinat par les «nouvelles brigades rouges» du consultant du gouvernement Marco Biagi, le ministre italien de la Justice Roberto Castelli - également membre de la Ligue du Nord, un mouvement régionaliste et xénophobe - ne cesse de s’en prendre à la justice et à la police françaises, coupables à ses yeux de laxisme vis-à-vis de la centaine d’ex-terroristes d’extrême-gauche réfugiés en France depuis de nombreuses années. Alors que le gouvernement de Silvio Berlusconi est critiqué de tous côtés pour avoir enlevé l’escorte policière à Marco Biagi peu de temps avant son assassinat et pour son incapacité à mettre la main sur les responsables des derniers assassinats politiques : des «terroristes irréductibles» qui paraissent bien implantés sur le territoire italien, et notamment dans le nord-est du pays.

L’extradition vers l’Italie de Paolo Persichetti, réclamée par Berlusconi pour faire taire ces critiques, a été saluée par celui-ci comme «très importante» car «il ne s’agit pas d’un personnage de second rang». Pourtant, Paolo Persichetti, après avoir été condamné en Italie pour «complicité morale» dans l’assassinat du général Giorgeri, avait refait sa vie en France, à visage découvert : il enseignait, comme chargé de cours, la sociologie politique à l’Université Paris VIII, et était donc salarié de l’Education nationale. Le directeur de son département scientifique, Daniel Lindeberg s’est d’ailleurs déclaré «indigné et traumatisé» par son extradition.

«Un marchandage policier»?

Paolo Persichetti a quitté l’Italie en 1991 pour Paris, où il fait depuis partie de ces anciens membres des Brigades Rouges ou de Prima Linea qui, contrairement à ce que laissent entendre certaines sources diplomatiques italiennes à Paris, n’ont apparemment pas de liens avec les terroristes «irréductibles» toujours en activité. Ces «exilés» ne sont nullement des clandestins : ils se sont souvent reconvertis en restaurateurs, professeurs, voire graphistes, journalistes ou écrivains reconnus. Bien entendu, nul ne peut exclure que d’autres «réfugiés» aient opté, eux, pour la clandestinité, en France comme ailleurs, et continuent de collaborer avec des «brigadistes» en activité.

Cette extradition «est une violation de la parole de la France» a estimé le président de la Ligue des droits de l’homme, Michel Tubiana, qui a rappelé que l’ancien président socialiste François Mitterrand avait pris l’engagement, en 1985, de ne pas extrader d’anciens membres des Brigades Rouges, « quel que soit l’avis favorable donné par la Chambre d’accusation », à condition toutefois qu’ils aient clairement coupé tout lien avec leur passé terroriste. « Cette parole a été respectée, y compris en période de cohabitation », a-t-il précisé.

Le ministère français de l’Intérieur a pour sa part rappelé qu’il ne s’agissait que de la mise en application du décret d’extradition signé en 1994 par le Premier ministre Edouard Balladur, après avis favorable de la justice. Ce que le Garde des Sceaux socialiste Elisabeth Guigou avait expressément refusé d'appliquer dès son arrivée aux affaires.

Ce n’est évidemment pas l’avis de son successeur, Dominique Perben, ni du ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy. Ceux-ci ont fait savoir qu’aucune décision n’avait été prise pour les autres «réfugiés politiques» italiens : leurs dossiers seront examinés « cas par cas », selon Dominique Perben. Ce qui risque de devenir un véritable casse-tête juridique, car leur statut est très variable, des deux côtés des Alpes. Pour beaucoup la justice française ne s’est jamais prononcée pour ou contre leur extradition mais pour d’autres cette étape a déjà été franchie. Le dernier cas a avoir été examiné est celui du médecin de l’abbé Pierre et de la communauté Emmaus Michele d’Auria, écroué depuis février dernier à Paris. La cour d’Appel de Paris a approuvé en juillet dernier son extradition vers l’Italie, où il est recherché pour des attaques à main armée revendiquées dans les années 90 par le groupe Prima Linea, mais qu’il nie avoir commises.

La presse italienne s’interroge sur le changement de la France, depuis la victoire de Jacques Chirac, et n’exclut pas que cela soit le fruit d’un certain «marchandage policier». Le ministère français de l’Intérieur a précisé pour sa part que cette décision «s’inscrivait dans le cadre du renforcement de la coopération italo-française en matière policière». Il semble en effet que depuis de nombreux mois - voire des années - la police italienne refuse de communiquer à la France tout ce qu’elle sait sur les réseaux islamistes présents en Italie et leurs éventuels liens avec la France, tant que des «criminels en fuite» - selon les termes du ministre Castelli - continuent de bénéficier d’un «refuge sûr» en France.





par Elio  Comarin

Article publié le 27/08/2002