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Italie

Le séisme politique

L’ampleur de la manifestation de Rome a d’ores et déjà provoqué un tremblement politique en Italie. A droite comme à gauche. Berlusconi continuera-t-il à imposer une réforme du droit de travail qui risque de lui être fatale ? Et la popularité acquise par le leader syndicaliste pourrait faire grincer des dents à la tête de l’opposition.
«Il aura suffit à Berlusconi d’un coup d’œil à la manifestation pour comprendre que Sergio Cofferati a changé de peau et pour voir qu’il est devenu le leader de la gauche le plus combatif» face à sa Maison des libertés. C’est La Stampa, le quotidien turinois appartenant à la famille Agnelli, qui a donné le ton. Depuis la démonstration de force de samedi dernier à Rome, la donne politique a probablement changé, en Italie. Pour la majorité au pouvoir de centre-droit comme pour l’opposition de centre-gauche.

Quelques jours à peine après l’assassinat de Marco Biagi par les Brigades rouges, ceux qui à droite ont tenté de se servir de cet attentat pour placer en porte-à-faux les syndicats post-communistes (et notamment la CGIL de Sergio Cofferati) ont visiblement rendu un mauvais service à Silvio Berlusconi. Et, indirectement, aidé le centre-gauche à se doter d’un «leader naturel et populaire» qui ne vient pas du sérail des myriades de partis et courants qui composent la coalition de l’Olivier. «Seul quelqu’un qui souffre d’hallucinations peut confondre Cofferati avec un dangereux extrémiste et un prêcheur de haine», a renchérit le Corriere della Sera, un quotidien libéral milanais qui fait pourtant partie de la holding Fiat.

Le «peuple de centre-gauche» prend une direction inattendue

Désormais la confrontation Berlusconi-Cofferati risque de provoquer des secousses comparables à celles qui ont précédé en 1994 la chute du premier gouvernement dirigé par le magnat des télévisions privées, en raison de sa volonté farouche de changer radicalement le système des retraite, en dehors de toute négociation sérieuse avec les partenaires sociaux. Une fois de plus, Berlusconi semble ignorer que l’on ne peut diriger impunément un pays aussi complexe que l’Italie comme une entreprise privée, entouré de conseillers toujours fidèles mais trop «béni-oui oui». De plus il a commis la faute de faire adopter le plus vite possible les lois qui arrangeaient ses entreprises, comme ses amis politiques ou entrepreneurs. Même dans son camp, des voix commencent à se lever pour dénoncer ce comportement.

Samedi, il n’y avait pas que des syndicalistes purs et durs, dans les rues de Rome et au cirque Maxime. Plusieurs générations d’Italiens, souvent irrités par certaines manifestations d’arrogance, de cynisme et de démagogie affichées par des collaborateurs ou ministres de Berlusconi, ont osé sortir de chez eux, même derrière les drapeaux rouges de la CGIL, pour la première fois depuis la victoire de la Maison des libertés en mai de l’année dernière. Pour dénoncer tout autant le terrorisme politique et les choix ultra-libéraux de Berlusconi, en se rangeant derrière un leader quelque peu inattendu. Après les «rondes populaires» et bon enfant autour du Parlement ou de la RAI, le «peuple de centre-gauche» semble emprunter une direction inattendue. Loin des partis. Les politiciens qui, au centre comme à gauche, étaient tentés par d’autres «compromis historiques» ou par une «opposition souple» avec Berlusconi auront désormais du mal à se faire entendre.

Mais, à Rome, plus d’un million d’Italiens n’ont pas manifesté contre un éventuel «danger de néo-fascisme». La coalition qui a porté au pouvoir Berlusconi ressemble beaucoup à celles qui ont dirigé le pays du temps de la Démocratie chrétienne. En récupérant toutes les voix dites «modérées» sur son nom et ses succès d’entrepreneur, Berlusconi a d’abord créé un parti -Forza Italia- sur les cendres du parti socialiste de feu Bettino Craxi et de la Démocratie chrétienne de Giulio Andreotti. Ensuite seulement il la mis sur pied une alliance de centre-droit allant de la Ligue du Nord (régionaliste et xénophobe) à Alliance nationale (droite nationaliste, post-fasciste).

Il est d’ailleurs à noter que les rares intellectuels de droite -comme Marcello Veneziani, Franco Cardini ou Giordano Bruno Guerri- qui s’expriment dans le quotidien Il Giornale , semblent avoir opté pour Berlusconi, faute de mieux. Car ils le soupçonnent de ne pas être nationaliste mais pro-américain, de ne pas se soucier du social et d’être un ultra-libéral, et même de vouloir détruire le peu qui reste de la tradition catholique, par l’introduction de la télé-paillettes et de la «dictature de l’argent-roi».

Mais l’arrivée sur le devant de la scène de Sergio Cofferati risque de provoquer un trop plein à la tête de l’Olivier, la coalition de gauche. Le dirigeant syndicaliste, autrefois communiste, a annoncé l’année dernière qu’il quitterait ses fonctions à la direction de la CGIL en juin prochain, «pour se mettre au service des autres, s’ils le veulent bien». Est-ce à dire qu’il vise d’ores et déjà la direction de l’opposition ?

Actuellement dirigée (jusqu’en septembre) par Francesco Rutelli, le perdant de mai 2001, un nom commençait à circuler de nouveau pour la direction de l’opposition: celui de Romano Prodi, président de la Commission européenne jusqu’en juillet 2004, mais aussi le seul qui soit parvenu à battre Berlusconi. Dans la perspective des élections législatives en 2006, Prodi faisait déjà figure de favori. C’était sans compter sur les premières fautes de Berlusconi et l’émotion provoquée par le meurtre de Marco Biagi.




par Elio  Comarin

Article publié le 25/03/2002