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Italie

Les nouvelles Brigades rouges s’affichent

C’est dans la plus pure tradition du groupe terroriste d’extrême-gauche que les nouvelles Brigades rouges ont officiellement revendiqué mercredi soir la paternité de l’assassinat de Marco Biagi : d’abord dans un appel téléphonique au quotidien régional de Bologne et, aussitôt après, par un long texte de 26 pages expliquant leur geste. Un communiqué rédigé dans un jargon typique de ce mouvement terroriste qui cette fois-ci est disponible sur l’Internet (http://www.caserta24ore.itnew).
Signé «Brigades rouges - Pour le Parti communiste combattant» ce texte comporte presque tous les «mots d’ordre» des BR d’il y a trente ans, à commencer par le plus connu : «l’attaque contre le cœur de l’Etat». Mais il comporte aussi quelques concepts nouveaux, plus «ouvriéristes», et notamment la «lutte contre le néo-corporatisme» (c’est-à-dire la concertation entre syndicats, patronat et exécutif), ainsi que contre «l’alternance entre coalitions de gouvernement basées sur les intérêts de la bourgeoisie impérialiste».

Tout ceci confirme que, aux yeux des nouvelles BR, il n’y a pratiquement pas de différence réelle entre gouvernements de droite et de gauche, entre Berlusconi et Prodi. Pour cela aussi, elles s’attaquent surtout à ceux qui «collaborent» avec l’exécutif et notamment ceux qui rédigent, en tant qu’experts, les nouvelles lois, à commencer par celles sur la flexibilité ou le droit du travail. A leurs yeux, Marco Biagi, un consultant proche de Romano Prodi et se situant plutôt à gauche, comme Massimo D’Antona (assassiné par les BR en 1999) sont les vrais responsables, en tant que «serviteurs de l’Etat», de la «régression sociale» en cours, de la «globalisation sauvage», de la «stagnation économique», bref de la «politique anti-prolétaire» de l’exécutif.

Des vieux «irreductibles» et des jeunes marginaux

Paradoxalement, Silvio Berlusconi n’est pas presque pas attaqué dans ce long document. Même s’il demeure le représentant le plus accompli de la «bourgeoisie impérialiste» dénoncée par les BR. Ce qui pourrait indiquer que l’assassinat de Biagi a été décidé il y a plusieurs mois, et fait partie d’une longue «campagne» lancée il y a trois ans par les quelques membres de la «colonne romaine» des BR : Biagi lui même avait à plusieurs reprises indiqué à des amis qu’il recevait régulièrement des menaces de mort. Et ce depuis des années.

Si l’on en croit un terroriste repenti membre de cette colonne, les nouvelles BR ont relancé la lutte armée il y a environ trois ans, par l’assassinat à Rome de Massimo D’Antona. Un an plus tard, un autre attentat, apparemment mineur et passé presque inaperçu, vise à Milan un syndicaliste de la CISL, spécialiste des retraites. La revendication de cet acte parvient aussitôt après à différentes rédactions italiennes, qui n’en font presque pas état. Mais elle n’échappe pas au syndicaliste visé, qui décortique ce document d’une dizaine de pages et se rend aussitôt compte qu’elle ne peut être rédigée par un «expert» en la matière.

Cet attentat n’a pas été revendiqué par les BR-PCC, mais par le Noyau prolétaire révolutionnaire (NPR), un groupe inconnu jusque là, vraisemblablement basé à Milan, où sont nées les BR en 1971. Ce qui pourrait indiquer que plusieurs «colonnes» de jeunes terroristes existent actuellement en Italie, d’abord à Rome et à Milan, et qu’elles sont dirigées par les «irréductibles» détenus dans le prisons de la péninsule, parfois depuis plus de quinze ans, et qui contrairement aux leaders historiques des BR n’ont jamais demandé à profiter des lois sur les «repentis» ou les «dissociés»
de la lutte armée.

Il s’agit souvent de jeunes marginalisés et/ou issus des banlieues pauvres de Milan ou de Rome, qui sont recrutés par des «anciens» ; mais cela ne signifie pour autant pas que ces nouveaux terroristes soient contraints à une clandestinité absolue. Le simple fait qu’une de leurs «colonnes» s’appelle Carlo Giuliani - du nom du jeune manifestant tué à Gênes par la police, lors du G8, en juillet 2001 - montre bien que les nouvelles BR tentent de tirer profit du vaste mouvement de contestation (parfois très violente) des différents groupes anti-globalisation : ces dizaines de milliers de militants « no global » sont vite devenus un vivier potentiel - et sans doute réel - pour les nouvelles BR.

Mais il est exagéré de penser que l’Italie soit revenue aux «années de plomb» des années 70. Le contexte est aujourd’hui tout autre. L’arrivée au pouvoir de Bush (et ses guerres) et de Berlusconi (et ses affaires) a certes fourni d’autres raisons pour relancer la lutte armée. La faiblesse et les divisions profondes de l’opposition de gauche peuvent favoriser le découragement de certains jeunes. Mais les discours surannés, abscons et souvent presque incompréhensibles des BR sont à mille lieues de la très grande majorité du «peuple de Seattle et de Gênes».


Ecouter également Sergio Romano, l'Invité Europe du 21/03/2002

Ecouter égalementElio Comarin, l'invité de la rédaction du 21/03/2002, 5'48. Invité de la semaine

Erri De Luca, écrivain Italien, et invité de la semaine sur RFI est interviewé par Pierre Ganz de RFI et Alain Louyot de L'Express.



par Elio  Comarin

Article publié le 21/03/2002